Addis Abeba, 12 février 2025. Devant la situation catastrophique, ces organisations appellent les gouvernements participant à prendre des mesures décisives pour que cessent les violations des droits des populations civiles, que la crise humanitaire puisse être résolue et pour une réponse politique et judiciaire à la crise. Une mission d’enquête indépendante est nécessaire. Toutes les parties au conflit doivent respecter le droit international. Lire la lettre ouverte ci-dessous.
Le Conseil de paix et de sécurité (CPS) de l’Union africaine (UA)
S.E. Teodoro Obiang Nguema, Président de la Guinée équatoriale
S.E. Miguel Ntutumu Evuna, Représentant permanent de la Guinée équatoriale auprès de l’UA, Président du CPS de l’UA au mois de février
Excellences,
Objet : Actions urgentes proposées pour la réunion des chef·fes d’État et de gouvernement du CPS de l’UA sur la crise en RDC lors du 38e Sommet de l’UA
Nous, les organisations congolaises, africaines et internationales soussignées, vous écrivons pour exhorter respectueusement les chef·fes d’État et de gouvernement participant à la réunion du Conseil de paix et de sécurité de l’UA prévue le 14 février 2025 sur la situation en République démocratique du Congo (RDC), à prendre des mesures décisives, notamment en fixant des délais clairs pour la mise en œuvre des propositions exposées dans la présente lettre.
Nous saluons les efforts déployés par l’UA en réponse à cette situation depuis la récente explosion de violence à Goma, en RDC. Nous saluons les efforts déployés par le CPS pour convoquer la réunion ministérielle d’urgence qui s’est tenue le 28 janvier 2025 et le communiquéqui en a résulté, donnant mandat à la Commission de l’UA de déployer immédiatement une mission d’établissement des faits sur la crise en cours à l’est de la RDC. Nous notons également les efforts déployés jusqu’à présent par le Président de la Commission de l’UA, M. Moussa Faki, pour participer au sommet conjoint SADC-EAC sur la crise en RDC, qui s’est tenu le 8 février 2025 et qui a appelé à la cessation des hostilités et à un cessez-le-feu immédiat, au rétablissement des services publics essentiels et des lignes d’approvisionnement en denrées alimentaires et autres produits de base afin de garantir l’aide humanitaire, ainsi qu’à la résolution pacifique du conflit par le biais du processus de Luanda/Nairobi.
Le conflit armé entre le Mouvement du 23 Mars (M23), soutenu par les Forces de défense rwandaises (RDF), et les forces armées de la RDC (FARDC), soutenues par leurs alliés, y compris des groupes armés, depuis la reprise des activités armées du M23 à la fin de 2021, a entraîné de graves violations des droits humains et du droit international humanitaire à l’encontre des civil·es, qui peuvent constituer des crimes internationaux, y compris des violences sexuelles et sexistes, et le transfert et déplacement forcé de civil·es.
Nous, signataires, sommes très préoccupés par la situation des populations civiles, y compris les femmes et les enfants, dont beaucoup ont été tué·es, blessé·es ou déplacé·es par les combats. Nous avons récemment reçu des rapports troublants faisant état de centaines de femmes et de filles violées puis tuées lors de l’évasion de la prison de Munzenze à Goma, alors que le M23 arrivait à Goma le 27 janvier 2025.
La situation humanitaire dans le Nord et le Sud-Kivu est très grave, les couloirs humanitaires pour acheminer l’aide et permettre aux civil·es de fuir, sont bloqués par les combats, alors que les besoins de la population civile sont très importants. Les défenseur·es des droits humains, ainsi que les acteur·ices humanitaires, de la région sont pris pour cible par les deux parties au conflit, et nombre d’entre eux et elles ont été contraint·es de cesser leurs activités essentielles de documentation et de dénonciation des violations des droits humains et du droit humanitaire international, et d’assistance humanitaire.
Au vu des efforts déployés jusqu’à présent, nous estimons que l’Union africaine peut faire davantage pour catalyser une réponse plus efficace à la crise et nous recommandons que la réunion des chef·fes d’État et de gouvernement du CPS de l’UA s’assure que :
– le Président de la Commission de l’UA informe les chef·fes d’État, au cours de cette session spéciale du CPS, des mesures prises pour mettre en œuvre la décision de la réunion ministérielle sur le déploiement d’une mission d’enquête dans l’est de la RDC, y compris les délais spécifiques pour s’assurer que la mission d’enquête est opérationnelle et qu’elle rapporte au Conseil ;
– les chef·fes d’État et de gouvernement du CPS de l’UA fixent un calendrier précis pour le déploiement et l’opérationnalisation de la mission d’enquête et, en tout état de cause, la mission doit débuter au mois de février 2025 ;
– élaborer des modalités spécifiques sur la manière dont l’UA peut collaborer efficacement avec la médiation de la SADC-EAC et d’autres mécanismes engagés dans la résolution de la crise.
Considérant les plus de 30 ans de violencesans fin qui affectent le peuple congolais, nous, les signataires, exhortons les chef·fes d’État et de gouvernement africain·es, ainsi que les autres acteur·ices et décideur·es qui s’investissent dans la résolution de la crise, à aller au-delà des déclarations et à intensifier leurs efforts pour influencer et exercer une pression afin de mettre fin immédiatement aux combats et de protéger les populations civiles. Une solution durable, s’attaquant aux causes profondes du conflit armé, doit être trouvée à cette crise régionale dans l’intérêt de la population civile.
En outre, nos organisations exhortent les chef·fes d’État et de gouvernement du CPS de l’UA à user de toute leur influence pour faire en sorte que toutes les parties au conflit respectent le droit international humanitaire et les droits humains. Les violences actuelles ont donné lieu à de graves violations, notamment des assassinats ciblés, des déplacements forcés et des violences sexuelles et sexistes, qui peuvent constituer des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. Il est impératif que ces violations fassent l’objet d’une condamnation ferme et d’actions concrètes visant à protéger les civil·es et à faire en sorte que les auteurs de ces actes répondent de leurs actes.
À cet égard, nous appelons le CPS de l’UA à :
– mettre fin à la violence et renforcer les efforts de maintien de la paix : les gouvernements de la RDC et du Rwanda, ainsi que le M23 et les autres groupes armés, dont les FDLR, doivent immédiatement cesser les hostilités et s’engager à dialoguer - les forces de maintien de la paix existantes doivent être dotées de ressources suffisantes et d’un mandat clair pour protéger les civil·es, sécuriser les couloirs humanitaires et protéger les défenseurs des droits humains ;
– protéger et soutenir les défenseur·es des droits humains et la société civile : les défenseur·es des droits humains et les organisations de la société civile jouent un rôle essentiel dans les efforts de consolidation de la paix et pour établir les responsabilités ; l’UA doit veiller à leur protection et à leur pleine participation à toutes les étapes de la résolution des conflits et après les conflits ; des mécanismes sûrs doivent être mis en place pour les aider à documenter les violations et à plaider en faveur de la justice, de la vérité et des réparations pour les victimes ; la société civile doit être activement impliquée dans les efforts de médiation et de reconstruction afin de garantir une paix durable ;
– veiller à ce que les auteurs de violations des droits humains et du droit humanitaire international rendent compte de leurs actes : lorsque la mission d’établissement des faits de l’UA est mise en place et qu’elle constate que des violations ont été commises, veiller à ce que les responsabilités soient établies, notamment en ce qui concerne les violences sexuelles et sexistes, dans le cadre des mécanismes de l’UA en matière de droits humains et de responsabilité qui permettent une participation significative des victimes et des survivant·es et un engagement avec la société civile, afin que les auteur·es répondent de leurs actes ;
– faciliter l’aide humanitaire et le passage en toute sécurité des civil·es : les couloirs humanitaires doivent être sécurisés pour permettre à l’aide d’atteindre les populations touchées et de faire en sorte que les civil·es puissent fuir la violence en toute sécurité ; l’UA devrait collaborer avec les organisations humanitaires pour éliminer les obstacles qui empêchent l’acheminement d’une aide essentielle ;
– protéger et autonomiser les femmes : des mesures de protection spécifiques pour les femmes et les filles doivent être mises en œuvre, notamment des zones sûres, l’accès aux soins de santé et un soutien psychosocial pour les survivant·es de la violence sexuelle et sexiste ; les femmes doivent être associées aux négociations de paix, à la résolution des conflits et à la phase post-conflit afin que leur voix soit représentée dans la prise de décision.
Bien que nous reconnaissions les efforts déployés par l’UA et ses partenaires jusqu’à présent, il est clair que l’ampleur de la crise exige des mesures immédiates et plus globales. Nous soumettons respectueusement notre appel le plus ferme à une action urgente et attendons sincèrement votre réponse décisive.
Nous vous prions d’agréer, Excellences, l’expression de nos salutations distinguées.