L’Empire du silence : l’impunité des crimes graves conduit à une violence sans fin en RDC

Thierry Michel

Paris, Nairobi, 16 mars 2022. À l’occasion de la sortie dans les salles de cinéma françaises du dernier film de Thierry Michel, L’Empire du silence, la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) et ses organisations membres en République démocratique du Congo (RDC), la Ligue des électeurs (LE), l’Association africaine pour la défense des droits de l’homme (ASADHO) et le Groupe Lotus (GL), appellent les autorités congolaises et ses partenaires, à engager des efforts concrets en matière de lutte contre l’impunité des crimes les plus graves en RDC.

Dans son dernier documentaire "L’Empire du silence”, Thierry Michel retrace les différents cycles de violences et d’impunité des crimes commis en RDC depuis les années 1990. On y voit et entend des victimes, témoins, auteurs et responsables de ces crimes graves à travers tout le territoire. Des ambassadeurs et acteur.rices de la lutte contre l’impunité en RDC, comme le Docteur Denis Mukwege [1], prix Nobel de la paix 2018, des anciens membres des équipes d’enquête des Nations unies et des journalistes locaux sont entendus sur ces crimes.

Le documentaire s’appuie, entre autres, sur les conclusions et éléments du rapport du projet Mapping du Bureau du Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies, qui répertoriait en 2010 les violations les plus graves des droits humains et du droit international humanitaire commises sur le territoire de la RDC entre 1993 et 2003.

Plus de dix ans après la publication de ce rapport, nos organisations regrettent qu’aucune suite n’ait été donnée à ces recommandations, malgré les efforts de plusieurs acteurs.rices de la société civile pour inciter les autorités congolaises à ouvrir des enquêtes, poursuivre les responsables et auteurs de ces crimes et que les victimes aient enfin un accès effectif à la vérité, justice et réparation. Nos organisations œuvrent et soutiennent la mise en œuvre de ce rapport à travers des actions de plaidoyer, de soutien et de sensibilisation au niveau local, national et international.

Avant même la publication du rapport Mapping, la FIDH et ses organisations membres en RDC dénonçaient les violations graves des droits humains commises dans le pays, et soutenaient les survivant.e.s dans leur quête de vérité, de justice et de réparation. Elles ont ainsi documenté de nombreux crimes commis entre 2002 et 2003 à l’est du pays et publié plusieurs rapports [2].

La FIDH et ses organisations membres en RDC ont également transmis les témoignages de victimes et témoins de l’opération « Effacez le tableau » au Bureau du Procureur de la Cour pénale internationale (CPI) qui a ouvert en juin 2004 une enquête sur la crimes internationaux commis en RDC depuis juillet 2002. Plusieurs survivant.e.s congolais.e.s de crimes commis en Ituri en 2002 représenté.e.s par des avocat.e.s de la FIDH avaient été reconnu.e.s en 2006 comme victimes participantes au stade de l’enquête de la CPI [3]. Elles ont ainsi soutenu l’ouverture et la tenue des procès à la CPI dans les affaires contre Thomas Lubanga Dyilo, Germain Katanga, et Bosco Ntaganda, en appelant à une participation effective des victimes, des programmes de sensibilisation pour les communautés affectées, et des mesures de réparations significatives pour les victimes [4]. Elles avaient effectué un plaidoyer appelant à la mise en place d’une Cour spécialisée mixte en RDC chargée de juger les crimes internationaux commis en RDC. Elles ont récemment salué l’arrestation de Roger Lumbala et l’ouverture d’une information judiciaire en France, pour son rôle dans les crimes contre l’humanité commis dans la province de l’Ituri en 2002 et 2003.

La FIDH et ses organisations membres en RDC soutiennent la campagne contre l’impunité en RDC organisée autour du film de Thierry Michel et intitulée “JusticeForCongo”. Elles ont également rejoint l’initiative du Collectif de jeunes activistes congolais bénévoles qui a lancé un mémorial en ligne du rapport Mapping, parrainé par le Dr Mukwege. Elles soutiennent la pétition des ONG, initiée par le Réseau national des survivantes en RDC, la Fondation Panzi (RDC et Etats Unis) et la Fondation Mukwege, à l’attention du Secrétaire général des Nations unies, et qui appelle à soutenir et assister les autorités congolaises dans la mise en œuvre des recommandations du rapport.

« Depuis les années 1990 au moins, nous, le peuple congolais, subissons cette violence et nous constatons que ces crimes se poursuivent encore et encore, dans la plus grande impunité. Pourtant les preuves sont là, les victimes parfois encore en vie pour parler, mais qu’attend-on pour ouvrir des enquêtes et juger les responsables ! »

Paul Nsapu, vice-président de la FIDH.

La FIDH et ses organisations membres en RDC rappellent également que d’autres crimes graves continuent à être commis dans le pays depuis 2003, engendrés par un contexte d’impunité grandissante. Nos organisations ont ainsi enquêté sur les crimes graves commis en décembre 2018 à Yumbi, dans la province du Maï-Ndombe, et dans les provinces du Kasaï durant la période pré-électorale de 2016 à 2018. Depuis plus de dix ans, nous réclamons vérité et justice dans l’affaire des responsables de l’assassinat du défenseur des droits humains Floribert Chebeya et de la disparition de son chauffeur Fidèle Bazana. Cette affaire avait d’ailleurs inspiré un des précédents films de Thierry Michel, “L’affaire Chebeya, un crime d’Etat ?” que la FIDH et ses organisations membres ont également soutenu lors de sa sortie en France en 2012. Si des procès ont été ouverts dans ces affaires, nos organisations déplorent le peu d’avancées enregistrées et le fait que des responsables de ces crimes soient encore en fonction voire promus aujourd’hui.

La FIDH et ses organisations membres en RDC appellent les autorités congolaises, avec l’aide de ses partenaires, à la mise en œuvre sans plus tarder d’une réponse holistique de lutte contre l’impunité des crimes les plus graves, qui s’inscrit dans un cadre plus large de justice transitionnelle à travers notamment :
 l’ouverture d’enquêtes indépendantes, impartiales et transparentes sur les cas ;
 la mise en œuvre d’un processus d’assainissement “vetting” au sein des forces de défense et de sécurité de la RDC ;
 l’adoption d’un plan national en matière de réparation des victimes de violations graves des droits humains, incluant un programme spécifique à destination des victimes de violences sexuelles ;
 la mise en place de mécanismes de médiation et de soutien à destination des victimes et communautés affectées ;
 la mise en œuvre de réformes nécessaires afin de garantir l’efficacité, l’impartialité et l’indépendance du système judiciaire

 [5].

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