RDC / Affaire Chebeya-Bazana : 5 ans après, la justice sénégalaise reste plus que jamais un recours pour la vérité

02/06/2015
Communiqué
RDC
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A l’occasion du cinquième anniversaire de l’assassinat de Floribert Chebeya Bahizire et Fidèle Bazana Edadi, respectivement directeur exécutif et membre de la Voix des sans Voix (VSV), et alors que se déroule une mission judiciaire au Sénégal dans cette affaire, nos organisations [1] se joignent aux familles et aux défenseurs des droits humains congolais pour commémorer leur mémoire et exiger que justice soit faite.

Une conférence de presse se tient ce jour à Dakar avec le fils de Fidèle Bazana, qui a été entendu hier par le juge d’instruction en charge de l’affaire, et les avocats des familles.

« En ce triste anniversaire, nos pensées se tournent naturellement vers les proches et collègues de Floribert Chebeya et Fidèle Bazana, qui attendent toujours, 5 ans après leur tragique disparition, que la justice soit rendue dans cette affaire », ont déclaré nos organisations.

Ce cinquième anniversaire coïncide avec une nouvelle étape dans la procédure devant la justice sénégalaise : l’audition, lundi 1er juin 2015, du fils de Fidèle Bazana par le juge d’instruction, près de 5 mois après l’inculpation par la justice sénégalaise de l’un des présumés complices, Paul Mwilambwe, sur le fondement de la compétence universelle.

Alors que les tentatives de faire la lumière sur le double assassinat des défenseurs des droits humains semblent bloquées en RDC [2], en raison d’une volonté manifeste des autorités congolaises de protéger les plus hauts responsables, en particulier les commanditaires, nos organisations saluent les efforts des autorités judiciaires sénégalaises et les appellent à poursuivre leur enquête dans cette affaire hautement symbolique. En effet, depuis l’affaire Hissène Habré, c’est la première fois qu’une procédure en compétence extraterritoriale est initiée au Sénégal et cette étape constitue un signal fort et positif que la justice sénégalaise entend contribuer de façon substantielle à la lutte contre l’impunité des crimes les plus graves perpétrés sur le continent africain. 

« Au cours de cette deuxième audition de parties civiles, Guylain Bazana est venu dire tout l’espoir que les familles placent désormais en la justice sénégalaise, seule à même de mener une enquête impartiale et indépendante dans cette affaire, afin que toute la lumière sur le double assassinat de ces deux éminents défenseurs des droits humains puisse enfin être faite  », ont déclaré nos organisations.

Ce combat pour la justice reste d’actualité, alors que les défenseurs des droits humains congolais demeurent, encore aujourd’hui, régulièrement victimes d’arrestations et de détentions arbitraires, de menaces, et d’actes de harcèlement notamment judiciaire. « Cette procédure au Sénégal suscite de grands espoirs chez les familles des victimes mais aussi chez toute la communauté des défenseurs des droits humains qui, à travers le monde, exerce son travail dans la plus grande insécurité. La contribution de la justice sénégalaise à la lutte contre l’impunité des crimes les plus graves en Afrique est plus que jamais attendue », ont déclaré nos organisations.

Rappel des faits :
Convoqué, le 1er juin 2010, par le général John Numbi Banza Tambo, inspecteur général de la police nationale congolaise (IG/PNC), Floribert Chebeya avait été retrouvé sans vie le 2 juin 2010 au matin dans son véhicule, tandis que Fidèle Bazana était porté disparu. A l’issue d’un procès marqué par de nombreux incidents (voir le rapport d’observation judiciaire de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme), la Cour militaire de Kinshasa reconnaît, le 23 juin 2011, la responsabilité civile de l’État congolais dans l’assassinat de M. Chebeya, ainsi que dans l’enlèvement et la détention illégale de M. Bazana par plusieurs de ses agents et condamne 5 des 8 policiers accusés, dont 4 à la peine capitale et un à la prison à perpétuité. Trois des condamnés à mort sont toujours en fuite, et trois policiers dont l’instruction avait pourtant révélé le rôle dans la disparition de Fidèle Bazana, ont été acquittés. Le 7 mai 2013, la Haute cour militaire, saisie en tant que juridiction d’appel, se déclare incompétente pour instruire des questions procédurales et décide de saisir la Cour suprême de justice, qui fait office de Cour constitutionnelle, ce qui a suspendu de fait la procédure judiciaire d’appel. Le 21 avril 2015, après près de deux ans d’interruption, le procès en appel a repris devant la Haute cour militaire.

En première instance comme actuellement en appel, aucune procédure judiciaire n’a jamais été engagée par les autorités congolaises pour instruire le rôle joué par le général John Numbi, qui a depuis été remplacé à la tête de la police nationale, malgré l’existence de preuves et le dépôt de plaintes nominatives par les familles des deux défenseurs.

Face à l’inaction de la justice congolaise, la FIDH et les familles des victimes ont décidé de déposer plainte avec constitution de partie civile, le 2 juin 2014, devant la justice sénégalaise sur la base de la loi sénégalaise dite de compétence extra territoriale du 12 février 2007 qui intègre en droit sénégalais la Convention des Nations unies contre la torture. Selon cette disposition du Code pénal sénégalais, les tribunaux sénégalais peuvent juger toute personne suspectée de torture, si elle se trouve au Sénégal, même si la victime ou l’auteur du crime ne sont pas sénégalais et que le crime n’a pas été perpétré au Sénégal. Cette plainte visait Paul Mwilambwe, l’un des responsables présumés dans l’affaire du double assassinat des défenseurs Floribert Chebeya et Fidèle Bazana, qui avait trouvé refuge au Sénégal. Le 26 août 2014, la justice sénégalaise faisait suite à cette plainte en entendant, pour la première fois, les parties civiles, confirmant ainsi la plainte et ouvrant l’information judiciaire sur le double assassinat des défenseurs des droits humains, alors que l’affaire était bloquée en RDC. Le 8 janvier 2015, Paul Mwilambwe, était entendu par un juge d’instruction sénégalais avant d’être inculpé et placé sous contrôle judiciaire à Dakar.

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