RDC : Risque d’interdiction de diffusion du film documentaire « L’affaire Chebeya, un crime d’État ? »

11/04/2012
Appel urgent
RDC

COD 004 / 0412 / OBS 032

Obstacles à la liberté d’expression / Impunité /
Craintes pour l’intégrité physique et psychologique
République démocratique du Congo

11 avril 2012

L’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, programme conjoint de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), vous prie d’intervenir de toute urgence sur la situation suivante en République démocratique du Congo (RDC).

Description de la situation :

L’Observatoire a été informé par le Groupe Lotus (GL), la Ligue des électeurs (LE) et la Voix des sans voix (VSV) du risque d’interdiction de diffusion sur l’ensemble du territoire de la RDC du film documentaire « L’affaire Chebeya, un crime d’État ? » réalisé par le journaliste belge M. Thierry Michel, qui retrace la procédure judiciaire ouverte à l’encontre de plusieurs membres des forces de l’ordre suspectés du double assassinat de MM. Floribert Chebeya Bazire, directeur exécutif de la VSV et membre de l’Assemblée générale de l’OMCT, et Fidèle Bazana Edadi, membre et chauffeur de la VSV, en juin 2010.

Selon les informations reçues, le 27 mars 2012, M. Bambi Luzolo, ministre de la Justice et des droits humains, a adressé au président de la Commission nationale de la censure une lettre, copiée au Président de la République ainsi qu’au procureur général et à l’administrateur général de l’Agence nationale de renseignement (ANR), requérant l’interdiction de diffusion du documentaire en raison « des allégations fallacieuses et tendancieuses de certaines séquences du dit film contre la personne du chef de l’Etat, Président de la République ».

La demande d’interdiction fait notamment suite à la projection de séquences du film le 9 mars 2012, dans le cadre d’un événement parallèle organisé par l’Observatoire en marge de la 19ème session ordinaire du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU à Genève, projection à laquelle le ministre avait pu assister sur invitation de l’Observatoire. Au cours de cette diffusion, M. Luzolo avait alors estimé, devant témoins, qu’il ne s’opposerait pas à la diffusion de ce documentaire en RDC et qu’il n’y voyait aucun motif de censure.

Cette demande de censure intervient alors que le film doit être diffusé, entre le 10 et le 30 juillet 2012, dans plusieurs villes et provinces du pays (Kinshasa, Kisangani, Bukavu, Lubumbashi). Ces projections doivent être organisées conjointement avec plusieurs organisations de défense des droits de l’Homme mais aussi par des missions et institutions diplomatiques telles que la Délégation Wallonie Bruxelles et les Ambassades de France et de Suède en RDC.

L’Observatoire souligne que cette lettre n’a aucune valeur juridique et qu’une mesure d’interdiction ne peut être prise que sous la forme d’un arrêté ministériel. En outre, toute interdiction serait contraire au droit à la liberté d’expression et au droit à l’information. En conséquence, il appelle les autorités de la RDC, en particulier la Commission nationale de la censure, à ne pas faire suite à la lettre de M. Luzolo et à garantir le respect effectif de la liberté d’expression au profit des défenseurs des droits de l’Homme en autorisant les séances publiques de diffusion du film telles que programmées.

En outre, l’Observatoire craint que MM. Dismas Kitenge Senga, président du GL et vice-président de la FIDH, et Jean Joseph Mukendi Wa Mulumba, bâtonnier de Kinshasa et coordinateur du collectif d’avocats des parties civiles du procès Chebeya-Bazana, qui ont participé au panel organisé à Genève en marge de la 19ème session ordinaire du Conseil des droits de l’Homme et auquel a assisté le ministre Luzolo, ne fassent l’objet de nouveaux actes de harcèlement suite à ces événements. Ce débat avait ensuite été retransmis sur la Radio Télévision Nationale Congolaise (RNTC) à trois reprises, les 15, 16 et 17 mars 2012, après les journaux télévisés de 20 heures, à des heures de forte audience.

Dans le contexte actuel, cette publicité fait en outre peser de nouvelles menaces sur l’intégrité physique et psychologique de M. Kitenge, objet d’actes d’intimidation constants ces derniers mois. En janvier dernier, son domicile a ainsi été incendié suite aux déclarations publiques de M. Kitenge dénonçant des irrégularités électorales, la non-indépendance de la justice lors des contentieux électoraux ou encore le manque de volonté des autorités congolaises à lutter contre l’impunité et à indemniser les victimes de violations graves des droits de l’Homme [1]. L’Observatoire relève que les membres du collectif d’avocats des parties civiles avaient également subi des pressions et des menaces tout au long de la procédure.

Actions requises :

L’Observatoire vous prie de bien vouloir écrire aux autorités congolaises en leur demandant de :

i. Garantir en toutes circonstances l’intégrité physique et psychologique de MM. Dismas Kitenge Senga et Jean Joseph Mukendi Wa Mulumba et de l’ensemble des défenseurs des droits de l’Homme en République démocratique du Congo ;

ii. Garantir la diffusion du film « L’affaire Chebaya, un crime d’État ? » sur l’ensemble du territoire de la RDC et, de manière générale, le respect de la liberté d’expression des défenseurs des droits de l’homme et, en particulier, ceux participant à la lutte contre l’impunité ;

iii. Mettre un terme à toute forme de harcèlement à l’encontre de MM. Dismas Kitenge Senga et Jean Joseph Mukendi Wa Mulumba ainsi que de l’ensemble des défenseurs des droits de l’Homme en RDC ;

iv. Se conformer aux dispositions de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’Homme, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 9 décembre 1998, et plus particulièrement

 son article 1 qui stipule que “chacun a le droit, individuellement ou en association avec d’autres, de promouvoir la protection et la réalisation de tous les droits de l’Homme et de toutes les libertés fondamentales aux niveaux national et international” ;

 son article 6 qui stipule que “chacun a le droit, individuellement ou en association avec d’autres : a) De détenir, rechercher, obtenir, recevoir et conserver des informations sur tous les droits de l’homme et toutes les libertés fondamentales en ayant notamment accès à l’information quant à la manière dont il est donné effet à ces droits et libertés dans le système législatif, judiciaire ou administratif national ; b) Conformément aux instruments internationaux relatifs aux droits de l’homme et autres instruments internationaux applicables, de publier, communiquer à autrui ou diffuser librement des idées, informations et connaissances sur tous les droits de l’homme et toutes les libertés fondamentales ; c) D’étudier, discuter, apprécier et évaluer le respect, tant en droit qu’en pratique, de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales et, par ces moyens et autres moyens appropriés, d’appeler l’attention du public sur la question”.

 et son article 12.2 qui prévoit que “l’Etat prend toutes les mesures nécessaires pour assurer que les autorités compétentes protègent toute personne, individuellement ou en association avec d’autres, de toute violence, menace, représailles, discrimination de facto ou de jure, pression ou autre action arbitraire dans le cadre de l’exercice légitime des droits visés dans la présente Déclaration” ;

v. Plus généralement, se conformer aux dispositions de la Déclaration universelle des droits de l’Homme et instruments régionaux et internationaux relatifs aux droits de l’Homme ratifiés par la RDC.

Adresses :

· S.E M. Joseph Kabila, Président de la République, Cabinet du Président de la République, Palais de la Nation, Kinshasa/Gombe, République Démocratique du Congo, Fax +243 88 02 120

· M. Adolphe Lumanu Mulenda, Ministre de l’Intérieur et Sécurité, Email : adolumanu@yahoo.fr

· M. Bambi Luzolo, Ministre de la Justice et Garde des Sceaux, Ministère de la Justice et Garde des Sceaux, BP 3137, Kinshasa Gombé, République Démocratique du Congo, Fax : + 243 88 05 521, Email : luzolobambi@yahoo.fr

· Mission permanente de la République démocratique du Congo auprès des Nations unies, Avenue de Budé 18, 1202 Genève, Suisse, Email : missionrdc@bluewin.ch, Fax : +41 22 740.16.82

· S.E. M. Henri Mova Sakanyi, Ambassadeur, Ambassade de la République démocratique du Congo à Bruxelles, 30 Marie de Bourgogne, 1000 Bruxelles, Belgique. Email : secretariat@ambardc.eu. Fax : + 32.2.213.49.95

Prière d’écrire également aux représentations diplomatiques de la RDC dans vos pays respectifs.

***

Paris-Genève, le 11 avril 2012

Merci de bien vouloir informer l’Observatoire de toutes actions entreprises en indiquant le code de cet appel.

L’Observatoire, programme de la FIDH et de l’OMCT, a vocation à protéger les défenseurs des droits de l’Homme victimes de violations et à leur apporter une aide aussi concrète que possible.

Pour contacter l’Observatoire, appeler La Ligne d’Urgence :

· E-mail : Appeals@fidh-omct.org

· Tel et fax FIDH : 33 1 43 55 25 18 / 33 1 43 55 18 80

· Tel et fax OMCT : + 41 22 809 49 39 / 41 22 809 49 29

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