Note sur la situation des défenseurs des droits économiques, sociaux et culturels

4ème session du Comité des droits économiques, sociaux et culturels

2-20 novembre 2009

En République démocratique du Congo, les années 2008 et 2009 ont été marquées par la reprise de la guerre à l’est du pays, la radicalisation des tensions entre les acteurs politiques congolais et, dans ce contexte, une restriction sensible des libertés fondamentales gravement préjudiciables aux défenseurs des droits de l’Homme.

Dans ce contexte, les défenseurs des droits économiques, sociaux et culturels ont subi de nombreux actes de harcèlement liés à la sensibilité des questions soulevés lors de leurs activités de monitoring et de dénonciation des violations.

Obstacles et actes de harcèlement à l’encontre des défenseurs dénonçant les mauvaises conditions de travail

En octobre 2008, des marches d’enseignants et d’élèves organisées pour réclamer une amélioration des conditions de travail des enseignants et notifiées aux autorités ont été violemment dispersées.

Par ailleurs, le 31 août 2009, M. Robert Ilunga Numbi, président national des Amis de Nelson Mandela pour la défense des droits humains (ANMDH), qui oeuvre dans la province du Bas-Congo, Mme Marie-Thérèse Kalonda, chargée du programme « Femme et Famille » à l’ANMDH, M. Jean-Paul Itupa, chargé des Relations publiques au sein de la section ANMDH de Kalamu, et M. Ndumba Toutou ont été arrêtés sans mandat sur leur lieu de travail à Matonge. Cette arrestation est intervenue peu de temps après la publication par l’ANMDH d’un communiqué de presse dénonçant les conditions de travail déplorables des ouvriers de la Société générale industrielle (SGI), et suite à la tenue d’une conférence de presse le 24 août à Kinshasa sur ce thème.

Si Mme Kalonda, M. Itupa et M. Toutou ont tous trois été libérés dans la soirée du 31 août, M. Numbi est quant à lui resté détenu dans les locaux de l’Agence nationale des renseignements (ANR) à Kinshasa/Gombe jusqu’au 1er octobre 2009, après versement d’une caution de 1 000 dollars.

Le 17 septembre 2009, le Tribunal de paix de Kinshasa Ngaliema réuni en Chambre de conseil au Centre pénitentiaire et de rééducation de Kinshasa (CPRK) / Makala, a refusé la demande de libération provisoire de M. Robert Ilunga Numbi, arguant la nécessité de prolonger sa détention pour une durée de 15 jours, pour des raisons liées à l’enquête, au motif notamment que des indices sérieux de culpabilité pesaient contre ce dernier et qu’une "fuite" était à craindre.

Les avocats de M. Ilunga Numbi ont alors immédiatement interjeté appel de cette décision auprès du Tribunal de grande instance (TGI) de Gombe. L’audience en appel devait se tenir le 21 septembre, mais a été repoussée au 25 septembre suite aux pressions de l’ANR, au motif que l’agence recherchait des "compléments d’informations". Le 25 septembre, l’affaire a une fois de plus été ajournée.

Enfin, le 28 septembre 2009, le TGI de Gombe a ordonné la libération provisoire de M. Ilunga Numbi. Cependant, ce dernier reste accusé de "propagation de faux bruits" et "diffamation".

La lutte contre la corruption : une activité à haut risque

En RDC, les défenseurs qui luttent contre la corruption font régulièrement l’objet d’actes de harcèlement. A titre d’exemple, le 19 janvier 2009, M. Nginamau Malaba, président du Comité syndical au ministère de l’Economie nationale et du commerce, a été arrêté par cinq agents de l’ANR [1] alors qu’il s’apprêtait à déposer un mémorandum dénonçant le détournement des deniers publics par le ministre de l’Economie nationale et du commerce, et réclamant la rétrocession des bonus des recettes réalisées ainsi que le paiement des primes d’encouragement des fonctionnaires du ministère. MM. Richard Kambale Ndayango et Israël Kanumbaya Yambasa, deux autres syndicalistes cosignataires du mémorandum déposé par M. Malaba, ont été arrêtés respectivement les 11 et 16 janvier.

Le 19 février 2009, M. Malaba a été auditionné par le magistrat instructeur Bokango au parquet général de Gombe à Kinshasa après qu’une plainte eut été déposée par le ministre de l’Economie nationale et du Commerce extérieur, M. André Futa. Lors de l’audience, le magistrat Bokango a refusé d’examiner la plainte introduite par M. Malaba concernant son arrestation et sa détention arbitraire ainsi que les actes de torture dont il a fait l’objet au cours de celle-ci.

Le 23 février 2009, MM. Malaba, Ndayango et Yambasa ont été transférés au CPRK.

Le 26 février 2009, le Tribunal de paix de Kinshasa/Gombe a ordonné leur libération provisoire, mais ces derniers ont été maintenus en détention suite à l’appel interjeté par le parquet.

Le 19 mars 2009, le Tribunal de grande instance de Kinshasa/Gombe a ordonné en appel leur libération sous caution [2]. Le 23 mars 2009, MM. Nginamau Malaba, Richard Kambale Ndayango et Israël Kanumbaya Yambasa ont été libérés après paiement d’une caution de 150 dollars par personne.

MM. Nginamau Malaba, Richard Kambale Ndayango et Israël Kanumbaya Yambasa restent néanmoins à ce jour sous le coup d’une plainte déposée par le ministre de l’Economie nationale et du Commerce extérieur, qui allègue que "des agents de [son] ministère" auraient fabriqué un faux ordre de mission, dans lequel les noms de MM. Nginamau Malaba, Richard Kambale Ndayango et Israël Kanumbaya Yambasa n’apparaissent cependant à aucun moment.

MM. Nginamau Malaba, Richard Kambale Ndayango et Israël Kanumbaya Yambasa auraient été victimes de mauvais traitements au cours de leur détention, en violation de la Convention des Nations unies contre la Torture de 1984 - ratifiée par la RDC le 18 mars 1996. A la date de finalisation de cette note, aucune enquête, indépendante, impartiale et transparente sur les actes de torture et/ou mauvais traitements dont ils auraient fait l’objet, et ce afin d’identifier les responsables, de les traduire devant un tribunal indépendant, compétent et impartial, n’aurait été ouverte.

Sensibilité des questions liées à la gestion des ressources naturelles

Les autorités restant particulièrement sensibles à tout ce qui touche aux ressources naturelles, les défenseurs des droits économiques sociaux et culturels qui dénoncent les conséquences environnementales des activités minières et forestières ou des cas de corruption s’exposent à des menaces et entraves dans leur travail.

De plus, de nombreuses entreprises minières congolaises et étrangères développent leurs activités en dehors du cadre légal national et des instruments internationaux, notamment dans la province du Katanga et de l’Equateur. Les autorités locales, qui jouissent d’une certaine liberté par rapport au pouvoir central, sont régulièrement accusées de collusion avec certaines de ces entreprises par les défenseurs des droits de l’Homme et avocats de la région, ce qui leur vaut d’être la cible de ces mêmes autorités.

Ainsi, le 21 mars 2008, M. Hubert Tshiswaka, alors directeur exécutif de l’Action contre l’impunité pour les droits de l’Homme (ACIDH), basée à Lubumbashi, et actuellement membre de l’"Open Society Institute for Southern Africa" (OSISA), a été arrêté par l’ANR pour avoir distribué un dépliant dénonçant notamment les contrats léonins signés par le Gouvernement congolais et certaines entreprises multinationales dans le secteur minier au Katanga, ainsi que le détournement de fonds publics par les autorités congolaises. Il a été libéré le jour même, en l’absence de charges à son encontre.

Par ailleurs, 27 défenseurs des droits de l’Homme de Bumba, province de l’Equateur, restaient poursuivis fin 2008 pour "imputation dommageable pour diffamation" ?, après qu’ils eurent adressé une pétition au Gouvernement dénonçant l’exploitation forestière abusive de la Société industrielle et forestière de RDC (SIFORCO). Cette pétition avait été rédigée lors d’un séminaire organisé à Bumba par la Voix des Sans Voix (VSV) en septembre 2006 [3]. A la date de finalisation de cette note, aucune information de mise à jour n’avait pu être obtenue.

Le 24 juillet 2009, M. Golden Misabiko, président de la section katangaise de l’Association africaine pour la défense des droits de l’Homme (ASADHO/Katanga), a été arrêté par l’ANR/Katanga, à la suite de la publication par l’ASADHO/Katanga d’un rapport sur l’exploitation artisanale de la mine uranifère de Shinkolobwe dans la province du Katanga en violation du décret présidentiel nº 04/17 du 27 janvier 2004. M. Misabiko a ensuite été présenté devant un juge en vue de l’examen de la demande de maintien en détention formulée par le parquet. Au moment où siégeait le juge, le ministre de la Communication et des médias, M. Mende Omalanga, organisait un point de presse à Kinshasa à l’occasion duquel il stigmatisait l’action de la FIDH et de ses organisations membres en RDC et exprimait la volonté du Gouvernement de poursuivre M. Golden Misabiko en raison des propos que celui-ci aurait tenu. Le ministre accusait M. Misabiko d’avoir « déclaré sans ambages que le Gouvernement congolais était impliqué dans un commerce clandestin de l’uranium de Shinkolobwe (Katanga) avec l’Iran et la Corée du Nord », propos passibles, selon lui, de poursuites pour « atteinte à la sureté de l’Etat » et de « propos diffamatoires ». M. Misabiko a été maintenu en détention jusqu’à la fin du moi d’août et a été libéré sous caution pour raison médicales. A la suite de l’audience du 9 septembre 2009 conduite devant le Tribunal de paix de Lubumbashi, le dossier de M. Golden Misabiko a été mis en délibéré.

En septembre 2009, plusieurs défenseurs des droits de l’Homme qui avaient soutenu le rapport de l’ASADHO/Katanga sur l’exploitation artisanale de la mine uranifère de Shinkolobwe ont été menacé de représailles, faisant suite au harcèlement de M. Misabiko. Ainsi les 16 et 17 septembre 2009, MM. Emmanuel Umpula, directeur exécutif de l’ACIDH, Timothée Mbuya, vice-président de l’ASADHO/Katanga, et Grégoire Mulamba du Centre des droits de l’Homme et du droit humanitaire (CDH) et Mme Dominique Munongo, membre du Centre de développement pour la femme (CDF), ont reçu chacun des menaces en provenance du même numéro de téléphone. Les 18 et 21 septembre 2009 après être intervenus dans une déclaration radiotélévisée afin de dénoncer les actes de menaces et d’intimidations anonymes dont ils étaient victimes, MM. Grégoire Mulamba, Timothée Mbuya et Emmanuel Umpula et Mme Dominique Munongo ont de nouveau reçu des menaces.

RECOMMANDATIONS

Au regard de la recrudescence des actes de répression à l’encontre des défenseurs des droits de l’Homme en République démocratique du Congo, l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, programme conjoint de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), recommande aux autorités congolaises :

* de garantir en toutes circonstances l’intégrité physique et psychologique des défenseurs de droits de l’Homme des droits économiques, sociaux et culturels en RDC ;
* de cesser toute campagne de dénigrement à l’encontre des défenseurs ;
* de respecter les libertés d’opinion, d’expression, d’association, de mouvement et de réunion pacifique des défenseurs ;
* de mettre fin au harcèlement des défenseurs des droits de l’Homme et prendre toute mesure nécessaire afin d’assurer leur protection, conformément à la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’Homme, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 9 décembre 1998 ;
* de mettre fin à l’impunité des auteurs de violations à l’encontre des défenseurs des droits de l’Homme ;
* de faire des déclarations publiques sur l’essentielle protection des défenseurs des droits de l’Homme et l’importance de leur rôle, notamment en matière de promotion des droits économiques, sociaux et culturels en RDC ;
* d’engager un dialogue constant avec les défenseurs pour mettre en œuvre des stratégies relatives à la protection et la promotion des droits de l’Homme dans le pays ;
* de coopérer pleinement avec les procédures spéciales des Nations unies, notamment en répondant systématiquement aux communications qui leurs sont envoyées ; en autorisant toute visite sollicitée par ces procédures ; et en mettant pleinement en œuvre toute recommandation faite par ces dernières ;
* de respecter et mettre en œuvre pleinement leurs engagements régionaux et internationaux en matière de droits de l’Homme.

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