Lettre ouverte à l’attention de M. Joseph Kabila, Président de la République Démocratique du Congo

26/05/2005
Communiqué
RDC

Monsieur le Président,

L’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, programme conjoint de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), exprime sa vive préoccupation concernant la fermeture de l’association Solidarité Katangaise (SK), ordonnée par M. Urbain Kisula Ngoy, gouverneur de la province du Katanga.

Selon les informations reçues de l’Association africaine de défense des droits de l’Homme (ASADHO) au Katanga et de Solidarité Katangaise, une organisation non gouvernementale de développement basée à Lubumbashi, cette mesure a été prise par arrêté provincial (non numéroté) le 21 mai 2005, interdisant le fonctionnement de Solidarité Katangaise sur toute l’étendue de la province du Katanga, au motif qu’elle "fonctionne comme une association de fait, opérant en marge de la loi, son activité n’étant pas légalement autorisée, ni au niveau national ni au niveau provincial". Cet arrêté viole la Constitution de transition, dont l’article 40, alinéas 1 et 2, stipule que "le droit de créer des associations est garanti. Les pouvoirs publics collaborent avec les associations nationales privées qui contribuent au développement social, économique, intellectuel, culturel, moral et spirituel des populations et à l’éducation des citoyens et des citoyennes", et de la Loi n°004/2001 du 20 juillet 2001 qui régit les dispositions générales applicables aux associations sans but lucratif (ASBL) et aux établissements d’utilité publique. Or d’après le gouverneur, cet arrêté se fonde sur l’article 5 de cette Loi n° 004/2001, qui stipule qu’ "en attendant l’obtention de la personnalité juridique, l’avis favorable du Ministre ayant dans ses attributions le secteur d’activité visé vaut autorisation provisoire de fonctionnement".

L’Observatoire souligne que le 18 juillet 2004 Solidarité Katangaise avait adressé au Ministre de la Justice une requête d’obtention de la personnalité juridique, à la suite de quoi le ministère de la Justice avait autorisé le 11 août 2004 le fonctionnement provisoire de l’association en attendant l’octroi de la personnalité juridique par voie d’arrêté ministériel (lettre n° Just. GS/20/593/2004), ce conformément à l’article 5 de la loi précitée. En vertu de l’alinéa 3 de cet article, "passé un délai de six mois, la personnalité juridique est sensée être octroyée ". En outre, le Chef de Division Provinciale de la Justice et Garde des Sceaux du Katanga à Lubumbashi, responsable des cultes et des associations, avait délivré à Solidarité
Katangaise le certificat d’enregistrement n° 195/446/04, et le Gouverneur de Province lui-même avait assisté à l’Assemblée générale extraordinaire de Solidarité Katangaise le 19 mars 2005, à Lubumbashi. Cette interdiction contredit l’article 23 de la Loi n°004/2001, en vertu duquel le gouverneur a le pouvoir de suspendre et non d’interdire les activités d’une association dans la province. De plus, cette suspension doit être ordonnée au motif qu’elle a troublé l’ordre public ou attenté aux bonnes moeurs, ce qui n’est manifestement pas le cas. Le gouverneur Urbain Kisula Ngoy a donc interdit le fonctionnement de Solidarité Katangaise sans en avoir la compétence, et de façon illégale. Cette interdiction s’inscrit en contradiction avec les dispositions de la Déclaration des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’Homme et notamment de son article 5.a qui dispose qu’ "afin de promouvoir et protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales, chacun a le droit, individuellement ou en association avec d’autres, aux niveaux national et international de se réunir et de se rassembler pacifiquement (...)".

Par ailleurs, l’Observatoire été informé par le Centre des droits de l’Homme et du droit humanitaire (CDH), Solidarité Katangaise et Action contre l’impunité pour les droits humains des menaces d’arrestation, d’enlèvement et d’élimination physique dont fait l’objet, depuis le 30 avril 2005, M. Jean-Claude Muyambo Kyassa, président national de Solidarité Katangaise, directeur honoraire du CDH, président du groupe socio-culturel Sempya et bâtonnier du Barreau de Lumbumbashi, en raison des actions menées par Solidarité Katangaise en faveur de l’éducation civique et de l’éveil de la conscience politique des citoyens. Il s’était notamment prononcé contre un éventuel report des élections prévues le 30 juin 2005 et avait, à cet égard, été accusé de vouloir inciter la population à la révolte. Il aurait également été informé fin avril 2005 qu’une attaque contre lui était en préparation. En octobre 2004, M. Jean-Claude Muyambo Kyassa avait déjà été injustement accusé d’avoir commandité une attaque d’éléments indépendantistes, dans la nuit du 13 au 14 octobre 2004, dans le territoire de Mpweto, au Katanga. Enfin, les 5, 12 et 21 mai 2005, des agents de l’Agence nationale des renseignements (ANR) ont à plusieurs reprises interdit M. Jean-Claude Muyambo Kyassa de se rendre à Kinshasa, ce sans motif valable, ni des services de sûreté de l’Etat ni du parquet. De plus, alors que le 11 mai 2005, une réunion au gouvernorat de province avait lieu entre le chef de l’Etat et les différentes notabilités du Katanga (chefs coutumiers, présidents des associations socio-culturelles, professeurs d’université...), les agents de l’ANR ont demandé à M. Jean-Claude Muyambo Kyassa, qui, en tant que président national de Sempya, avait été invité par le protocole d’Etat, de quitter la salle avant l’entrée du Président Kabila.

L’Observatoire est vivement préoccupé par ces menaces à l’encontre de M. Jean-Claude Muyambo Kyassa, ainsi que l’interdiction touchant l’association Solidarité Katangaise, qui illustrent les menaces et intimidations fréquentes dont sont victimes les défenseurs des droits de l’Homme en RDC. De plus, l’Observatoire craint que cette situation ne se dégrade à l’approche des élections prévues le 30 juin 2005.

C’est pourquoi l’Observatoire prie les autorités congolaises de veiller à ce que l’interdiction visant Solidarité Katangaise soit levée, notamment par l’abrogation de l’arrêté manifestement illégal du gouverneur de la province du Katanga, ainsi que de garantir en toutes circonstances l’intégrité physique et psychologique de M. Jean-Claude Muyambo Kyassa, et de mettre un terme à toute forme de menaces et de harcèlement à son encontre, à l’encontre de Solidarité Katangaise ainsi que de tous les défenseurs des droits de l’Homme congolais.

L’Observatoire demande également aux autorités congolaises de se conformer aux dispositions de la Déclaration des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’Homme, adoptée par l’Assemblée Générale des Nations unies le 9 décembre 1998, notamment son article 1 qui dispose que "chacun a le droit, individuellement ou en association avec d’autres, de promouvoir la protection et la réalisation des droits de l’Homme et des libertés fondamentales au niveau national et international", l’article 5.a mentionné ci-dessus, et l’article 12.2 qui dispose que "l’Etat prend toutes les mesures nécessaires pour assurer que les autorités compétentes protègent toute personne, individuellement ou en association avec d’autres, de toute violence, menace, représailles, discrimination de facto ou de jure, pression ou autre action arbitraire dans le cadre de l’exercice légitime des droits visés dans la présente Déclaration".

Plus généralement, l’Observatoire demande aux autorités congolaises de se conformer aux dispositions de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, ainsi qu’aux instruments internationaux et régionaux de protection des droits de l’Homme auxquels la République Démocratique du Congo est partie.

En espérant que vous prendrez en compte les présentes requêtes, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de notre plus haute considération.

Sidiki KABA Président de la FIDH
Eric SOTTAS Directeur de l’OMCT

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