Lettre Ouverte à M. Joseph Kabila, Président de la République Démocratique du Congo

09/08/2002
Communiqué
RDC

Monsieur le Président de la République,

Dans le cadre de leur programme conjoint de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), tiennent à exprimer leur plus vive préoccupation au regard de l’arrestation, le 7 août 2002, de M. Eugène Ngimbi Mabedo, responsable et éditeur de l’hebdomadaire L’Intermédiaire.

Selon les informations reçues par la Voix des Sans Voix et Journalistes en Danger, M. Ngimbi Mabedo a été directement emmené au Parquet près la Cour d’Ordre Militaire (COM, tribunal d’exception jugeant en premier et dernier ressort), après son arrestation. Il y est toujours détenu.

M. Ngimbi Mabedo est poursuivi pour « diffamation à l’encontre de la COM et du procureur général près la COM, le Colonel Charles Alamba », en lien notamment avec un article paru dans L’Intermédiaire le 7 août 2002 en faveur de la libération de M N’sii Luanda Shandwe, Président du Comité des observateurs des droits de l’Homme, et M. Willy Wenga Ilombe, avocat, membre du Centre africain pour la paix, la démocratie et les droits de l’Homme (ACPD), arbitrairement détenus après avoir été interrogés et détenus à la COM. L’article critiquait également le fonctionnement de la justice telle qu’administrée par la COM.

L’Observatoire considère que la détention de M. Ngimbi Mabedo est arbitraire car elle ne vise qu’à sanctionner sa liberté d’expression. Par ailleurs, l’Observatoire s’inquiète qu’une cour militaire soit compétente pour juger M. Ngimbi Mabedo, civil, contrairement au décret régissant la COM et aux engagements que vous avez pris à cet égard.

Par conséquent, l’Observatoire appelle à la libération immédiate de M. Ngimbi Mabedo.

Par ailleurs, l’Observatoire tient à exprimer sa préoccupation croissante à l’égard de la situation de M. N’sii Luanda, ainsi que de Willy Wenga Ilombe, arrêtés respectivement les 19 avril et 20 février 2002. Tous deux sont détenus au Centre pénitentiaire et de rééducation de Kinshasa (CPRK), sans qu’aucune charge n’ait été prononcée à leur encontre, au motif qu’ils auraient été en contact avec des personnes suspectées d’atteinte à la sûreté de l’Etat.

Dans un contexte où la défense des droits de l’Homme est fréquemment associée à des activités criminelles d’atteinte à la sûreté de l’Etat, l’Observatoire craint que leur arrestation ne vise à sanctionner leur activité en faveur de la défense des droits de l’Homme en République Démocratique du Congo et à faire ainsi pression sur la société civile pour empêcher toute forme de contestation. L’Observatoire rappelle que M. N’sii Luanda avait été détenu du 5 juin au 29 octobre 2001 sans aucune charge dans les locaux de l’Agence nationale de renseignements (ANR) à Kinshasa. Il avait été libéré par ordonnance de mainlevée du procureur de la République.

L’Observatoire demande que M. N’sii Luanda et M. Willy Wenga Ilombe soient libérés dans les plus brefs délais ou, en cas de charges valides à leur encontre, qu’ils soient présentés devant une juridiction civile et que soit garanti leur droit à un procès juste et équitable conformément aux dispositions du droit international liant la RDC.

Enfin, l’Observatoire, a été informé que les organisations prenant part à la campagne en faveur de la libération des deux défenseurs des droits de l’Homme ont été convoquées par le Colonel Alamba le 10 août 2002 au matin, pour une réunion de concertation à son cabinet. L’Observatoire, qui apporte son entier soutien aux démarches entreprises par ces organisations, vous prie de veiller à ce que leur sécurité soit garantie et qu’aucune pression ne soit exercée à leur encontre lors de la réunion devant se tenir demain, et plus généralement dans le cadre de leur campagne. L’Observatoire rappelle à cet égard qu’un rassemblement pacifique en faveur de la libération de M. N’sii Luanda et M. Wenga Ilombe, prévu devant la Présidence de la République, a été interdit le 9 juillet dernier.

Plus généralement, l’Observatoire prie les plus hautes autorités congolaises de se conformer aux dispositions de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’Homme adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 9 décembre 1998, notamment à son article 1 qui dispose que « chacun a le droit, individuellement ou en association avec d’autres de promouvoir la protection et la réalisation des droits de l’Homme et des libertés fondamentales aux niveaux national et international » et son article 6.b selon lequel « chacun a le droit d’étudier, discuter, apprécier et évaluer le respect, tant en droit qu’en pratique, de tous les droits de l’Homme et de toutes les libertés fondamentale et, par ces moyens et autres moyens appropriés, d’appeler l’attention du public sur la question ».

Espérant que vous donnerez une suite positive aux présentes requêtes, nous vous prions, Monsieur le Président de la République, de bien vouloir agréer l’expression de notre haute considération.

Sidiki Kaba
Président FIDH
et
Eric Sottas
Directeur OMCT

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