LE PROCÈS INACHEVÉ DES ASSASSINS DE FLORIBERT CHEBEYA ET FIDÈLE BAZANA

24/06/2011
Rapport
RDC

L’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, un programme conjoint de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), prend acte du verdict rendu hier par la Cour militaire de Kinshasa-Gombe dans le procès sur l’assassinat de Floribert Chebeya Bazire et de Fidèle Bazana Edadi, respectivement directeur exécutif et membre de la Voix des sans voix (VSV). L’Observatoire déplore une fois de plus que la responsabilité pénale du général Numbi n’ait pas été examinée par la justice et que le sort de Fidèle Bazana n’ait pas été élucidé.

Le 23 juin 2011, la Cour militaire de Kinshasa-Gombe a rendu son verdict condamnant cinq des huit policiers prévenus, dont quatre à la peine capitale [1] et un à la prison à perpétuité [2], et acquittant les trois autres [3].

La Cour a également reconnu la responsabilité civile de l’Etat congolais dans l’assassinat de Floribert Chebeya, également membre de l’Assemblée générale de l’OMCT, ainsi que dans l’enlèvement et la détention illégale de Fidèle Bazana par plusieurs de ses agents et a ordonné l’octroi de réparations à l’ensemble des parties civiles. L’Observatoire note avec satisfaction cette reconnaissance de l’implication d’agents de l’Etat, et en particulier de celle du colonel Daniel Mukalay, dont le rôle dans l’assassinat des deux défenseurs a été décisif.

L’Observatoire déplore toutefois l’incapacité de la justice congolaise à faire toute la lumière et à établir toutes les responsabilités sur l’assassinat emblématique des deux défenseurs.

En premier lieu, la justice militaire n’a jamais pu inquiéter le général John Numbi Banza Tambo, inspecteur général de la police nationale congolaise (IG/PNC), en raison d’une impunité institutionnalisée, alors que l’instruction de l’Auditorat militaire avait permis d’envisager sa responsabilité en tant qu’instigateur de ces crimes.

En second lieu, le procès n’a pas permis de faire éclater la vérité sur les circonstances exactes du décès de Floribert Chebeya et sur le sort de Fidèle Bazana, dont le corps n’a toujours pas été restitué. De même, les infractions d’“assassinat” à l’encontre de Fidèle Bazana et d’“association de malfaiteurs” n’ont pas été retenues.

En troisième lieu, il convient de rappeler que trois des condamnés à mort l’ont été in absentia et qu’ils restent en fuite. L’Observatoire s’étonne par ailleurs de l’acquittement de trois policiers dont l’instruction avait pourtant révélé leur rôle dans la disparition d’éléments de preuve.

Enfin, nos organisations réprouvent les condamnations à la peine capitale prononcées par la Cour militaire, en ce qu’elles constituent une pratique inhumaine et dégradante.

“Ce verdict ne peut nous satisfaire alors que John Numbi n’a jamais comparu en tant qu’accusé et que le corps de Fidèle Bazana n’a toujours pas été rendu aux siens”, a déclaré Souhayr Belhassen, présidente de la FIDH.

“Durant des années j’ai été le témoin de l’engagement courageux et serein de Floribert qui luttait pour une République démocratique du Congo pacifiée dans le respect de la justice. Les défenseurs congolais sont victimes depuis plusieurs années d’actes de grande violence. Il est important pour les autorités congolaises de garantir pleinement l’impératif de vérité et de justice sur l’assassinat de nos collègues Floribert Chebeya et Fidèle Bazana”, a ajouté Eric Sottas, secrétaire général de l’OMCT.

En mars 2011, l’Observatoire avait mandaté une mission d’observation judiciaire conduite par Me Martin Pradel, avocat au Barreau de Paris. Sur la base des éléments recueillis lors de cette mission, l’Observatoire publie ce jour un rapport de mission démontrant que la procédure judiciaire a été emprunte de nombreux dysfonctionnements qui empêchent la justice d’établir les responsabilités de l’assassinat de Floribert Chebeya et de Fidèle Bazana.

Sur la base de ces informations, l’Observatoire formule des recommandations aux autorités congolaises, aux procédures spéciales du Conseil des droits de l’Homme des Nations unies et de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples ainsi qu’aux représentations diplomatiques présentes en RDC afin que les autorités judiciaires poursuivent et jugent tous les responsables du double assassinat de Floribert Chebeya et Fidèle Bazana dans le cadre d’un procès équitable devant un tribunal indépendant, compétent et impartial et d’appliquer les sanctions pénales, civiles et/ou administratives adéquates prévues par la loi.

Par ailleurs, l’Observatoire demande aux autorités congolaises de garantir en toutes circonstances la protection des défenseurs des droits de l’Homme, conformément à la Déclaration des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’Homme et aux autres instruments internationaux et régionaux relatifs aux droits de l’Homme ratifiés par la RDC.

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