Intervention de la FIDH et de l’OMCT à l’ouverture de la Conférence nationale sur les droits humains, le 24 juin 2001 à Kinshasa

24/06/2001
Rapport
RDC

A l’occasion de la tenue à Kinshasa, du 24 au 30 juin 2001, de la Conférence Nationale sur les Droits de l’Homme en République démocratique du Congo - convoquée par décret présidentiel n° 007/01 du 23 février 2001 - la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme (FIDH) et l’Organisation Mondiale Contre la Torture (OMCT) souhaitent exprimer leurs attentes à l’ouverture de cette conférence.

Le 26 janvier 2001, dans son discours d’investiture, Monsieur le Président de la République, Joseph Kabila, a mis l’accent sur la nécessité de renforcer l’Etat de droit, de consolider la démocratie et la bonne gouvernance, de garantir les droits de l’homme, de promouvoir la sécurité juridique et judiciaire.

Dans son allocution à l’occasion de la 57ème session de la Commission des droits de l’homme des Nations Unies, Monsieur le Président de la République a souligné l’attachement de la République démocratique du Congo aux droits de l’Homme et au droit international humanitaire, conformément à ses obligations internationales. La Conférence nationale sur les droits de l’Homme y a été présentée comme la matérialisation de cette volonté.

Cependant, au regard des événements qui se sont récemment produits en République démocratique du Congo, la FIDH et l’OMCT souhaitent attirer l’attention du Président de la République sur plusieurs faits particulièrement préoccupants.

La situation des défenseurs des droits de l’Homme reste des plus préoccupantes. Dans un appel urgent diffusé le 19 juin 2001, l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme - programme conjoint de la FIDH et de l’OMCT - a exprimé sa plus vive inquiétude quant aux arrestations et détentions de Golden Misabiko, Président de l’Association Africaine des Droits de l’Homme, section du Katanga (ASADHO - Katanga), de N’sii Luanda, Président du Comité des Observateurs des Droits de l’Homme (CODHO).

Les journalistes continuent d’être la cible des autorités. Ainsi, Freddy Loseke, directeur de la publication de La Libre Afrique, a été arrêté le 30 mai 200. Il convient également de rappeler que le Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’Homme dans la République démocratique du Congo, Monsieur Roberto Garreton, a transmis au gouvernement des communications relatives à 35 journalistes arrêtés, poursuivis ou condamnés par la Cour d’Ordre Militaire (COM) ou intimidés dans l’exercice de leur profession.

Si la FIDH et l’OMCT se félicitent de l’abrogation du Décret-loi n° 194 relatif à l’organisation et au fonctionnement des partis et regroupements politiques, les interdictions de rassemblement récemment opposées notamment à l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS) démontrent qu’en pratique ce décret n’a pas été aboli.

La Cour d’Ordre Militaire (COM), instituée pour ne connaître que des infractions aux codes et règlements militaires, s’emploie à juger les principaux dirigeants politiques et les journalistes placés en détention. A cet égard, dans sa résolution 2001/19 sur la situation des droits de l’homme en République démocratique du Congo, la Commission des droits de l’Homme s’est déclarée préoccupée par "v) La condamnation à mort et l’exécution de civils traduits devant la Cour militaire, au mépris des obligations souscrites par la République démocratique du Congo en vertu du Pacte International relatif aux droits civils et politiques". Il convient également d’ajouter que des enfants soldats - Diyavanga Nkuyu, Mbumba Ilunga, Mwati Kabwe, Bosey Jean-Louis et Banga Djuna - ont été condamnés à mort, avant de voir leur peine commuée en prison à perpétuité, et ce en violation de la Convention relative aux droits de l’enfant à laquelle la République démocratique du Congo est partie. Nanasi Kisala, autre enfant soldat né en 1984 et condamné le 27 avril 2001 pour homicide volontaire, n’a pas bénéficié de la décision présidentielle et reste donc en attente de son exécution. La FIDH et l’OMCT se joignent à la recommandation du Rapporteur spécial sur la situation des droits de l’Homme en République démocratique du Congo, de supprimer sans délai la Cour d’Ordre Militaire.

Malgré l’intention manifestée à plusieurs reprises par les plus hautes autorités publiques de la RDC tant à la Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’Homme qu’au Rapporteur spécial, d’abolir la peine de mort, celle-ci est toujours en vigueur.

Lors de son intervention devant la 57ème session de la Commission des droits de l’Homme, Monsieur le Président de la République, Joseph Kabila, a précisé que sur sa décision (datant du 8 mars 2001), "les cachots et autres lieux de détention ne dépendant pas du Parquet [avaient] été fermés." Des informations provenant d’ONG présentes sur le terrain, partenaires de la FIDH et de l’OMCT, démentent cette affirmation. Ainsi, Pierre Ngbutene Ngbende est mort sous la torture dans la nuit du 15 au 16 avril 2001 alors qu’il se trouvait à la Détection Militaire des Activités Anti-patrie (DEMIAP). En outre, de récentes informations font état du fait que le pavillon 11 du Centre Pénitentiaire et de Rééducation de Kinshasa (CPRK) a été transformé en un lieu de détention parallèle.

Si la FIDH et l’OMCT se félicitent de l’amnistie accordée, en février et en décembre 2000, à quelques 800 personnes, les deux organisations expriment leur vive inquiétude quant au fait qu’aucun document attestant de l’amnistie accordée n’a été remis aux personnes libérées.

La FIDH et l’OMCT souhaitent que cette conférence constitue une réelle avancée en faveur de l’Etat de droit et du respect des libertés fondamentales. Aussi nous demandons aux autorités qu’elles s’engagent concrètement sur la voie des réformes annoncées.

Sidiki Kaba
Président FIDH
et
Eric Sottas
Directeur OMCT

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