République démocratique du Congo : Lettre ouverte aux autorités

13/06/2014
Appel urgent
RDC

A l’attention de M. MBUY MBIYE
Bâtonnier de l’Ordre national des avocats
République démocratique du Congo
mbuymbiye@yahoo.fr

En copie :
S.E M. Joseph Kabila, Président de la République démocratique du Congo : pp@presidentrdc.cd
Premier Ministre, Chef du gouvernement : primaturerdc@yahoo.fr
Mme Wivine Mumba Matipa, Ministre de la Justice et des droits humains : mumbamatipa@yahoo.fr ; matipamumba@yahoo.fr
Procureur général de la République : florykan@yahoo.fr
Doyen du Conseil de l’ordre près la Cour suprême de justice : avocatmukendi@yahoo.fr
Procureur général de Lubumbashi
Bâtonnier de Lubumbashi : batjacqueshesha@gmail.com

Paris - Genève, le 13 juin 2014

Objet : Harcèlement disciplinaire contre sept avocats près la Cour d’appel de Lubumbashi en représailles de leur soutien au bâtonnier et défenseur des droits de l’Homme Ntoto Aley Angu Damase

Monsieur le bâtonnier,

L’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, programme conjoint de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), souhaite porter à votre attention la situation du bâtonnier Muyambo Kyassa et de MM. John Kabeya, Jean Ngindu, Deplhin Konde, Musiku Nsiku, Kiboko et Georges Kapiamba, qui subissent un harcèlement disciplinaire en raison de leur soutien au bâtonnier honoraire et défenseur des droits de l’Homme Me Ntoto Aley Angu Damase.

Le 9 juin 2014, le bâtonnier Muyambo Kyassa ainsi que MM. Kabeya, Ngindu, Konde, Musiku Nsiku, Kiboko et Kapiamba ont reçu une citation à comparaître devant le Conseil de l’ordre des barreaux de Lubumbashi, émise par le secrétaire de l’Ordre Kalenga Mwanabute. Les sept avocats sont appelés à comparaître le 25 juin 2014 devant le Conseil de l’ordre, siégeant en matière disciplinaire.

Cette convocation fait suite au soutien apporté par ces avocats au bâtonnier Ntoto comme 288 autres, qui le 19 mai 2014 a été suspendu de l’exercice de sa profession d’avocat et s’est vu infliger une inéligibilité de cinq ans au poste de bâtonnier national[1]. Après la tenue de son audience disciplinaire le 16 mai 2014, des avocats du barreau de Lubumbashi ont initié une pétition dénonçant la violation des garanties à un procès équitable dans les poursuites engagées contre Me Ntoto. La pétition a été signée par 285 avocats et envoyée notamment au doyen du Conseil de l’ordre du barreau près la Cour suprême de justice.

Le bâtonnier Muyambo Kyassa ainsi que MM. Kabeya, Ngindu, Konde, Musiku Nsiku, Kiboko et Kapiamba sont cités à comparaître pour « infraction aux règles professionnelles », « manquement à la probité et à l’honneur », et « actions tendant à discréditer et à mettre en péril l’ordre ». Ces sept avocats risquent la radiation pour avoir légitimement apporté leur soutien au bâtonnier Ntoto, alors même que l’article 27 de la Constitution de la République démocratique du Congo garantit à toute personne le droit d’adresser une pétition aux autorités publiques.

De surcroît, selon les informations reçues, vous avez transmis le 1er juin 2014 un e-mail à Me Georges Kapiamba l’accusant de diffamation à votre égard et de s’être comporté de manière indigne de son statut d’avocat et de défenseur des droits de l’Homme, alors même que Me Kapiamba a dénoncé publiquement les violations du droit à un procès équitable dans le cadre de la procédure intentée contre Me Ntoto, et suscité une mobilisation internationale autour du cas de ce dernier.

L’Observatoire exprime sa vive inquiétude quant à ces actes de représailles visant des avocats défendant Me Ntoto, lui-même suspendu de sa profession pour avoir légitimement exercé ces activités de défenseur des droits de l’Homme. MM. Muyambo Kyassa, Kabeya, Ngindu, Konde, Musiku Nsiku, Kiboko et Kapiamba n’ont fait qu’alerter sur les violations des instruments juridiques congolais et internationaux dans la procédure engagée contre un défenseur des droits de l’Homme, en conformité avec l’article 23 de la Constitution de la RDC qui garantit le droit à la liberté d’expression.

L’Observatoire vous prie par conséquent de faire cesser le harcèlement disciplinaire de MM. Muyambo Kyassa, Kabeya, Ngindu, Konde, Musiku Nsiku, Kiboko et Kapiamba.

L’Observatoire appelle également les autorités congolaises, et notamment le procureur général de la République, à prendre toutes les dispositions nécessaires pour protéger les défenseurs des droits de l’Homme, y compris les avocats impliqués dans la défense de ces derniers.

L’Observatoire rappelle que la République démocratique du Congo est tenue de garantir le respect des dispositions de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’Homme, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 9 décembre 1998, et plus particulièrement son article 9 qui prévoit que « chacun a le droit, individuellement ou en association avec d’autres, de disposer d’un recours effectif et de bénéficier d’une protection en cas de violation de ces droits » et « qu’à cette même fin, chacun a le droit, individuellement ou en association avec d’autres, notamment : a) De se plaindre de la politique et de l’action de fonctionnaires et d’organes de l’État qui auraient commis des violations des droits de l’homme et des libertés fondamentales, au moyen de pétitions ou autres moyens appropriés, auprès des autorités judiciaires, administratives ou législatives nationales compétentes ou de toute autre autorité compétente instituée conformément au système juridique de l’État, qui doit rendre sa décision sans retard excessif ; (…) ; c) D’offrir et prêter une assistance juridique professionnelle qualifiée ou tout autre conseil et appui pertinents pour la défense des droits de l’homme et des libertés fondamentales ».

L’Observatoire attire enfin votre attention sur les Principes de base relatifs au rôle du barreau adoptés par les Nations unies à La Havane le 7 septembre 1990, et notamment sur le principe 16 établissant que « les pouvoirs publics veillent à ce que les avocats puissent s’acquitter de toutes leurs fonctions professionnelles sans entrave, intimidation, harcèlement ni ingérence indue » ainsi que le principe 23 disposant que « les avocats, comme tous les autres citoyens, doivent jouir de la liberté d’expression, de croyance, d’association et de réunion. En particulier, ils ont le droit de prendre part à des discussions publiques portant sur le droit, l’administration de la justice et la promotion et la protection des droits de l’homme et d’adhérer à des organisations locales, nationales ou internationales, ou d’en constituer, et d’assister à leurs réunions sans subir de restrictions professionnelles du fait de leurs actes légitimes ou de leur adhésion à une organisation légitime ».

Convaincus que vous serez sensibles à l’urgence de cette demande, nous vous remercions par avance de l’attention particulière que vous y porterez.

Karim LAHIDJI
Président de la FIDH

Gerald STABEROCK
Secrétaire général de l’OMCT

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