Paris-Genève, le 3 septembre 2024. Au cours du mois d’août 2024, 72 défenseur·es des droits humains et membres de communautés locales ont été arbitrairement arrêté·es et détenu·es, alors que les manifestations contre les projets pétroliers se multiplient en Ouganda. La répression s’intensifie à mesure que des projets pétroliers de grande envergure progressent dans la région, notamment les projets East African Crude Oil Pipeline (Eacop), Kingfisher et Tilenga, détenus et exploités par la société française TotalEnergies et l’entreprise d’État chinoise China National Offshore Oil Company (CNOOC), en coopération avec les gouvernements de l’Ouganda et de la Tanzanie
Le 26 août 2024, 21 activistes ont été arrêtés alors qu’ils marchaient vers le Parlement, le siège de TotalEnergies et les bureaux de CNOOC à Kampala pour remettre une pétition contre le projet EACOP. Selon leur avocat, sept des activistes arrêtés sont membres de communautés affectées par le projet EACOP. Vingt d’entre eux ont été détenus au poste de police de Buganda Road avant de comparaître devant le tribunal le 27 août 2024, où ils ont été inculpés de « nuisance publique » et placés en détention provisoire à la prison de Luzira jusqu’au 3 septembre 2024. Le 3 septembre 2024, les 20 activistes, dont les sept membres de la communauté affectée, ont comparu devant le tribunal. Cependant, le magistrat étant absent, ils ont été maintenus en détention jusqu’à ce qu’ils puissent comparaître à nouveau devant le tribunal le 5 septembre 2024. Le dernier activiste arrêté a été détenu au poste de police de Jinja Road et a été libéré le 27 août 2024, après que la police a pris ses coordonnées pour le joindre en cas de procédure ultérieure. Le jour de leur arrestation, plusieurs manifestations simultanées ont eu lieu dans tout le pays.
Le 9 août 2024, 47 étudiant·es ont été arrêté·es par la police à Kampala, alors qu’ils et elles participaient à une manifestation pacifique contre le projet Eacop. Ils et elles souhaitaient marcher vers le Parlement ougandais pour remettre une pétition s’opposant au projet et exhortant le gouvernement ougandais à signer un traité de non-prolifération des combustibles fossiles. Cependant, 45 étudiant·es ont été arrêté·es avant d’atteindre le Parlement, alors qu’ils et elles se déplaçaient en taxi, et deux autres étudiant·es ont été arrêté·es devant le Parlement. Trois chauffeur·es ont également été arrêté·es. Le 10 août 2024, 45 des 47 activistes, qui avaient été détenu·es au poste de police de Jinja Road, ont été libérés. Les deux autres militants, Kalyango Shafik et Oundo Humphrey, qui avaient été détenus au commissariat central de Kampala, ont été inculpés d’« incitation à la violence ». Ils ont été libérés le 14 août 2024 sous caution de la police, ce qui les oblige à se présenter à la police à chaque fois que cela est nécessaire.
Le 5 août 2024, trois activistes ougandais et un activiste belge ont été arrêtés alors qu’ils marchaient vers l’ambassade de Chine à Kampala pour présenter une pétition exhortant le gouvernement chinois à retirer son soutien à CNOOC, une partie prenante minoritaire du projet EACOP et l’un des partenaires de la coentreprise des projets Tilenga et Kingfisher, ainsi que l’opérateur principal de ce dernier. Ils ont été libérés sous caution de la police, les trois activistes ougandais le jour même de leur arrestation et l’activiste belge le 6 août 2024.
Ces arrestations portent le nombre total d’arrestations liées à ces projets pétroliers à grande échelle à au moins 81 depuis le 27 mai 2024. Cette répression touche particulièrement les personnes qui participent à des manifestations pacifiques contre les projets EACOP et Kingfisher. L’Observatoire rappelle que le 5 juin 2024, Adriko Sostein a été arrêté puis libéré sous caution policière le 6 juin 2024 et que le 27 mai 2024, Bob Barigye, Noah Katiiti, Newton Mwesigwa, Julius Byaruhanga, Desire Ndyamwesigwa, Raymond Binntukwanga, et Jealousy Mugisha Mulimbwa ont également été arrêtés à Kampala et libérés sous caution policière le 28 mai 2024. Un cas de torture en détention, et des cas de harcèlement judiciaire et moral, de menaces et d’intimidation à l’encontre de défenseur·es et d’activistes des droits de l’environnement ont également été signalés. Le 4 juin 2024, Stephen Kwikiriza a été enlevé et détenu au secret pendant six jours, après avoir reçu des menaces de la part des Forces de défense du peuple ougandais déployées dans la zone du projet Kingfisher. Il est rapporté qu’il a été torturé en détention, y compris par des coups sévères nécessitant une hospitalisation, une privation de nourriture pendant un jour et demi, et des humiliations.
L’augmentation spectaculaire du nombre d’arrestations au cours des quatre derniers mois souligne l’escalade de la répression. L’Observatoire rappelle que Jealousy Mugisha Mulimbwa avait déjà été arrêté arbitrairement le 14 décembre 2019 et que Bob Barigye a également été arrêté arbitrairement le 24 janvier 2023 et libéré sous caution le 27 janvier 2023. En plus des violations mentionnées ci-dessus, l’Observatoire a rapporté depuis 2020 de nombreux cas de harcèlement juridique et judiciaire et d’intimidation à l’encontre d’individus et d’organisations défendant les droits humains et environnementaux dans le cadre du développement de projets pétroliers affectant le bien-être des populations locales et la biodiversité.
Les impacts et les risques en matière de droits humains et d’environnement liés aux projets pétroliers mentionnés ont été dénoncés à plusieurs reprises par la société civile, les communautés affectées et les organisations de défense de l’environnement et des droits humains, dont la FIDH, en particulier pour leur impact social et environnemental en Ouganda et en Tanzanie. Récemment, des manifestations plus régulières ont été organisées pour s’opposer aux projets pétroliers, alors que la construction des sites pétroliers s’accélère et que les entreprises se démènent pour obtenir le financement des projets, à la fois de la part des États et des acteurs privés.
Recommandations :
L’Observatoire exhorte les autorités ougandaises à mettre fin à la répression contre les défenseur·es des droits humains et de l’environnement, à libérer immédiatement toutes les personnes détenues arbitrairement et à mettre fin à tout acte de harcèlement, y compris au niveau judiciaire, et à tout acte d’intimidation à l’encontre des défenseur·es des droits humains.
L’Observatoire exhorte les autorités ougandaises à respecter leurs obligations en matière de droits humains en vertu de la Constitution ougandaise, de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en respectant, protégeant, promouvant et réalisant les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’expression. Les autorités ougandaises doivent prendre des mesures urgentes pour enquêter sur la récente escalade de la répression et prendre des mesures pour permettre aux défenseur·es des droits humains et environnementaux de travailler librement.
L’Observatoire appelle également les entreprises et les investisseurs impliqués dans les projets pétroliers, conformément à leurs responsabilités en matière de droits humains, à prendre des mesures pour répondre aux demandes des communautés de manière adéquate et rapide, à enquêter sur les allégations de violations des droits humains qui semblent être liées à leurs projets en Ouganda, et à exercer leur influence sur les autorités ougandaises pour mettre un terme à cette escalade de la répression.
De plus, TotalEnergies devrait se conformer à ses propres engagements en matière de respect des droits des défenseur·es des droits humains. L’entreprise a souligné publiquement en avril 2023 les « mesures étendues que les filiales de TotalEnergies en Ouganda et en Tanzanie [avaient prises] pour protéger les droits des défenseur⸱euse⸱s des droits humains (DDH) et pour exercer une influence sur les autorités compétentes conformément aux Principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’Homme (UNGP) ». Observant l’escalade de la répression, l’Observatoire appelle TotalEnergies à renforcer d’urgence les mesures qu’elle aurait prises pour protéger les défenseur·es des droits humains.
L’Observatoire appelle les organisations internationales et intergouvernementales ainsi que les gouvernements et autres acteurs diplomatiques à condamner cette répression et à renforcer la surveillance de la situation exacerbée à laquelle sont confrontés les défenseur·es des droits humains et environnementaux en Ouganda. L’Observatoire les appelle également à renforcer les mécanismes de protection afin de permettre aux défenseur·es des droits humains et environnementaux de poursuivre leurs actions légitimes en toute sécurité.
L’Observatoire, partenariat de la FIDH et de l’OMCT, a vocation à protéger les défenseur·es des droits humains victimes de violations et à leur apporter une aide aussi concrète que possible. La FIDH et l’OMCT sont membres de ProtectDefenders.eu, le mécanisme de l’Union européenne pour les défenseur·es des droits humains mis en œuvre par la société civile internationale.