Garantir les libertés d’expression et de manifestation

10/04/2018
Communiqué

Niamey, Paris - La FIDH et l’ANDDH sont préoccupées par la dégradation des libertés publiques au Niger, notamment la répression de la contestation sociale de la loi de finances 2018. La dernière Journée d’action citoyenne prévue à Niamey le 25 mars 2018 avait ainsi été interdite, ce qui a donné lieu à des affrontements entre les manifestants et la police et des arrestations de leaders de la société civile. La FIDH et l’ANDDH demandent la libération des 23 activistes arrêtés le 25 mars 2018 et appellent les autorités nigériennes aux respects des libertés publiques et constitutionnelles, en particulier les libertés de manifestation, d’expression et de la presse.

Pour le 25 mars 2018, des organisations de la société civile et de l’opposition politique avaient appelé à la tenue de la 6ème Journée d’action citoyenne (JAC), des manifestations pacifiques de mobilisation publique contre la loi de finances 2018. Le président de la Délégation spéciale (Mairie) de Niamey a dès le 23 mars pris un arrêté d’interdiction de la marche « pour des raisons évidentes de sécurité (...) et au regard du contexte sécuritaire au Niger et dans la sous-région, et d’autres part, des récentes attaques terroristes ».

L’interdiction de cette manifestation publique et populaire alors qu’au même moment se tenait, dans la capitale, le congrès du parti présidentiel, le PNDS Tarayya, est apparue comme un abus de pouvoir et une limitation du droit de manifester pacifiquement motivée davantage par des raisons politiques que sécuritaires. Les organisateurs de la marche ont dès lors considéré l’interdiction comme infondée et discriminatoire et ont choisi de maintenir leur appel à la manifestation.1

« La Constitution nigérienne et les textes internationaux garantissent la liberté de manifestation, d’expression et de presse. Ces droits sont régulièrement bafoués au Niger et cela n’est plus acceptable. Les populations ont le droit d’exprimer leur opposition pacifique, en particulier lorsque des lois anti-sociales sont adoptées. »

Djibril Abarchi, président de l’ANDDH

Des leaders de la société civile arrêtés et poursuivis

Le 25 mars 2018, peu avant la manifestation, les forces de sécurité ont procédé à l’arrestation de quatre importants leaders de la société civile : Moussa Tchangari, secrétaire général de l’association Alternative espaces citoyens (AEC) arrêté dans les locaux de son organisation ; Ali Idrissa, coordinateur du Réseau des organisations pour la transparence et l’analyse budgétaire (ROTAB) interpellé au siège du QG du Cadre de Concertation de la Société Civile (également siège du MPCR de Nouhou Arzika), Nouhou Mahamadou Arzika, président du Mouvement pour la promotion de la citoyenneté responsable (MPCR) ; et l’avocat, membre de la société civile, Me Lirwana Abdourahamane arrêté par des éléments de la police à sa sortie de la télévision privée Labari où il était invité pour une interview au journal télévisé.

Dès le matin, des policiers, gendarmes et gardes nationaux avaient pris position dans divers endroits de la ville, en particulier la Place Toumo, rassemblement habituel des marches des JAC. Vers 16h, des heurts ont éclaté entre manifestants et forces de police qui avaient reçus l’ordre de disperser tout rassemblement et d’arrêter les leaders. Les forces de sécurité ont ainsi procédé à 19 autres arrestations de manifestants pacifiques, portant à 23 le nombre d’activistes arrêtés.

La FIDH et l’ANDDH s’inquiètent également des poursuites judiciaires engagées contre les leaders de la société civile arrêtés. Le 27 mars 2018, les manifestants arrêtés ont été déférés devant le tribunal de Grande Instance de Niamey et inculpés d’« organisation et participation à une marche interdite » et « complicité de dégradations de biens publics et privés ». Quatre figures de la société civile ont été placés en détention : Nouhou Arzika à Say (sud de Niamey), Me Lirwana Abdourahamane à Dai-Kaina (ouest), Moussa Tchangari à Ouallam (au nord de la capitale), et Ali Idrissa à Filingué (à environ 180 km au nord-est de Niamey).

« Les autorités nigériennes devraient abandonner les charges contre les manifestants et les leaders de la société civile et procéder rapidement à leur libération. Criminaliser la contestation sociale et l’action de la société civile n’est pas la solution aux problèmes sociaux et politiques du Niger. La lutte contre le terrorisme et la situation sécuritaire ne doivent pas être instrumentalisées pour limiter les libertés publiques et la liberté de la presse et encore moins pour réprimer l’opposition politique ou la société civile. »

Me Drissa Traore, vice président de la FIDH

Atteintes à la liberté de la presse

Le 25 mars 2018 vers 21h, le groupe de presse (radio et télévision) Labari appartenant à Ali Idrissa a été investi par les forces de sécurité, les programmes suspendus et la chaîne fermée sans mandat judiciaire, ni notification écrite du Conseil supérieur de la communication comme le prescris la loi en la matière. Cette fermeture semble avoir été une mesure de représailles à la suite du refus des responsables de la télévision Labari de donner plus tôt dans la journée une copie du journal télévisé au cours duquel Me Lirwana avait été interrogé.

Plus tôt dans la journée, alors qu’elle couvrait les événements au niveau de l’Assemblée nationale, la blogueuse et journaliste Samira Sabou, a été brièvement interpellée par des éléments de la police qui lui ont confisqué son téléphone et sa carte de presse. Elle n’a pu les récupérer que le lendemain.
Le 29 mars 2018, la justice nigérienne, saisie en référé sur la fermeture manu militari du groupe de presse Labari ordonnait la réouverture immédiate de la radio-télévision. Ce n’est que le lendemain vers 9h45 que le détachement de la garde nationale posté devant les locaux du groupe a finalement quitté les lieux.

Contexte

Entrée en vigueur le 1er janvier 2018, la loi de finances 2018 est très critiquée depuis plusieurs mois pour son caractère inégalitaire accordant d’un côté des avantages fiscaux à des sociétés commerciales internationales tout en augmentant, de l’autre, la fiscalité pour le reste de la population et en particulier les plus démunis. Depuis octobre 2017, plusieurs organisations de la société civile se sont rassemblées au sein du Cadre de Concertation de la Société Civile pour organiser notamment des Journées citoyennes d’actions (JAC) afin de mobiliser la population contre la loi de finance 2018 considérée par les activistes comme « anti-sociale ». Avec des partis d’opposition et des syndicats, ils manifestent régulièrement depuis octobre 2017 contre la loi de finances et d’autres aspects de la politique de la mouvance présidentielle.

Le Niger, un des pays les plus pauvres de la planète, est confronté à l’action de groupes armés djihadistes de Boko Haram au sud, et ceux de la constellation des groupes liés à Al Qaida au Maghreb islamique (AQMI) ou à l’État islamique à l’Ouest et au Nord.

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