Intervention orale de l’ANDDH sur la situation générale des droits de l’Homme au Niger

31/10/2003
Appel urgent

Excellence Madame la Présidente de la Commission Africaine des Droits de l’homme et des Peuples,
Honorables Commissaires,
Honorables Délégués,
Permettez-moi, d’exprimer en quelques mots, nos vives et pressantes préoccupations du moment, au Niger. Elles sont au nombre de quatre (4) :

1°) nous sommes vivement préoccupés par la culture de l’impunité :

à l’exemple du Charnier de Boultoungour où, en 1999, près de cent cinquante(150) personnes, anciens réfugiés, ont été portés disparues dans la zone Est du Niger alors qu’elles ont été remises entre les mains des autorités locales du Niger. Un charnier est ensuite découvert à Boultoungour, probablement celui des 150 personnes. Depuis, la société civile nigérienne, notamment l’ANDDH, ensuite la FIDH, n’ont cessé de réclamer l’ouverture d’une enquête internationale. L’ancien Haut-Commissaire nigérien à la Restauration de la Paix s’était rendu sur place et avait reconnu l’existence d’un tel charnier.
Monsieur le Président, l’ANDDH, la FIDH et l’ensemble de la société civile nigérienne, réclament encore instamment cette enquête pour faire la lumière sur cet événement.


à l’exemple ensuite de l’assassinat du Président Mainassara Baré
, abattu froidement, alors qu’il prenait l’ avion pour une mission à l’intérieur du pays. Les assassins du Président Baré courent toujours. Et à ce jour aucune enquête n’a été diligentée par les autorités de la 5ème République actuelle, pour faire la lumière, rechercher et punir les assassins et leurs complices. Pour prévenir toute poursuite, les autorités militaires de la transition de 1999, ont introduit dans le projet de nouvelle Constitution, une amnistie aux auteurs des coups d’Etat de 1996 et de 1999. La Constitution de 1999, est aujourd’hui le garant de cette intolérable impunité.

à l’exemple encore des 29 prisonniers morts asphyxiés dans une cellule à la prison civile de Niamey. Ce crime est resté impuni à ce jour.


à l’exemple du drame des 5000 enfants de Tibiri
 : Tibiri est une petite ville de 27 000 habitants située à 600 Km de la Capitale Niamey où 5000 enfants sont handicapés à vie, victimes d’une intoxication au fluorure (avec un taux de fluorure de 6,9 mg/litre, soit plus de 4 fois supérieure aux normes de l’O. M S. (1,5 mg/litre). Cette Société Nationale des Eaux (S. N. E.) est aujourd’hui privatisée et reprise par la Société française Vivendi. Des 5 000 enfants, 468 sont sérieusement atteints et nécessitent des opérations chirurgicales urgentes. Malgré la mobilisation de la société civile en général, de l’A.N.D.D.H et la F.I.D.H en particulier, qui ont mené conjointement plusieurs missions d’enquête sur le terrain, l’Etat qui reste le premier et le seul responsable garde un silence froid, à la fois sur le volet médico-social que sur celui judiciaire. Ainsi, les perspectives d’une procédure judiciaire en vue du dédommagement des victimes, ne semblent pas le préoccuper. Grâce au plaidoyer national et international de l’ANDDH, une ONG luxembourgeoise de lutte contre la pauvreté s’est intéressé à ce drame et a pu organiser une première mission médicale à la suite de laquelle une vingtaine d’enfants a été opérée avec succès.
Vous pouvez aisément imaginer Monsieur le Président, Honorables Commissaires, ce qui reste à faire pour rendre justice à ces 5000 enfants handicapés à vie. Tibiri, c’est comme le dit la FIDH « l’histoire d’un drame qui dure depuis presque 20 ans ». Les enfants de Tibiri ont déjà fait l’objet d’une mission internationale d’enquête de la FIDH. Ces enfants méritent l’attention de la Commission Africaine, à défaut de celle encore inexistante de l’Etat du Niger.


2°) La détention préventive abusive des 253 militaires arrêtés suite aux mutineries de Diffa et de Niamey de juillet et août 2002.

Le 31 juillet une mutinerie a été déclenchée par les militaires en poste dans les garnisons de Diffa et Niamey. C’est dans ce contexte que furent arrêtés et incarcérés 253 militaires.. Ils sont en détention préventive dans les différentes maisons d’arrêt du pays depuis 15 mois. Les associations de défense des Droits de l’Homme n’ont jusqu’à présent malgré les demandes pressantes et répétées, pas reçus l’autorisation de leur rendre visite. Au moment où je vous parle nous ignorons totalement leurs conditions de détention et surtout leur situation juridique.
Parallèlement à ses arrestations, un code de justice militaire a été adopté par l’assemblée Nationale et promulgué par le Président de la République malgré la vive protestation de l’ensemble des structures de la société civile, qui l’a condamné au nom du principe de la non rétroactivité de la loi et en raison de certaines dispositions non respectueuses de l’Etat de droit.

3°) Le dysfonctionnement de l’appareil judiciaire

Caractérisé notamment par la non exécution des décisions de justice ou de certaines remises en cause des décisions de justice, provoquant des affrontements inter ou intra-communautaires, la lenteur judiciaire, les mauvaises conditions de détention, tous phénomènes qui font que le justiciable ne croit que peu à la justice Cette situation a été dénoncée par l’ANDDH qui pour cette raison a été critiquée et criminalisée par les autorités du Ministère de la justice. Ironie du sort, quelques semaines plus tard, les plus hautes autorités de la 5ème République, notamment le Président de la République, Premier magistrat et le Premier ministre reconnaîtront ce dysfonctionnement, en instruisant le même Ministre de la justice, pour opérer « un assainissement des mœurs au sein de la justice » minée par « les puissances d’argent », les « appuis politiques ou purement et simplement des rapports de copinage entre des magistrats et des justiciables ». Aujourd’hui, malgré ce rappel à l’ordre, la moralisation de l’appareil judiciaire n’a connu aucune évolution significative. Le nouveau Projet des Réformes Judiciaires en cours, alternative pour guérir le dysfonctionnement de l’appareil judiciaire, est à ce jour au stade de Projet.

4°) la criminalisation et la persécution des militants des droits de l’homme :

Pour avoir déclaré non conformes à la constitution, les décrets pris par le gouvernement du Niger pour juguler la crise née des mutineries militaires de juillet-août 2002 ; pour avoir produit un Rapport Annuel 2001-2002 sur la situation des droits de l’homme au Niger pour avoir accueilli la mission d’enquête de la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme (FIDH), notre Association, l’ANDDH a été criminalisée et vilipendée par les autorités du ministère de la justice qui l’ont accusée de mener « des actions nuisibles ».
Monsieur MAROU Amadou, Président de l’Association de Promotion des Droits de l’Homme (CROISADE), a été incarcéré pendant 3 mois pour le motif inexact de jet de discrédit sur la justice
Mme AMINA Balla Kalto Présidente du Collectif des Organisations de Défense des Droits de l’Homme été interpellée par les Services de la Police en raison de ses déclarations relatives aux évènements de la mutinerie de juillet et août 2002.
Monsieur Bagnou Bonkoukou, Président de la Ligue Nigérienne pour la Défense des Droits de l’Homme dénommée GARKUA DAN ADAM a été incarcéré pendant plusieurs mois pour avoir pris position dans les médias internationaux, sur les mutineries militaires de juillet-août 2002.

Monsieur le Président, honorables commissaires, honorables délégués, si le Niger a marqué sa ferme volonté en 1999 à remettre en selle l’Etat de Droit, par des élections législatives et présidentielles jugées propres et régulières, ces quelques cas, parmi tant d’autres, sont anachroniques d’avec un Etat de droit et constituent de graves violations des dispositions pertinentes de la Charte Africaine des droits de l’Homme et des Peuples.

Je vous remercie,

Pour le Bureau Exécutif National de l’ANDDH

Le Vice-Président

Dr Badié HIMA

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