Note sur la situation des droits de l’Homme en Mauritanie

30/05/2009
Communiqué

Dans le cadre de rencontres organisées les 7 et 8 avril 2009 avec les représentants du Conseil de l’Union européenne et de la Commission européenne, la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et l’Association mauritienne des droits de l’Homme (AMDH) ont fait part de leurs préoccupations sur la situation des droits de l’Homme en Mauritanie profondément marquée par le contexte politique actuel. Depuis le coup d’état survenu le 6 août 2008, les atteintes aux libertés fondamentales se sont en effet multipliées, de même que les actes de harcèlement à l’encontre de ceux qui les dénoncent. En amont de l’élection présidentielle prévue le 6 juin 2009, nos organisations formulent des recommandations à l’Union européenne pour que, dans le cadre de ses relations politiques et commerciales avec la Mauritanie, elle mette tout en oeuvre pour favoriser une sortie de crise durable.

Contexte politique

 L’arrivée au pouvoir de Sidi Ould Cheikh Abdallahi en avril 2007, premier président démocratiquement élu depuis l’indépendance du pays en 1960, s’était accompagnée de certaines avancées dans le domaine des droits de l’Homme, notamment par la mise en place d’un processus consensuel visant le règlement du passif humanitaire sur le retour des réfugiés, conséquence des
crises ethniques et raciales qui avaient divisé la société mauritanienne dans les années 1980 et1990. (journée de concertation, création d’un comité interministériel, dialogue avec la société civile,mise en place de l’agence nationale d’appui de réinsertion des réfugiés, mise en place d’une Commission vérité réconciliation et justice).

 Le 6 août 2008, le Président Sidi Ould Cheikh Abdallahi a été renversé par un coup d’Etat mené par le Général Abdelaziz commandant du Bataillon de sécurité de la présidence (BASEP) limogé par le chef de l’Etat [1]après avoir été décoré général.

 La communauté internationale a unanimement condamné le coup d’Etat organisé par la junte militaire [2] ainsi que l’arrestation par les militaires du Président Abdallahi et de plusieurs membres du gouvernement et a appelé au retour à l’ordre constitutionnel. En août 2008, la junte a libéré le Premier ministre, le ministre de l’intérieur et le directeur de l’agence nationale d’appui et d’insertion des réfugiés (ANAIR).

 Le 22 septembre, le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine a mis en garde les auteurs du coup d’Etat et leurs soutiens civils contre les risques de sanctions et d’isolement qu’ils encouraient au cas où ils ne répondraient pas positivement à l’exigence de retour à l’ordre constitutionnel en date du 6 octobre 2008. [3]

 En l’absence de réaction en ce sens de la junte, l’Union européenne a ouvert le 20 octobre des consultations au titre de l’article 96 de l’accord de Cotonou et plusieurs consultations ont également eut lieu sous l’égide de l’Union africaine.

 Finalement lors de la visite de la mission de haut niveau à Nouakchott le 7 décembre, envisagée comme la dernière chance avant l’adoption des sanctions prévues le 20 décembre 2008, le Général Abdel Aziz s’est engagé à libérer le Président déchu de façon inconditionnelle au plus tard le 24 décembre 2008. [4]
Cette libération est intervenue dans la nuit du 21 décembre. L’Union africaine a maintenu néanmoins ses menaces de sanctions si le retour à l’ordre constitutionnel n’était pas une réalité au 6 février 2009. Ainsi, le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine a décidé, mardi 24 mars 2009, de maintenir par consensus les sanctions contre la junte. Et ce, en dépit des propos tenus par le guide libyen, président en exercice de l’Union africaine, lors de sa visite en Mauritanie qui a davantage aggravé la situation politique mauritanienne.

Atteintes aux Libertés fondamentales et à la protection des défenseurs

Répression de la liberté de réunion et de manifestation pacifique

 Suite au coup d’Etat, la junte a interdit de nombreux rassemblements et manifestations. Or, dans ce contexte, un grand nombre de mouvements de la société civile, dont des membres d’ONGs de défense des droits de l’Homme et des syndicalistes, ont pris part à des manifestations pacifiques pour réclamer le retour à l’ordre constitutionnel et le respect de droits économiques ou sociaux. Plusieurs de ces manifestations pacifiques ont été violemment réprimées par les forces de sécurité.

 Ainsi le 19 août 2008, alors que la manifestation avait été autorisée, plusieurs syndicalistes, dont M. Samory Ould Beye, secrétaire général de la Confédération libre des travailleurs de Mauritanie (CLTM), ont été conduits de force au poste de police de Nouakchott après avoir été tabassé par la police, avant d’être libérés ultérieurement.

 Cette situation s’est reproduite en octobre alors que six syndicats mauritaniens [5] avaient appelé à une manifestation pacifique à Nouakchott afin de célébrer la Journée mondiale en faveur du travail décent le 7 octobre 2008. Une vingtaine de manifestants ont été blessés et plusieurs d’entre eux ont été conduits au poste de police, dont Abderrahmane Ould Boubou, Secrétaire Général de l’Union des travailleurs mauritaniens (UTM). La violence semble devenue la seule réponse des autorités aux revendications des défenseurs.

 Le 3 avril 2009, Boubacar Messaoud, Président de SOS Esclaves, a été sévèrement battu par la police au cours d’une manifestation pacifique organisée par la Coordination des Forces Démocratiques (CFD). Ciblé entre tous, il a été agressé par le commissaire Ould Nejib et ses éléments du commissariat du Palais de Justice, venus en renforts des forces polices anti-émeute. Trois personnes ont chargé M. Messaoud par derrière et l’un d’entre eux l’a assommé par un coup de matraque à la nuque. Les assaillants l’ont alors roué de coups et trainés par terre alors même qu’il s’était évanoui. Les agents de police tentaient de placer M. Messaoud dans le coffre arrière d’une Mercedes lorsque ceux-ci ont été pris à parti par deux femmes qui ont réussi à les faire fuir. A l’occasion de cette même manifestation près d’une dizaine d’autres personnes ont été battues par les forces de police et blessés gravement (fracture de bras, côtes brisées, etc.)

 Les manifestations publiques sont sévèrement réprimées comme la manifestation pacifique des femmes parlementaires organisée le 19 avril 2009 qui protestaient contre le maintien de la date des élections et l’absence du retour à l’ordre constitutionnel. Plusieurs des femmes ont été battues par des éléments des forces de police dont la brigade anti-émeute.

 Le 21 mai 2009, du Haut conseil d’Etat (HCE) a de nouveau interdit toute manifestation avant l’élection présidentielle qui a cette date était encore programmée au 6 juin 2009.

Attaques contre la presse

 Le limogeage en octobre 2008 du directeur de la Télévision nationale, M. Imam Cheikh Ould Ely, pour avoir organisé un débat politique au cours duquel des critiques ont été émises contre la junte, a été suivi par un étroit contrôle du Haut conseil d’Etat (HCE) sur les médias, au mépris des exigences élémentaires du pluralisme, en violation de l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

 Le directeur du journal Point chaud est poursuivit par la chambre correctionnelle pour avoir publié un article sur les détournements de fonds au sein de la SNCL (Société d’eau et d’électricité).

 Le journaliste Abdel Fatah Ould Abeidna, du journal El AQHSA (journal fermé sans décisions judiciaire) a été condamné à 2 ans d’emprisonnement pour diffamation à l’encontre d’un homme politique et d’affaire (cousin du général Abdel Azziz) qu’il avait accusé d’être impliqué dans une instruction ouverte sur un trafic de stupéfiant. Sa peine à été confirmée le 5 mars 2009 devant la chambre pénale de la Cour d’appel.

 Le Site internet d’information AL TAQADOUM a été fermé en mars 2009 et son directeur arrêté. Il est poursuivi en justice devant la chambre correctionnelle.

 Le 12 mai 2009 dans la soirée, le rédacteur en chef du quotidien indépendant arabophone "El Wattan" et présentateur vedette de Radio Mauritanie, Mohamed Ould Zeine, a été aggressé par deux inconnus armés de couteaux et de battes de baseball qui lui avait tendu une embuscade.

 Le 24 mai 2009, la police mauritanienne a violemment empêché un groupe de journalistes d’assurer la couverture d’une manifestation organisée par les membres de l’Ordre National des Avocats (ONA) dans l’enceinte du Palais de Justice de Nouakchott. M. Hachem Sidi Salem, correspondant de la chaîne de télévision arabe Al Hourrah, basée au Qatar, a été arrêté et brièvement détenu à cette occasion.

 En outre le maintien d’importantes personnalités politiques demeurent détenue arbitrairement : notamment M. Yahya Ould Ahmed Waghef, ancien premier ministre du président renversé Sidi Ould Cheik Abdallahi, et ce en dépit d’une décision de la Cour suprême du 18 mai 2009 appelant à leur mise en liberté sous caution. Le Parquet a décidé de surseoir à cette décision en violation du droit national et des dispositions internationales de protection des droits de l’Homme.

Détention arbitraire

 Le Dr Mohamed Yahya Ould Mohamedou Nagi a été arrêté sans mandat le 5 mars 2009 sous des motifs allégués d’abus de confiance. Questionné par ses avocats sur cette arrestation arbitraire, les policiers ont répondu : ‘’c’est en exécution des ordres de nos supérieurs que nous agissons et nous n’avons aucun mandat à présenter à qui que ça soi.’’ Le prévenu a été condamné à une peine d’emprisonnement avec sursis par le Juge du Premier Degré. Malgré cette décision, le Dr Mohamed Yahya Ould Mohamedou Nagi a été maintenu en détention à la Maison d’Arrêt de Dar Naïm en violation de l’article 431 du code de procédure pénale. Le Parquet Général de la Cour d’appel de Nouakchott a adressé au détenu une convocation pour une audience de la Chambre Correctionnelle de la Cour d’Appel de Nouakchott, pour le 19 mars 2009. La cour a décidé le renvoi des débats au 23 mars 2009 pour que les conditions d’un procès équitable soient réunies. A cette date, la Cour d’appel a condamné Dr Mohamed Yahya Ould Mohamedou Nagi a 2 ans de prison ferme. (Il est à noter que le père du Dr est membre de l’UFD aujourd’hui opposée à la junte militaire).

Intimidations, menaces et stigmatisation des défenseurs

 Depuis le coup d’Etat, les menaces contre les défenseurs des droits de l’Homme se sont accentuées(menaces, par voie de presse, sur Internet, lors des prêches dans les Mosquées, ou par téléphone. Ils font l’objet de surveillances téléphoniques et de filatures). Les mouvements de la société civile dont les défenseurs sont rendus responsables des sanctions adoptées par la communauté internationale contre la junte.

 Le 6 octobre 2008, le siège de l’Association mauritanienne des droits de l’Homme (AMDH) a été saccagé.

 Lors d’un meeting tenu au mois de décembre 2008, un parlementaire, Ould Wafi, a demandé la dissolution des ONGs de droits de l’Homme et à ce que les défenseurs soient tabassés.

 Suite à la publication d’un rapport d’Amnesty International le 3 décembre 2008 qui indique que les forces de sécurité du pays ont adopté la torture comme méthode d’enquête et de répression privilégiée [6], le porte parole du gouvernement et celui du Président du Sénat ainsi que le Commissaire des droits de l’Homme ont adressé des menaces aux organisations des droits de l’homme notamment contre SOS Esclave, l’AMDH et l’Association des femmes chefs de familles (AFCF) qui ont adopté plusieurs communiqués conjoints pour dénoncer les violations de la junte [7].

 Et depuis le mois d’octobre 2008 Mme Aminetou Mint El Mokhtar, Présidente de l’AFCF reçoit des menaces de mort anonymes à chaque fois qu’elle publie des articles en ligne sur les violations des droits de l’Homme en Mauritanie et en particulier sur la pratique de la torture. Le 14 décembre 2008 elle a été abordée par un homme qui l’a menacé de mort et a tenté de la faucher avec son véhicule.

Sur l’administration de la justice

 Depuis le coup d’État, la justice n’a cessé de s’affaiblir. Depuis l’arrivée de la junte au pouvoir, aucun magistrat ne jouit de son indépendance et les dossiers politiques ne cessent de se multiplier devant le parquet.

Sur le processus électoral

 Le 6 janvier 2009, les états généraux de la justice organisés par la junte et boycottés par le clan du président renversé Abdallahi se sont renfermés. Il a été décidé d’organiser une élection présidentielle le 6 juin 2009. La candidature des militaires est autorisée, s’ils ont au préalable démissionné de leurs fonctions 45 jours avant la date du scrutin.

 La Commission électorale nationale indépendante (CENI), a récemment été constituée, sans aucune consultation de la société civile ni des partenaires, seulement 2 mois avant la date annoncée des élections.

Sur la question du « passif humanitaire »

 Le passif humanitaire, c’est à dire la répression des populations négro-mauritanienne et les crimes d’État par le régime totalitaire d’Ould Taya dans les années 90, a engendré des violations massives des droits de l’Homme et des milliers de réfugiés au Sénégal et Mali voisins C [8]

 Premier pas vers la réconciliation nationale en Mauritanie, le règlement du passif humanitaire avait été amorcé sous la présidence de Sidi Ould Cheikh Abdallahi.

 Cette amorce de règlement a sous tendu les divergences politiques et militaires internes qui ont mené au coup d’Etat par crainte de certains militaires d’être tenus pénalement responsables.

 Pour illustration, le général Abdoul Aziz, une fois arrivé au pouvoir par la force a décidé de « régler » la question du passif humanitaire par l’octroi aux victimes militaires d’une réparation. Ceci écarte non seulement les victimes civiles, pourtant très nombreuses, de e règlement. Surtout, la volonté des généraux est d’écarter toute résolution judiciaire pourtant conforme au droit à la justice garanti par tous les instruments internationaux de défense des droits de l’Homme. Ce en dépit de deux décisions de mécanismes régionaux de protection des droits de l’Homme qui exigeait l’ouverture d’enquêtes et de poursuites contre les auteurs des actes de torture et d’exécutions extra-judiciaires : la décision de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples adoptée en septembre 2004 ; les conclusions et observations du CERD en 2004.

 Nos organisations dénoncent donc le mode de règlement utilisé par la junte pour régler le passif humanitaire, à savoir qu’en échange d’une modique réparation financière, les victimes et leurs ayant droits doivent renoncer à toute réclamation, toute plainte quelle que soit leur nature et à toute action
individuelle ou collective qu’ils ont pu intenter, soit directement ou par l’intermédiaire de mandataires devant toutes les instances nationales ou internationales, consacrant de la sorte l’impunité des auteurs des crimes perpétrées à cette époque. Cette exigence viole les dispositions de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples et du Pacte international relatif aux droits civils et politiques relatives au droit à la justice.

Aux fins de favoriser une sortie de crise dans les meilleures conditions et délais, la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et l’Association mauritanienne des droits del’Homme (AMDH) recommandent à l’Union européenne de :

Tout mettre en oeuvre pour garantir la tenue d’une élection présidentielle libre et transparente, notamment en :

 Favorisant la reprise du dialogue entre les partis politiques d’opposition et la junte militaire aux fins de garantir la tenue d’une élection libre et transparente le 6 juin 2009 ;

 Maintenant les pressions sur la junte en faveur de la tenue de l’élection présidentielle dans le cadre d’un processus conforme à l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et aux dispositions internationales de protection des droits de l’Homme ;

 Appelant la junte à garantir l’indépendance et l’effectivité de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) dans son mandat, sa structure et son action ;

 Exigeant que les responsables de la junte au pouvoir ne soient pas candidats aux élections ;

 Ne déployant pas de mission d’observation des élections si ces conditions ne devaient pas être réunies avant le scrutin.

Tout mettre en oeuvre pour garantir la protection des libertés fondamentales notamment en :

 Soutenant publiquement les initiatives pacifiques menées par les organisations de défense des droits de l’Homme, les syndicats, les journalistes et les partis politiques d’opposition en vue de mettre fin à la crise politique interne ;

 Faisant valoir les lignes directrices de l’Union européenne sur la protection des défenseurs des droits de l’Homme dans ses relations avec la Mauritanie ;

 Exigeant l’ouverture d’enquêtes et de poursuites contre les forces de l’ordre responsables des exactions contre les manifestants et défenseurs des droits de l’Homme ;

 Exigeant le respect des libertés fondamentales (presse, association, syndicales, etc) conformément aux dispositions de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples ;

 Exigeant le respect des recommandations visées par les décisions de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples de 2000 et du Comité sur les droits économiques, sociaux, culturels des Nations unies sur le règlement du passif humanitaire.

Dans le cadre de ses relations commerciales avec la Mauritanie, la FIDH et l’AMDH demandent à l’Union européenne de :

 Tout mettre en oeuvre pour garantir que les accords commerciaux en cours ou qui seront conclus (accords de pêche, accords de partenariat économique ou autres) entre l’UE et la Mauritanie, et qui constituent le volet commercial de l’Accord de Cotonou, ne contreviennent pas aux éléments essentiels prévus à l’article 9 de cet accord cadre, à savoir « le respect et la promotion de l’ensemble des droits de l’Homme » et aux engagements internationaux des parties en matière de droits de l’Homme.

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