Lettre ouverte à M. Ould Taya Président de la République

05/09/2002
Rapport

République Islamique de Mauritanie

Monsieur le Président de la République,

Le 3 juillet 2002, la Fédération Internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) dénonçait par voie de communiqué la menace qui pesait sur l’indépendance de l’ordre des avocats de Mauritanie.

A l’occasion des élections pour le renouvellement du Bâtonnier de l’ordre national des avocats de Mauritanie qui se sont déroulées le 27 juin 2002, à Nouakchott, des partisans des autorités mauritaniennes ont tenté de falsifier ces élections en vue de faire gagner un candidat proche du pouvoir en place. Ainsi, le bureau chargé de superviser les élections du Bâtonnier aurait validé des bulletins qui ont été exhibés en violation du caractère secret du vote, pourtant consacré par l’article 9 de la loi portant institution de l’ordre national des avocats et l’article 5 du règlement intérieur. En violation des mêmes dispositions, les votes par correspondance ont été déclarés nuls par le Président du bureau chargé de superviser les élections, vraisemblablement par crainte que le dépouillement de ces bulletins ne s’avère défavorable au candidat qu’il soutenait.

En dépit de ces manœuvres, Monsieur Mahfoud Ould Bettah a été réélu à la majorité absolue des suffrages exprimés par 103 voix contre 99. Or, trois heures plus tard, un cordon de policiers ayant entouré le bureau dans l’intervalle, le président du bureau a annoncé la tenue d’un second tour le jeudi 4 juillet.

Contestant la tenue de ce second tour, Monsieur Mahfoud Ould Bettah a porté plainte devant le juge d’instruction. Ce dernier a demandé la radiation de l’affaire, en violation du Code de procédure pénale mauritanien.

Entre les deux tours, des pressions auraient été exercées sur les avocats pour faire élire le Bâtonnier ayant la préférence des autorités nationales. Le jour du vote, la salle d’audience a été transformée en forteresse par la présence de nombreuses forces de l’ordre. Dans ces conditions, les partisans de M. Mahfoud Ould Bettah ont préféré ne pas prendre part au vote contestant une fois encore les irrégularités de procédure.

La FIDH rappelle avec force les Principes de base relatif au rôle du Barreau adoptés par les Nations unies en 1990 qui, en son article 24 stipule que " les avocats peuvent constituer des associations professionnelles autonomes, ou adhérer à de telles associations ayant pour objet de représenter leurs intérêts, (...) et de protéger leur intégrité professionnelle. Les membres de ces association élisent leur organe directeur, lequel exerce ses fonctions sans ingérences extérieures ".

Aussi, M. le Président de la République, la FIDH tient à vous signaler qu’elle a saisi, le 22 juillet 2002, le Rapporteur spécial des Nations unies sur l’indépendance des avocats et des magistrats, pour l’informer des irrégularités commises lors du vote du Bâtonnier de l’ordre des avocats de Mauritanie.

La FIDH espère fortement que les autorités mauritaniennes coopéreront avec ce mécanisme de protection des droits de l’Homme des Nations unies et respecteront ainsi le résultat des élections du premier tour.

Enfin, la FIDH craint que la tentative de subordination de l’ordre des avocats au pouvoir en place ne s’inscrive dans une volonté plus générale de museler toute opposition. La dissolution de partis politiques d’opposition et l’interdiction récente par décision du ministère de l’Intérieur de la création du Parti Convention pour le Changement renforce ses inquiétudes. La FIDH réitère donc son appel aux autorités mauritaniennes pour qu’elles respectent et garantissent les libertés d’expression et d’association consacrées par les instruments internationaux auxquels elle a souscrit et la Constitution mauritanienne du 20 juillet 1991.

Dans l’espoir que vous pourrez donner une suite positive à la présente, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de notre haute considération.

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