"Ce verdict représente une victoire pour les victimes des crimes commis au Mali depuis 2012, en particulier pour les populations de Tombouctou. Il s’agit d’un signal fort adressé aux auteurs de crimes de guerre liés à la destruction du patrimoine culturel, qui vise a détruire l’âme des populations, comme les juges l’ont reconnu." a déclaré Me Drissa Traore, vice président de la FIDH. « Cette victoire a néanmoins un goût d’inachevé, car nous aurions souhaité que les charges visant Al Mahdi soient étendues aux crimes commis contre les personnes. »
La peine prononcée révèle la gravité des crimes imputables a Al Mahdi, malgré les cinq circonstances atténuantes également retenues, parmi lesquelles son aveu de culpabilité, sa coopération avec le Bureau du Procureur et les regrets exprimés aux victimes.
Les juges ont reconnu qu’Al Mahdi, après avoir été initialement opposé à la destruction de ces monuments, en avait été le principal instigateur. Il avait décidé de l’ordre de destruction des mosquées et mausolées, dirigé les opérations sur place et directement participé à la destruction de cinq de ces monuments, les commentant en direct dans la presse internationale. Les juges ont par ailleurs estimé que ces destructions étaient aussi motivées par des motifs religieux discriminatoires, qui étaient ceux de la Hesba.
Les juges ont précisé que la gravité de ce crime tenait aussi à son impact sur les populations affectées, en ce que les « bâtiments visés revêtaient non seulement un caractère religieux mais également une valeur symbolique et affective pour les habitants de Tombouctou », qui les percevaient comme une « une protection pour la population de Tombouctou ». Inscrits (tous sauf un) au patrimoine mondial de l’humanité, leur destruction a également affectée l’ensemble de la population du Mali et de la communauté internationale.
« Au delà du verdict, nous retenons le symbole : c’est la première fois qu’un auteur des crimes commis au Mali depuis 2012 est reconnu coupable et condamné. Cette décision marque donc un premier pas important dans la lutte contre l’impunité au Mali, où les procédures peinent à avancer. Il est urgent que les autorités maliennes se mobilisent davantage pour que les auteurs des crimes commis contre les civils, et notamment les crimes de violence sexuelle, soient effectivement poursuivis » a déclaré Bakary Camara, secrétaire général de l’AMDH qui a suivi l’ensemble du procès à La Haye.
Selon les informations recueillies par la FIDH et ses organisations membres et partenaires, les membres de la police islamique – et notamment sa « Brigade des mœurs » – ont commis depuis 2012 des crimes contre l’humanité, y compris des meurtres, des actes de torture et crimes de violences sexuelles. Nos organisations avaient déposé une plainte au nom de 33 victimes de Tombouctou devant la justice malienne en mars 2015, visant Al Mahdi et 14 autres personnes pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité, incluant des crimes sexuels comprenant le viol et l’esclavage sexuel.
Contexte
En janvier 2012, le Mali a fait face à une insurrection armée touarègue dans le Nord du pays. Le Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA) a lancé une offensive très vite opportunément rejointe par des groupes islamistes présents dans la bande du Sahel (Ansar Dine, Al Qaida au Maghreb Islamique (AQMI), Mouvement pour l’Unicité du Djihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO), Boko Haram). Les combats sont menés en violation flagrante du droit international humanitaire. Les principales villes du nord tombent dans les mains des groupes armés en début d’avril 2012 jusqu’en janvier 2013, date de l’intervention des troupes franco-maliennes.
Le Mali a ratifié le Statut de la CPI le 16 août 2000. Il a saisi la Procureure de la CPI le 13 juillet 2012. Le 16
janvier 2013, le Bureau du Procureur a formellement ouvert une enquête sur les crimes allégués relevant de sa juridiction commis au Mali. Le 13 février 2013, le gouvernement malien et la CPI ont conclu un accord de coopération en application du Chapitre IX du Statut de la CPI. La Chambre préliminaire a délivré le premier mandat d’arrêt dans la situation au Mali, sous scellés, à l’encontre de M. Al Mahdi le 18 septembre 2015. Une semaine plus tard, Al Mahdi, alors détenu par les autorités nigériennes, a été transféré à la CPI.
Le 24 mars 2016, la CPI a confirmé la charge de crime de guerre portée à l’encontre de Al Mahdi, en l’espèce des attaques intentionnellement dirigées contre des bâtiments consacrés à la religion et des monuments historiques à Tombouctou, en tant que membre du groupe armé extrémiste Ansar Dine, affilié à Al Qaïda au Magreb islamique (AQMI). Plaidant coupable, son procès à duré 22 au 24 août 2016. Il est accusé crimes de guerre liés à la destruction de dix monuments historiques, y compris de multiples mausolées et une mosquée, dans la ville de Tombouctou, qui est classée patrimoine mondial de l’UNESCO.
Selon les enquêtes menées par nos organisations en janvier et février 2015, Al Mahdi, natif de la région de Tombouctou était chef de la Brigade de Mœurs, appelée Hisba , l’un des quatre commandants d’Ansar Dine chargé de l’imposition brutale du pouvoir des groupes armés djihadistes à Tombouctou. A la tête de la Hisba, il a également avalisé les agissements du Centre d’application « du convenable et de l’interdiction du blâmable », dont les éléments ont pourchassé les femmes, les ont emprisonnées, les ont mariées de force, et ont encouragé les viols et l’esclavage sexuel pratiqués par lui et ses hommes. Des éléments de preuve que nous avons recueillis le montrent également en train de diriger et de participer à la destruction des mausolées des saints et d’autres biens culturels islamiques de grande valeur. Après avoir dirigé la Hisba de Tombouctou, il serait parti combattre les forces maliennes et françaises à Konna en janvier 2013 avant de se replier au Nord du Mali et passer au Niger où il a été arrêté par les forces françaises et remis aux autorités nigériennes, puis transféré à la CPI en septembre 2015.