Q&A : L’affaire Al Mahdi devant la CPI

17/08/2016
Communiqué
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© AFP

A la veille de l’ouverture de l’audience de confirmation des charges de Al Mahdi devant la Cour pénale internationale (CPI), la FIDH, l’AMDH et WILDAF-Mali présentent l’affaire en sept questions et réponses.

1. Qui est Ahmad Al Faqi Al Mahdi, alias Abou Tourab, et de quels crimes a-t-il été condamné ?

2. La destruction de bâtiments consacrés à la religion et de monuments historiques peuvent ils être constitutifs de crimes de guerre ?

3. Comment se déroulera l’audience de confirmation des charges d’Al Mahdi et quelles décisions seront prises ?

4. Les victimes peuvent-elles participer à l’audience de confirmation des charges ?

5. Pourquoi l’affaire Al Faqi Al Mahdi est-elle devant la CPI ?

6. Al Mahdi aurait-il commis d’autres crimes ?

7. Y a-t-il des procédures judiciaires en cours au Mali en rapport avec les crimes présument commis par Al Mahdi et d’autres membres d’AQMI et Ansar Dine ?

1. Qui est Ahmad Al Faqi Al Mahdi, alias Abou Tourab, et de quels crimes a-t-il été condamné ?

Ahmad Al Faqi Al Mahdi, également connu sous le nom de guerre d’Abou Tourab, est né en 1975 à Agoune, à 100 km à l’Ouest de Tombouctou au Mali. Il est membre du groupe islamique radical Ansar Dine, un groupe armé djihadiste lié à Al Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI). En tant que chef de la police Islamique à Tombouctou, il était l’un des quatre commandants d’Ansar Dine, responsables de l’imposition par la force du pouvoir des groupes armés djihadistes dans cette ville. De plus, jusqu’en septembre 2012, il avait sous son contrôle, en tant que chef de la police, l’Al Hesbah (la « Brigade des mœurs ») et participait aussi au travail du Tribunal Islamique de Tombouctou et à l’application de ses décisions.

En janvier 2012, le Mali a fait face à une insurrection armée touarègue dans le nord du pays. Le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) a lancé rapidement une offensive, opportunément rejoint par les groupes Islamistes présents dans la bande du Sahel (Ansar Dine, AQMI, Mouvement pour l’unicité du djihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO), et Boko Haram). Les hostilités ont été menées en violation flagrante du droit international humanitaire. Les principales villes du nord sont tombées entre les mains des groupes armés début avril 2012 jusqu’en janvier 2013, date de l’intervention des troupes franco-maliennes [1].

Entre le 30 juin et le 10 juillet 2012, période des faits incriminés, la ville de Tombouctou était contrôlée par des groupes armés, AQMI et Ansar Dine. Pendant cette période, Al Faqi Al Mahdi aurait travaillé étroitement avec les chefs des deux groupes armés et au sein de leurs structures et leurs institutions. Il est allégué qu’Al Faqi Al Mahdi était une personnalité très active lors de l’occupation de Tombouctou.

Le 27 septembre 2016, la Chambre de première instance VIII de la CPI a condamné Al Mahdi à 9 ans d’emprisonnement pour sa responsabilité dans la destruction des mausolées de Tombouctou. Tous les bâtiments et les monuments attaqués étaient sous la protection de l’UNESCO, la plupart d’entre eux étant aussi inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité.

Le Bureau du Procureur de la CPI a indiqué qu’Al Faqi Al Mahdi se serait rendu responsable de crimes de guerre commis à Tombouctou, consistant en l’attaque intentionnelle de dix bâtiments consacrés à la religion et monuments historiques (neuf mausolées et une mosquée). Tous les bâtiments et les monuments attaqués étaient sous la protection de l’UNESCO, la plupart d’entre eux étant aussi inscrits sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité.

2. La destruction de bâtiments consacrés à la religion et de monuments historiques peuvent ils être constitutifs de crimes de guerre ?

Oui. L’article 8.2.e.iv) du Statut de la Cour pénale internationale prévoit que peut être constitutif de crime de guerre « le fait de diriger intentionnellement des attaques contre des bâtiments consacrés à la religion, à l’enseignement, à l’art, à la science ou à l’action caritative, des monuments historiques, des hôpitaux et des lieux où des malades et des blessés sont rassemblés, pour autant que ces bâtiments ne soient pas des objectifs militaires ».

Il s’agit du premier jugement pour de telles charges devant la CPI. Les juges ont insisté sur la gravité de l’impact du crime de la destruction de ces monuments : « l’attaque dont ils ont fait l’objet semble particulièrement grave car leur destruction affecte non seulement les victimes directes des crimes – les fidèles et habitants de Tombouctou – mais aussi toute la population du Mali et la communauté internationale. »

3. A quelle réparation Al Mahdi peut-il être condamné ? Quelles ont été les observations de la FIDH et AMDH ?

La CPI a établi des principes applicables aux formes de réparation, comme indiqué à Article 75 du Statut de Rome : « la Cour peut rendre contre une personne condamnée une ordonnance indiquant la réparation qu’il convient d’accorder aux victimes ou à leurs ayants droit. Cette réparation peut prendre notamment la forme de la restitution, de l’indemnisation ou de la réhabilitation. »
Les victimes pouvant prétendre à réparation à la CPI sont les personnes physiques ou morales qui ont subi un préjudice personnel, direct ou indirect, du fait du crime pour lequel Al Mahdi a été jugé coupable.
Dans la procédure de réparations, la Cour peut aussi solliciter les observations de la personne condamnée, des victimes, des autres personnes intéressées ou des États intéressés, et les observations formulées au nom de ces personnes ou de ces États (Article 75.3).
Le 2 décembre 2016, la FIDH et AMDH ont soumis des observations sur la procédure de réparations.1 Nous avons souligné que les victimes ayant droit à réparation dans cette affaire doivent inclure : les familles gardiennes des mausolées, mais aussi les familles dont les tombes adjacentes aux mausolées, certaines personnes morales (le bureau de la mission culturelle de Tombouctou et la mairie de Tombouctou), la population de Tombouctou dans son ensemble, ainsi enfin que la population du Mali.
Selon la FIDH et l’AMDH, ces victimes ont en effet souffert différents préjudices : un préjudice direct et matériel, un préjudice économique, , mais aussi et ce qui constitue le « préjudice le plus important, et qui persiste encore aujourd’hui, est [...] un préjudice de nature morale et psychologique, subi par la communauté toute entière – la population de Tombouctou, et la population malienne dans son ensemble ».

4. Les victimes peuvent-elles participer à l’audience de confirmation des charges ?

Le Statut de la CPI garantit le droits des victimes à la participation et représentation légale dans les procédures de la CPI. Leur participation, telle que prévue à l’article 68.3 du Statut de la CPI, est une élément crucial du processus d’établissement des responsabilités et une composante essentielle de la justice.

Actuellement, aucune victime ne participe à l’audience de confirmation des charges d’Al Mahdi. Il est à noter que des personnes morales, telles qu’une organisation ou institution dont un bien consacré à la religion, aux arts, un monument historique ou encore un hôpital qui a subi un dommage direct, peuvent bénéficier du statut de victime, tel que prévu à la règle 85.b) du Règlement de procédure et de preuve de la CPI.

5. Quelles ont été les étapes de l’affaire Al Faqi Al Mahdi devant la CPI ?

Le Mali a ratifié le Statut de la Cour pénale internationale le 16 août 2000.
Le gouvernement du Mali a déféré la situation du Mali à la CPI le 13 juillet 2012. Après un examen préliminaire de la situation, le Bureau du Procureur de la CPI a décidé, le 16 janvier 2013, d’ouvrir une enquête sur les crimes présumément commis sur le territoire du Mali depuis janvier 2012. Le 13 février 2013, le gouvernement malien et la CPI ont signé un accord de coopération conformément à la Section IX du Statut de Rome.

Le 18 septembre 2015, la CPI a délivré un mandat d’arrêt contre Al Faqi Al Mahdi. Le 26 septembre 2015, les autorités du Niger, où se trouvait Al Faqi Al Mahdi, l’ont transféré à la CPI.

Le 30 septembre 2015, Ahmad Al Faqi Al Mahdi a comparu devant le Juge unique de la Chambre préliminaire I de la CPI.

Le 1er mars 2016, la Chambre préliminaire I a tenu l’audience de confirmation des charges, et, le 24 mars, a confirmé la charge de crimes de guerre à raison de la destruction de monuments à caractère historique et religieux à Tombouctou, au Mali, le renvoyant en jugement devant la Chambre de première instance.

Le procès a duré trois jours seulement, du 22 au 24 août 2016, Al Mahdi ayant plaidé coupable.

Il a été condamné le 27 septembre 2016 à 9 années de prisons, en tant que coauteur, du crime de guerre consistant à attaquer des biens protégés suivants à Tombouctou (Mali) entre le 30 juin 2012 environ et le 11 juillet 2012 : i) le mausolée Sidi Mahamoud Ben Omar Mohamed Aquit ; ii) le mausolée Cheick Mohamed Mahmoud Al Arawani ; iii) le mausolée Cheikh Sidi El Mokhtar Ben Sidi Mouhammad Al Kabir Al Kounti ; iv) le mausolée Alpha Moya ; v) le mausolée Cheick Mouhamad El Mikki ; vi) le mausolée Cheick Abdoul Kassim Attouaty ; vii) le mausolée Cheick Sidi Ahmed Ben Amar Arragadi ; viii) la porte de la mosquée Sidi Yahia et les deux mausolées attenants à la mosquée Djingareyber, à savoir ix) le mausolée Ahmed Fulane et x) le mausolée Bahaber Babadié. Dans la fixation de la peine, la Cour, tout en insistant sur l’extrême gravité du crime et de son impact au Mali, a également retenu 5 cinq circonstances atténuantes : i) son aveu de culpabilité ii) sa coopération avec l’Accusation ; iii) ses remords exprimés aux victimes ; iv) sa réticence initiale à l’idée de commettre le crime et les mesures qu’il a prises pour limiter les dommages causés ; et v) sa bonne conduite en détention.

6. Abou Tourab aurait-il commis d’autres crimes ?

La FIDH, avec l’AMDH, son organisation membre au Mali, a mené des missions d’enquête dans le nord du Mali pendant lesquelles ont été collectés de nombreux témoignages de victimes des groupes armés djihadistes. Le 6 mars 2015, la FIDH, l’AMDH et cinq autres organisations de défense des droits humains au Mali ont déposé devant la Haute Cour de la Commune 3 de Bamako une plainte au nom de 33 victimes de crimes commis à Tombouctou. La plainte vise Al Faqi Al Mahdi ainsi que 14 autres personnes pour leur responsabilité présumée dans la commission de crimes de guerre et crimes contre l’humanité, y compris des crimes de violence sexuelle [2] . Elle suit une première plainte déposée en novembre 2014 au nom de 80 victimes de viols et de violences sexuelles perpétrés lors de l’occupation du Nord [3] .

Les 33 victimes avaient dénoncé les exactions auxquelles s’était livrée la police islamique, notamment le Centre d’application du convenable et de l’interdiction du blâmable, une « Brigade des mœurs » dirigée aux premiers temps de l’occupation de Tombouctou par Abou Tourab, et incluant des actes de torture, détention arbitraire, viol, mariage forcé, esclavage forcé et d’autres formes de violence sexuelle [4].

Dans ce contexte, la FIDH a encouragé le Bureau du Procureur de la CPI à également examiner les allégations crédibles impliquant Al Faqi Al Mahdi dans la perpétration de crimes internationaux commis à l’encontre de la population civile, y compris les crimes de viol, d’esclavage sexuel et de mariage forcé.

7. Y a-t-il des procédures judiciaires en cours au Mali en rapport avec les crimes présumément commis par Abou Tourab et d’autres membres d’AQMI et Ansar Dine ?

Outre les quelques 120 procédures judiciaires anti-terroristes qui n’ont donné lieu à presque aucun procès, la justice malienne n’instruit que deux affaires visant des crimes contre l’humanité et des graves violations des droits humains perpétrés au Nord du Mali depuis 2012. Ces deux procédures judiciaires, initiées par la FIDH et l’AMDH, avec cinq autres organisations maliennes, au nom de 123 victimes, stagnent et des suspects pourtant localisés sont laissés en liberté, faute de volonté et de moyens. Plusieurs auteurs visés par la plainte de nos organisations déposée le 6 mars 2015 ont été libérés, sont à l’étranger ou ne sont pas inquiétés. Ceci est principalement lié à l’application des « mesures de confiance » de l’Accord de Paix signé à Bamako le 20 juin 2015, aux demandes d’échange de prisonniers et d’otages, et au manque de preuve manifeste à l’encontre des personnes arrêtées lors d’opérations militaires [5] .

Au Mali, le procès de l’ancien général putschiste Amadou Aya Sanogo et 17 autres hauts responsables de la junte au pouvoir en 2012 pour l’exécution sommaire de 21 militaires a débuté le 30 novembre 2016 et la Cour a décidé le 8 décembre de renvoyer l’affaire à la première session d’assises de 2017.

En outre, le 18 août 2017 doit s’ouvrir devant la Cour d’Assises de Bamako le procès de l’ex-commissaire de la police islamique de Gao, Aliou Mahamane TOURE. La FIDH et l’AMDH représentent une dizaine de victimes constituées parties civiles dans cette affaire. C’est une étape importante puisqu’il s’agit du premier procès concernant les crimes commis par les groupes islamistes contre les populations civiles durant l’occupation du Nord du pays en 2012-2013. Aliou Mahamane TOURE avait été inculpé en 2014 pour crimes de guerre et autres violations des droits humains, de même que pour atteinte à la sûreté intérieure et extérieure de l’Etat, association de malfaiteurs et terrorisme, alors qu’il était à la tête de la police islamique durant l’occupation de Gao par le groupe terroriste MUJAO en 2012-2013.

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