Votre Excellence,
Nous avons l’honneur de venir par la présente attirer votre attention sur le double risque d’impunité et d’arbitraire d’une loi d’entente nationale telle que vous l’avez annoncée à la veille du nouvel an à l’occasion de votre message à la nation.
Nous partageons votre souci de reconstruire l’unité et la réconciliation nationale et réaffirmons notre soutien au processus de paix notamment l’application de l’article 461 de l’Accord pour la paix– en particulier les dispositions relatives à l’imprescriptibilité des crimes de guerre et des crimes contre l’Humanité ainsi que la non amnistie pour les auteurs de violations graves des droits humains, de violences sur les femmes, les filles et les enfants liées au conflit.
Or, Il ne peut y avoir de réelle réconciliation nationale ni de paix sans justice. Les victimes que nous côtoyons tous les jours au Sud, au Centre et au Nord du Mali sont formelles : le jugement des auteurs est une garantie de réconciliation et une forme de réparation.
Cependant, vous référant à la Charte pour la paix, l’unité et la réconciliation nationale, qui propose « des mesures spéciales », vous avez annoncé une loi qui prévoira « l’exonération de poursuites de tous ceux impliqués dans une rébellion armée, mais qui n’ont pas de sang sur les mains » et nous avons appris qu’un projet de loi serait en train d’être rédigé par un comité composé du Ministère de la Justice, du Ministère de la Réconciliation nationale, du Ministère de la solidarité et de l’action humanitaire, du Médiateur de la République et de la CVJR.
Nous déclarons ne pas nous reconnaître dans certaines dispositions de ladite Charte, en particulier celles relatives aux amnisties, en ce qu’elle a été élaborée sans consultation de nos organisations et dont l’interprétation permettrait des amnisties pour des auteurs de graves violations de droits humains.
En outre, une conjonction de facteurs incluant notamment l’insuffisance des moyens opérationnels de la justice, l’insécurité régnant dans les régions touchées par les violations, l’absence de protection octroyée aux magistrats en charge des dossiers de la crise et le manque de clarté sur les compétences juridictionnelles de certains tribunaux empêchent les poursuites judiciaires de prospérer.
Les enquêtes sont néanmoins un préalable nécessaire afin de se préserver de l’arbitraire que constituerait la délivrance d’une amnistie sans fondement. Nous exprimons ainsi notre vive inquiétude à ce que des auteurs des crimes graves bénéficient d’une telle mesure.
Par ailleurs, le manque d’ouverture et d’inclusivité du processus d’élaboration de cette loi augmenterait ces risques dans la mesure où certains aspects spécifiques aux droits humains pourraient être minimisés.
Votre Excellence, face à ce constat, nous, organisations de défense de droits humains, vous exhortons à :
Suspendre le processus de rédaction du projet jusqu’à ce que des enquêtes impartiales soient véritablement menées par la justice malienne, par la Commission d’enquête internationale ainsi que par la Commission Vérité, Justice et Réconciliation dont les rapports pourraient servir de base pour réellement et justement permettre de cibler et distinguer ceux qui ont le sang sur les mains de ceux qui n’en ont pas ;
Impliquer, le cas échéant, les organisations de défense des droits humains en les faisant participer au comité technique d’élaboration du projet de ladite loi afin qu’elles puissent contribuer et apporter le retour du terrain ;
Diligenter toutes les mesures nécessaires pour lutter contre l’impunité des auteurs des graves violations des droits humains et du droit humanitaire international, et garantir l’accès des victimes à la vérité, à la justice et aux réparations ; l’une des mesures urgentes pourrait être l’adoption d’une loi élargissant la compétence du pôle judiciaire spécialisé aux infractions de crimes de guerre et tortures, crimes contre l’humanité, et génocide.
Nos organisations demeurent convaincues que le retour d’une paix durable et de l’unité nationale passe par une bonne distribution de la justice.
Votre Excellence, dans le souci de vous donner de plus amples informations, nous souhaiterions être reçues en audience à votre convenance afin de pouvoir discuter de vive voix.
En vous remerciant par avance de l’attention que vous accorderiez à ces demandes, nous vous prions d’agréer, Votre Excellence, l’expression de notre très haute considération.