Nairobi, Dakar, Paris, 14 août 2024. Les autorités militaires maliennes, arrivées au pouvoir à la faveur des coups d’État du 18 août 2020 et du 24 mai 2021, n’ont eu de cesse de restreindre drastiquement l’espace civique et démocratique dans le pays. Ces quatre dernières années ont vu une recrudescence des arrestations et détentions arbitraires, des enlèvements et détentions au secret, ainsi que des actes de harcèlement judiciaire contre toute personne exprimant une opinion jugée dissidente.
La FIDH appelle les autorités maliennes à libérer immédiatement toutes les personnes détenues arbitrairement, à rétablir le respect des libertés fondamentales - notamment les droits à la liberté d’expression, d’opinion, d’association, de réunion et d’assemblée et de presse - et à restaurer l’espace civique et politique au Mali.
« Aujourd’hui au Mali, on ne parle plus de ‘glissement’ de la transition mais bien d’une volonté affichée par le régime militaire de confisquer le pouvoir », déclare Me Drissa Traoré, secrétaire général de la FIDH. « Au lieu de respecter leur engagement à organiser les élections et à transférer le pouvoir à un gouvernement civil, les militaires se sont maintenus en mettant en place un régime de plus en plus répressif qui porte systématiquement de graves atteintes aux libertés fondamentales protégées par la Constitution malienne et les instruments régionaux et internationaux ratifiés par le Mali. Les autorités maliennes doivent rapidement mettre en place toutes les conditions pour un dialogue effectif et inclusif avec les partis politiques et la société civile, afin qu’un nouveau chronogramme électoral soit établi », ajoute-t-il.
La répression des opposant·es politiques empêche tout pluralisme politique
Suite à l’interdiction des partis politiques prononcée le 10 avril 2024, le 20 juin 2024, onze membres de la Plateforme de la Déclaration commune du 31 mars, principale coalition d’opposition au régime miliaire, ont été arrêté⋅es par des gendarmes au domicile de l’un d’eux à Bamako, la capitale du Mali. Le 21 juin, une des personnes arrêtées, l’avocat Me Mohamed Ali Bathily, a été libéré. Le 24 juin, au terme du délai légal de garde à vue, les dix autres personnes arrêtées ont été inculpées d’« opposition à l’exercice de l’autorité légitime » et d’« atteinte à l’ordre public » et placées sous mandat de dépôt dans différents centres de détention situés à Bamako, Koulikoro, Kéniéroba et Dioila.
Bien que la suspension des activités des parties politiques ait été levée le 10 juillet 2024, soit trois mois après son adoption, les arrestations d’opposant·es politiques ont continué. Le 12 juillet 2024, Youssouf Daba Diawara, Coordinateur de la « Synergie d’action pour le Mali », une coalition d’organisations de la société civile et de regroupements politiques, constituée le 17 février 2024, et ancien coordinateur de la Coordination des mouvements, amis et sympathisants de l’Imam Mahmoud Dicko (CMAS), une association dissoute par les autorités de transition en mars 2024, a été arrêté par des gendarmes de la brigade d’investigations judiciaires. Le 15 juillet, il a été inculpé d’« opposition à l’autorité légitime » pour avoir participé à la manifestation spontanée contre la vie chère et le manque d’électricité du 7 juin dernier devant la chambre du Commerce et d’industrie de Bamako. Son procès doit avoir lieu le 3 octobre prochain.
« Les arrestations d’opposant⋅es confirment une fois de plus la volonté des autorités d’étouffer toute voix dissonante et d’imposer au Mali un régime autoritaire. Dans ce contexte, la levée de la suspension des activités des partis politiques bien qu’elle soit importante s’avère insuffisante pour décrisper le climat politique et restaurer le respect des droits humains en raison de la détention arbitraire en cours de 12 opposants politiques », déclare Me Jean Claude Katendé, Vice président de la FIDH. « Les autorités doivent immédiatement libérer les personnalités politiques toujours détenues arbitrairement et garantir le respect des libertés d’expression, d’opinion, de réunion et d’association », ajoute-t-il.
Des attaques sur les journalistes et la liberté de la presse
Les quatre ans du régime militaire sont également marqués par des actes de pressions, de menaces et d’intimidations, des enlèvements et des arrestations et détentions arbitraires de journalistes et de leaders d’opinion malien·nes. Le harcèlement judiciaire contre les défenseur⋅es des droits humains, activistes et journalistes est devenu un outil de répression du régime qui multiplie les procédures à leur encontre. Alors que plusieurs médias internationaux se sont vus retirer leur accréditation et sont définitivement suspendus, les médias nationaux poursuivent difficilement leur travail, craignant des mesures de restriction en représailles à la publication de tout contenu jugé contestataire.
Au second semestre 2022, Malick Konaté, journaliste reporter d’images pour divers médias et directeur de la chaîne d’information en ligne Horon TV, a été victime d’actes d’intimidation et de harcèlement et contraint à l’exil après qu’il se soit publiquement exprimé sur l’état du pays depuis la prise de pouvoir par la junte militaire, en dénonçant la corruption et les violations graves des droits humains au Mali.
Le 13 mars 2023, le chroniqueur de radio Mohamed Youssouf Bathily, plus connu sous le pseudonyme de Ras Bath, a été inculpé et écroué pour avoir dénoncé « l’assassinat » de l’ex-Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga. Relaxé pour simulacre d’infractions lors de son procès en première instance en juillet 2023, il a été condamné en appel pour « association de malfaiteurs, atteinte au crédit de l’État » et « crime à caractère religieux et raciste », le 11 mars 2024, à 18 mois de prison dont neuf ferme. Le parquet a fait appel de cette décision et Ras Bath reste en détention depuis plus de 17 mois.
Le 8 juin 2024, Oumarou dit Yeri Bocoum, journaliste/blogueur, a été enlevé à son domicile à Kati, au nord-ouest de Bamako, par des individus non identifiés, et emmené vers une destination inconnue. Son enlèvement est intervenu après sa couverture en tant que journaliste de la manifestation du 7 juin 2024 devant la Chambre du commerce et d’industrie du Mali à Bamako. Cette manifestation avait pour objectif de dénoncer la vie chère et le manque d’électricité. Il était l’un des rares journalistes à couvrir cet événement. Il a été relâché le 27 juin 2024 sans qu’aucune enquête ne soit ouverte par les autorités judiciaires.
Harcèlement et répression des défenseur⋅es des droits humains
En janvier 2023, Aminata Dicko, défenseure des droits humains et Présidente de l’Observatoire Kisal Mali, a dû s’exiler après avoir dénoncé, devant le Conseil de sécurité des Nations unies, les exactions commises par les forces armées maliennes. À la suite de son intervention rendue publique, la gendarmerie nationale l’avait convoquée pour l’interroger en lien avec des accusations de « haute trahison » et de « diffamation ».
Le 13 mars 2023, Sidibé Rokia Doumbia dite « Rose la vie chère », militante contre la vie chère au Mali, a été interpellée par la police avant d’être placée sous mandat de dépôt le 15 mars pour « incitation à la révolte », « trouble à l’ordre public par l’usage des technologies de l’information et de la communication », « offense et outrage envers le chef d’État ». Relaxée pour ces charges, elle reste en détention pour de nouveaux chefs d’accusation tels que « association de malfaiteurs » et « atteinte au crédit de l’État ».
En décembre 2023, Hamadoune Dicko, médecin, défenseur des droits humains, ancien président de la Jeunesse Pulaaku Mali et président actuel de la Jeunesse Pulaaku international, a été enlevé à Bamako par des personnes non identifiées et détenu au secret pendant deux mois et 27 jours à Bamako dans un local appartenant à un colonel de l’Agence nationale de la sécurité d’État (Anse).
En outre, depuis 2023 les autorités maliennes procèdent à la dissolution des associations, de même que des partis politiques, en violation flagrante de la Constitution malienne et des instruments régionaux et internationaux de protection des droits humains auxquels le Mali a souscrit. En mars 2024, les autorités maliennes ont ainsi dissous cinq associations dont l’Observatoire pour les élections et la bonne gouvernance, l’Association des élèves et étudiants du Mali (AEEM) et l’Association Karoual, pour des motifs fallacieux.
« Les attaques contre les défenseur⋅es, les journalistes ainsi que toutes les voix jugées critiques constituent des violations graves et inacceptables des dispositions pertinentes de la charte africaine des droits de l’homme et des peuples. Dès lors, les autorités maliennes doivent restaurer l’état de droit, en garantissant et en protégeant en toute circonstance les droits aux libertés d’expression, d’opinion, de réunion, d’association et de presse telles que consacrées par le droit national, ainsi que les instruments régionaux et internationaux de protection des droits humains, et en particulier la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples », déclare Mabassa Fall, Représentant de la FIDH auprès de l’Union Africaine.
Un pouvoir soupçonné de vouloir instrumentaliser le processus électoral
Alors que le calendrier de la transition prévoyait la tenue d’élections présidentielles et législatives avant la fin du mois de février 2022, celles-ci n’ont toujours pas été organisées à ce jour, en violation de la Charte de la transition approuvée en septembre 2020 à l’issue de la concertation nationale. Face au retard pris dans la mise en œuvre du calendrier électoral, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) a imposé, en novembre 2021, des sanctions ciblées contre le Premier ministre, des membres du gouvernement et les 121 membres du Conseil national de la transition (CNT) avant d’imposer des sanctions supplémentaires le 9 janvier 2022, notamment un embargo économique et financier. Ces sanctions ont été levées en juillet 2022.
L’élection présidentielle, qui avait été re-planifiée pour le 27 février 2024, et qui devait permettre un retour au pouvoir civil, a, à nouveau été reportée. Le 25 septembre 2023, les autorités militaires maliennes ont annoncé « un léger report pour des raisons techniques ». Ces reports incessants ont occasionné une prolongation de facto de la transition politique, sans pour autant qu’un nouveau calendrier n’ait été communiqué, laissant la population malienne dans l’incertitude.
En avril et mai 2024, les autorités militaires maliennes ont organisé le « dialogue inter-malien », des consultations nationales dont l’objectif était de proposer des solutions à la crise politique et sécuritaire au Mali. À l’issue de ce dialogue, 300 recommandations ont été formulées, dont certaines demandant de « proroger la durée de la transition de deux à cinq ans » et de « susciter la candidature du colonel Assimi Goïta à la prochaine élection présidentielle ». Des recommandations ostensiblement favorables au pouvoir en place. Cependant, alors qu’aucune communication officielle ne donne des précisions sur le chronogramme de la transition, des signaux semblent indiquer les préparatifs d’élections. Le 8 août 2024, le ministre de la Sécurité et de la Protection a exhorté les populations à aller retirer leurs cartes nationales biométriques Cedeao.