Depuis 2012, le nord et le centre du Mali sont agités par un conflit ayant fait plusieurs milliers de victimes. Opposant l’État malien et des groupes armés terroristes, il a dégénéré en affrontements communautaires. Les deux dernières années ont vu une recrudescence des violences et attaques [1], et la perpétration de nouveaux crimes graves.
L’ampleur et la gravité des crimes en cours d’instruction ou de jugement sont inédits dans l’histoire contemporaine du pays. Nos organisations ont entendu plus de 500 victimes et témoins ces dernières années. Elles ont initié ou participé à une dizaine de procédures judiciaires, accompagnant plus de 180 parties civiles devant la justice. Le rapport publié aujourd’hui revient sur l’état d’avancement de plusieurs affaires emblématiques.
Les 12 derniers mois ont permis des avancées considérables, avec l’ouverture du procès de l’ex président putschiste Amadou Haya Sanogo et de ses complices, poursuivis pour l’exécution sommaire de plus de 20 « bérets rouges », et la condamnation par la justice malienne de l’ancien commissaire de la police islamique de Gao : Aliou Mahamane Touré. Par ailleurs, un pôle judiciaire spécialisé dans la lutte contre le terrorisme et une Commission vérité, justice et réconciliation ont été créés puis sont entrés en fonction en 2015.
« Ces derniers mois, nous avons peut-être plus obtenus par la justice que ce qui fut obtenu par les armes : la reconnaissance des crimes des putschistes et des groupes armés. La paix se gagnera autant par le rétablissement de la sécurité qu’en répondant aux besoins de vérité, de justice et de réconciliation. »
Toutefois, le rapport décrit aussi comment d’autres affaires n’ont toujours pas fait l’objet de procès. Comme les crimes sexuels perpétrés de manière systématique par les groupes djihadistes au Nord Mali en 2012-2013. Si des mandats d’arrêt ont été déposés et des dizaines de personnes arrêtées et inculpées en 2013, aucune n’a depuis été inquiétée, alors que ces crimes sont constitutifs de crimes de guerre et crimes contre l’humanité. En 2014 et 2015, nos organisations avaient déposé deux plaintes [2] avec constitution de partie civile, en représentation de plus d’une centaine de victimes. Plusieurs autres procédures sont dans l’attente de relance. Notamment celles concernant le massacre d’Agueloc (153 militaires maliens exécutés) ; la mutinerie de Kati ; les « disparus de Tombouctou » ou les autres crimes commis par toutes les forces en présence pendant la « reconquête du Nord » en 2013.
Le contexte sécuritaire et politique ambivalent continue à peser sur les procédures judiciaires.
Ainsi, l’intensification des violences et attaques a des conséquences négatives. Elle empêche le retour d’un système judiciaire fonctionnel dans le nord et le centre [3], et pousse l’État à concentrer ses moyens sur les réponses sécuritaires et militaires. Par ailleurs, les accords passés pour obtenir la résolution politique du conflit – ou la libération d’otages - ont entraîné la libération ou l’abandon des poursuites à l’encontre d’individus soupçonnés de crimes graves [4] . Quant au procès Sanogo, il n’a toujours pas repris, un an jour pour jour après sa suspension pour vice de procédure dans la conduite des expertises médico-légales.
Enfin, si l’Accord de paix de juin 2015 consacre le caractère imprescriptible des crimes de guerre et crimes contre l’humanité, et la non amnistie pour leurs auteurs, sa mise en œuvre reste au point mort [5] .
« Si la lutte contre l’impunité n’est pas la seule réponse à apporter au conflit, il ne pourra y avoir de paix sans un minimum de justice. Les maliens attendent de leur justice qu’elle règle les différents, les protège de l’arbitraire des hommes en armes, et contribue ainsi à sortir leur pays de la crise qu’il endure depuis 2012. »
Lire le rapport : Mali : Face à la crise, faire le choix de la justice