Aujourd’hui, lors d’une conférence intitulée "Women in leadership : Achieving an equal future in a COVID-19 world" organisée par le groupe de travail du secteur du genre du comté, comprenant les autorités locales et la société civile, à Kisumu, dans l’ouest du Kenya, la FIDH et son organisation membre au Kenya, KHRC, présentent les résultats de leurs enquêtes sur les cas de violences sexuelles commises lors de l’élection présidentielle de 2017 au Kenya. Depuis 2018, nos organisations ont interrogé et suivi les situations d’un total de 51 femmes survivantes et de membres de leur foyer dans les comtés de Vihiga, Migori et Kisumu. D’autres acteurs ont également été interrogés aux fins de cette documentation à savoir les autorités locales et nationales, les organisations de la société civile et les ONG internationales.
Sur la base de ces enquêtes, la FIDH et KHRC ont documenté diverses formes de violence liée aux élections, y compris des violences sexuelles, sous la forme de viols, de tentatives de viol, de viols collectifs et d’agressions sexuelles, commis pour la plupart par des agents de l’État dans ces comtés considérés comme des bastions de l’opposition.
« Avant que je ne le sache, ils m’avaient volé. Un autre agent est venu me voir et m’a violée. Mes filles qui s’étaient enfuies ont commencé à crier qu’ils violaient leur mère ! Les motards sont venus à notre secours et ont commencé à jeter des pierres sur le toit. Les policiers ont eu peur et se sont enfuis. Mais avant de partir, ils nous ont violés tous les quatre (deux de mes employés, une dame âgée et moi-même) ».
Le suivi effectué par nos organisations auprès des victimes et des membres de leur foyer après les élections a également permis de constater de graves conséquences à long terme sur les plans physique, social, économique et politique. Aussi, la récurrence de ces violations et l’impunité dont bénéficient le plus souvent leurs auteurs ont exacerbé la méfiance de certaines populations à l’égard des acteurs politiques et des autorités nationales comme le montre la déclaration suivante d’une survivante :
« Parfois, je me demande pourquoi, au moment du vote, les femmes souffrent. En 1997, j’étais jeune. Au moment du vote, les gens se sont battus. En 2007, 2013, 2017. Pourquoi devrions-nous continuer à voter ? Il n’y a pas besoin de voter. Pourquoi les petites gens souffrent, pourquoi pas les grandes personnes, ils font se battre les gens et ensuite ils s’enfuient. Est-ce que cela a une valeur pour les gens de voter ? Et si c’est le cas, pourquoi les gens devraient-ils se battre ? Ils perdent la vie sans raison, juste parce que quelqu’un veut un siège. Je n’accorde pas de valeur au vote au Kenya ».
Les conclusions de nos organisations indiquent clairement que les mesures prises par l’État aux niveaux local et national pour prévenir et répondre aux violences sexuelles pendant les périodes électorales étaient insuffisantes. Les autorités kényanes n’ont pas respecté leurs obligations en matière de prévention, de protection, d’enquête, de poursuites et de réparations significatives pour les victimes de crimes sexuels commis lors des élections de 2017.
L’incapacité à mener des enquêtes et des poursuites indépendantes et efficaces en matière de violences sexuelles et sexistes (VSBG) a récemment été reconnue dans une décision de justice très attendue au Kenya, liée à une requête déposée en 2013 sur les violences sexuelles commises pendant l’élection de 2007 et ses suites. En conséquence des violations de ses obligations par l’État, plusieurs des victimes qui s’étaient engagées dans l’affaire en tant que co-pétitionnaires se sont vues attribuer chacune quatre millions de shillings kényans (environ 36 000 USD) à titre de dommages et intérêts généraux. Nos organisations ont salué cette décision mais rappellent que de graves lacunes dans la lutte contre l’impunité subsistent en ce qui concerne les violences sexuelles commises dans le contexte des élections au Kenya.
A un an des prochaines élections au Kenya, et compte tenu de l’historique de violences, y compris sexuelles, autour des élections dans le pays depuis les années 1990, il est urgent que les autorités nationales et locales répondent enfin et de manière adéquate aux demandes de justice des survivants de violences sexuelles, mais aussi qu’elles mettent en place des mesures spécifiques pour lutter contre leur récurrence à l’approche des élections générales
« Que vont-ils faire pour que les élections de 2022 soient différentes ? Ils ont vu que ce problème est récurrent, c’est arrivé en 2007, 2013 et 2017. Quelles sont les mesures que le gouvernement va prendre ? Ce sont les femmes qui votent majoritairement, et ce sont les femmes qui souffrent. Je veux la justice et une compensation ».
Nos organisations entendent poursuivre leur action commune en faveur de la prévention et de la lutte contre l’impunité des violences sexuelles, notamment en appelant les autorités et les acteurs politiques à placer ces questions au cœur du débat lors de la prochaine période électorale, et en faisant entendre la voix des survivants sur les conséquences et l’impact de ces violations sur leur vie et sur la société dans son ensemble. Nous demandons instamment aux autorités nationales et locales de rendre des comptes et d’assurer une prévention, une protection et une réponse adéquates aux violences sexuelles. Un rapport plus détaillé sur ces conclusions et les recommandations de nos organisations suivra prochainement.