Kenya : 10 ans après les violences post-électorales, les réformes de la sécurité et de la justice demeurent clés

03/08/2017
Rapport
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Nairobi, Paris, le 3 août 2017 - Indépendamment des résultats des élections générales prévues la semaine prochaine, il est essentiel que le Kenya continue à mener ses réformes dans les secteurs de la sécurité et de la justice, souligne un nouveau rapport publié aujourd’hui par la FIDH et KHRC.
Intitulé « Kenya’s Scorecard on Security and Justice : Broken Promises and Unfinished business » (« Bilan du Kenya sur la sécurité et la justice : promesses brisées et travaux inachevés »), ce rapport présente une évaluation mitigée des réformes enclenchées à la suite des violences post-électorales de 2007/2008 (PEV). Alors que le monde attend de voir comment se dérouleront les prochaines élections, il est nécessaire de rappeler que les actions visant à renforcer et à améliorer les procédures de contrôle des opérations de police, de même qu’à lutter contre l’impunité, doivent permettre d’éviter que l’histoire ne se répète au Kenya.

À la suite de de la crise post-électorale de 2007/2008 , les déficiences au sein des secteurs de la sécurité et de la justice ont été identifiées comme faisant partie des principales causes des violences. . Face à ce constat, les autorités kényanes se sont engagées à procéder à des réformes juridiques et institutionnelles dans les deux secteurs. La nouvelle Constitution adoptée en 2010 constitue le socle sur lequel ces réformes ont été engagées. Les intentions visaient notamment à renforcer les mécanismes de contrôle du secteur de la sécurité, à reconstruire la confiance dans le système judiciaire, et à octroyer justice et réparation aux victimes de violations des droits humains, dont beaucoup ont été commises par les forces de sécurité.

Le rapport publié aujourd’hui présente un bilan mitigé.

Au cours des quatre dernières années, les réformes entamées ont connu des progrès minimes, caractérisés, soit par de vaines promesses, aux impacts inexistants, soit par des retours en arrière menaçant de remettre en cause les petites victoires obtenues.

George Kegoro, Directeur exécutif de KHRC

D’un côté, des avancées importantes ont pu être réalisées dans la mise en œuvre de certaines réformes dans les deux secteurs. Cela inclut la création avec succès d’une Autorité indépendante de surveillance de la police (IPOA – Independent Policing Oversight Authority) pour fournir le contrôle civil nécessaire dans ce domaine, le recrutement de plus de 200 policiers, dépassant le ratio des Nations Unies de 1 agent pour 450 habitants. En outre, le fonctionnement du secteur de la justice a connu des améliorations avec la nomination de plus de 200 juges et magistrats, permettant d’atténuer l’arriéré de 311 000 cas sur un million en 3 ans. Par ailleurs, l’investissement dans le Cadre de transformation judiciaire (Judicial Transformation Framework) a contribué à renforcer l’indépendance de ce secteur.

À l’inverse, des réformes holistiques pour remédier à certaines des violations persistantes des droits humains au Kenya demeurent nécessaires. En particulier, l’augmentation de cas d’exécutions extrajudiciaires continue de violer le droit à la vie et à la sécurité . Les tendances émergentes et l’échec évident à résoudre ce problème sont un sujet de préoccupation sérieux. En outre, alors que le terrorisme demeure une préoccupation majeure en matière de sécurité au Kenya , les violations commises par les services de sécurité de l’État lors des opérations de lutte contre le terrorisme démontrent leur renoncement aux promesses de réformes holistiques dans le secteur de la sécurité. À cela s’ajoute la tendance inquiétante observée sous l’administration Jubilee d’entraver la liberté de manifestation en utilisant des méthodes illégales, extrêmes et souvent mortelles de contrôle des foules .

En ce qui concerne le secteur de la justice, les victimes de violations graves des droits humains continuent de demander justice et réparation. Depuis près de dix ans, les victimes des violences post-électorales n’ont pas reçu de compensations complètes et adéquates pour le préjudice subi, et continuent de souffrir des des conséquences des violences de 2007-2008. Enfin, le gouvernement a échoué à mettre en œuvre le rapport de la Commission vérité justice et réconciliation (TJRC), bien qu’il ait été soumis au président Kenyatta il y a plus de 3 ans. Ces questions continuent d’entraver le processus de réforme au Kenya.

Les principales causes de ces défaillances sont les interférences politiques de l’exécutif et du Parlement afin de maintenir le contrôle sur les opérations des services de sécurité et sur l’issue des procédures judiciaires. Dans certains cas, le gouvernement a tout simplement refusé d’accepter les jugements rendus par les tribunaux.

Le prochain gouvernement devra s’engager à poursuivre les réformes pour le bien du pays et non pour son propre intérêt. 

Arnold Tsunga, Vice-Président de la FIDH

À mesure que les élections approchent , les défis sécuritaires s’accroissent, notamment compte tenu du déploiement de troupes militaires dans certaines régions du pays ou encore du risque de suspension des droits de vote dans certaines zones troublées. Quiconque compose le prochain gouvernement élu devra protéger, mettre en œuvre, et approfondir les réformes dans les secteurs de la sécurité et de la justice.

Lire le rapport « Kenya’s Scorecard on Security and Justice : Broken Promises and Unfinished business »

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