« Nous déplorons que les pressions sans précédent exercées contre des témoins importants de l’accusation aient joué un rôle significatif dans le manque de preuves suffisantes apportées pour étayer les charges à l’encontre des accusés. L’impunité persistante au Kenya l’emporte sur l’établissement des responsabilités et continue à passer sous silence les victimes des atrocités commises pendant les violences post-électorales. »
M. Ruto et M. Sang étaient accusés de crimes contre l’humanité (meurtre, déportation ou transfert forcé de population, persécution) qui auraient été commis au Kenya dans le contexte des violences post-électorales de 2007-2008, qui ont entraîné la mort de 1133 personnes, 900 cas de violences sexuelles ou basées sur le genre, 663 921 personnes déplacées, de nombreuses victimes ayant subi de graves violences et la destruction de biens.
La décision fait suite au jugement de la Chambre d’appel qui a annulé la décision précédente de la Chambre de première instance selon laquelle les dépositions des témoins, qui ultérieurement ont soit modifié leur déclaration soit refusé de coopérer, pourraient être utilisées comme preuves sur la base de l’amendement de la Règle 68 du Règlement de procédure et de preuve. La Chambre d’appel a déterminé que, le Règlement ayant été amendé après le début de l’affaire, celui-ci a été appliqué rétroactivement et au détriment des accusés puisqu’il admettrait des preuves à charge à l’encontre des accusés. La raison pour laquelle le Procureur a cherché à faire reconnaître les témoignages est qu’un certain nombre de témoins, après avoir donné leur témoignage initial, a cessé de coopérer en raison de menaces, d’intimidations, de corruption ou de la crainte de représailles. Les media sociaux et les blogs ont aussi été utilisés pour révéler les identités des témoins de l’accusation.
« Cette subordination systématique de témoins et ces intimidations dans les affaires kenyanes ont privé des milliers de victimes des violences post–électorales de la justice à laquelle elles ont naturellement droit. Ceci est particulièrement regrettable du fait que les victimes de ces atrocités n’ont pas eu de recours ni de réparation au niveau national, mais ont été, à la place, confrontées à une série de promesses rompues. »
La CPI a émis deux mandats d’arrêt, en 2013 et 2015, à l’encontre de trois Kenyans accusés de subornation de témoins dans l’affaire contre Ruto et Sang. La Chambre de première instance a identifié un élément de « systématicité » dans les pressions exercées sur les témoins, laissant supposer qu’ils étaient méthodiquement ciblés afin d’entraver la procédure. De plus, une personne présentée par la défense de Ruto comme un témoin à décharge a été assassinée au début 2015. Le résultat des enquêtes concernant ce décès n’a pas encore été rendu public.
En raison de cette intimidation systématique de témoins, le Bureau du Procureur a décidé de retirer les charges portées contre deux autres personnes accusées de crimes contre l’humanité dans le contexte des violences post-électorales au Kenya - le Président kenyan Uhuru Kenyatta [1] et le Ministre Francis Muthaura [2]. Le Procureur a déclaré que les nombreux efforts concertés visant à harceler, intimider et à menacer les témoins avaient incité les témoins principaux à se retirer et à changer leur témoignage. Plusieurs personnes qui auraient pu apporter des éléments de preuve importants ont été trop terrifiées pour témoigner.
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