Hommage à Thierno Maadjou Sow

19/11/2015
Communiqué
FIDH

par Souhayr Belhassen, présidente d’honneur de la FIDH

Chers membres de la famille de Thierno Maadjou Sow,
Chère Madame Sow Fatoumata Binta Baldé,

Mesdames et messieurs les membres du gouvernement,
Représentants du corps diplomatiques,
Chers amis de l’OGDH,
Distingués invités,

Avec le décès de Thierno Sow se tourne une page de l’histoire de la Guinée. Une page qui commence avec l’indépendance, lorsque le jeune Thierno Maadjou, diplômé de l’Ecole normale de Sebikhotane au Sénégal et étudiant à Moscou, participe à l’ouverture de l’ambassade de Guinée en URSS et à l’effort national pour instaurer un régime à la hauteur des espoirs de tout un peuple.

Ces espoirs seront contrariés et Thierno Sow rapidement inquiété par les autorités d’alors. Ce n’est qu’en 1970 qu’il pourra rentrer à Conakry, après un parcours universitaire brillant en Allemagne. Conakry, où il enseignera les sciences politiques et économiques à l’Université Gamal Abdel Nasser à plusieurs générations d’étudiants, y compris une partie de la classe politique actuelle. Dans les nombreuses missions conduites par la FIDH en Guinée, j’ai toujours été frappée de constater que la plupart de nos interlocuteurs, qu’ils soient du gouvernement, de l’administration ou de la société civile, avaient souvent suivi au moins un cours de Thierno Sow et le saluaient avec la déférence qu’on réserve à ceux qui nous ont durablement marqués par leur enseignement et leur rigueur.

D’ailleurs, son titre de docteur allait bien au-delà de la simple distinction universitaire. Tout le monde, à Conakry et en Guinée, de ses collègues de l’OGDH aux partenaires internationaux, appelait Thierno Sow : « Docteur », « Docteur », « Docteur » comme pour mieux souligner le respect qu’inspiraient sa stature intellectuelle et son intégrité. Docteur, Thierno Sow l’était également en recevant inlassablement des victimes de violations des droits humains qui venaient, auprès de lui, solliciter l’appui de l’OGDH pour faire valoir leurs droits devant la justice guinéenne.

Thierno Sow fait partie de ces grands intellectuels africains, universitaires, avocats, journalistes, qui, dès les années 80, ont oeuvré pour l’instauration de la démocratie dans des régimes qui avaient souvent dévoyé les idéaux indépendantistes au profit d’une gouvernance autoritaire. Avec d’autres du Mali, du Niger, de la Côte d’Ivoire, pour ne citer que ceux-là, il a permis l’émergence d’une société civile africaine forte, résolument engagée en faveur du pluralisme et de la vie démocratique. Une société civile non pas dirigée contre le pouvoir, comme on l’entend parfois, mais érigée en contre pouvoir pour le respect des droits fondamentaux par et pour tous, sans distinction d’appartenance, d’affiliation ou de communauté.

L’Organisation guinéenne de défense des droits de l’ Homme et du citoyen, créée en 1989 avec Samba Toure, Bah Oury, Ahmed Tidiane Cissé, mais reconnue en 1990 et rapidement rejointe par de nombreux militants, a ainsi joué un rôle central dans toutes les étapes de la démocratisation en Guinée. Il n’est pas un parti politique guinéen qui n’ait sollicité l’OGDH pour des violations dont ses militants ont été les victimes. Pas un homme politique emprisonné pour des raisons non strictement judiciaires, qui n’ait reçu la visite et le soutien de cette organisation.

C’est précisément cette impartialité qui a valu à Thierno Sow d’être élu, en 2005, président du Forum des forces vives de Guinée, rassemblant l’ensemble des acteurs politiques et sociaux du pays pour faciliter une transition vers la démocratie après vingt années d’exercice du pouvoir par le général Conté. Chacun aujourd’hui doit prendre la mesure de l’influence qu’aura eue Thierno Maadjou Sow sur la vie politique guinéenne et suivre la voie qu’il a contribué à tracer.

Au-delà de son engagement pour la démocratie, Thierno Sow a été, à bien des égards, un militant visionnaire : profondément marqué par les graves violations des droits humains commises pendant la période du Camp Boiro, puis en 1985, en 2007 et enfin en 2009, pour ne retenir que ces épisodes, il fait partie de ceux qui ont toujours insisté sur la menace de l’impunité et la nécessité d’une justice impartiale pour les auteurs des crimes les plus graves. C’est sous son impulsion que l’OGDH et la FIDH ont assisté des centaines de victimes, de janvier et février 2007, du 29 septembre 2009, devant la justice guinéenne, et c’est largement grâce à lui et à son organisation, aux côté des associations de victimes, que la justice guinéenne s’approche aujourd’hui de procès qu’il souhaitait tant voir se tenir, pour, disait-il, « en finir enfin avec l’impunité ».

Thierno Sow incarnait comme personne la défense des droits humains. Jusqu’au bout, il se sera battu en faveur des victimes de violations. Je me souviens, lors d’une visite en mai 2014, quand il était hospitalisé à l’hôpital Ignace Deen : à peine entrée dans sa chambre et alors que j’essayais de savoir comment il se sentait, il m’avait tout de suite demandé où en étaient les dossiers judiciaires et quelles étaient les prochaines étapes de ces procédures sur lesquelles il comptait tant. Quand je lui demandais quel était le secret de sa forme, il me répondait : « c’est la marche : chaque jour, pendant des années, je suis allé de la Minière à mon bureau de Dixinn. Une heure de marche par jour, voici le secret ». Je souriais mais savais, sans rien enlever aux vertus de la promenade, que son véritable secret était plutôt à chercher dans son engagement sans faille, qui lui donnait cette force que tous ceux qui l’ont fréquenté admiraient.

Je me souviens aussi d’un déjeuner que nous avions organisé en septembre 2014, à la veille du 5ème anniversaire du 28 septembre 2009, avec le ministre de la Justice, Cheick Sako, et des représentants du corps diplomatique et des Nations Unies. Contre l’avis de ses médecins et de sa propre famille, il avait tenu à venir en personne, d’un pas hésitant et aidé d’une canne, pour rappeler l’importance de la lutte contre l’impunité. Il avait quitté le déjeuner épuisé et tremblant, mais satisfait d’avoir pu, une fois encore, porter ce message en faveur de la justice. Après cela, sa femme, que je tiens à saluer particulièrement aujourd’hui, nous avait exprimé sa crainte que de telles activités puissent affaiblir davantage sa santé, et nous avions dû nous résoudre à ne plus le voir qu’à son domicile

C’est un grand défenseur des droits humains qui s’en va. Il a porté le combat en faveur des droits bien au-delà de la Guinée, et notamment en tant que vice président de la FIDH entre 2001 et 2004. Il a beaucoup apporté à notre organisation et c’est la toute la famille des défenseurs à travers le monde qui est en deuil aujourd’hui. Nous saluons sa mémoire et son action, et apportons toute notre solidarité et nos pensées à sa famille, à ses proches, et à l’organisation qui était toute sa vie : l’OGDH.

Un proverbe soussou dit « Fakhai noomanè adamadira kono amou nooma akhilyra » : la mort peut vaincre l’homme mais jamais son oeuvre. Que Thierno Sow repose en paix : les générations de défenseurs des droits humains guinéens qu’il a formées, tous ensemble, nous poursuivrons son engagement et son combat pour le respect des droits et des libertés.

Je vous remercie.

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