Des centaines de personnes ont été blessées et plus d’une centaine de femmes ont été victimes de viol et d’autres formes de violences sexuelles lors de ce déferlement de violence qui a démarré le 28 septembre 2009 et s’est étalé sur plusieurs jours.
Les six organisations sont l’Association des victimes, parents et amis du 28 septembre 2009 (AVIPA), l’Organisation guinéenne de défense des droits de l’homme (OGDH), Les Mêmes droits pour tous (MDT), la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), Amnesty International et Human Rights Watch.
« Une décennie s’est écoulée depuis le massacre du stade de Conakry, mais pour ceux qui ont perdu leur fils, fille, père ou mère, l’horreur de ce jour reste à jamais gravée dans leur mémoire », a déclaré Asmaou Diallo, présidente de l’AVIPA. « Dix ans, c’est trop long lorsqu’on a soif de justice. Nous avons droit à ce que les responsables de ces atrocités rendent des comptes. »
Peu avant midi, le 28 septembre 2009, plusieurs centaines d’agents des forces de sécurité guinéennes ont ouvert le feu sur des dizaines de milliers de personnes rassemblées pacifiquement dans le stade pour protester contre l’intention de Moussa Dadis Camara, alors chef de la junte au pouvoir, de se présenter à l’élection présidentielle. Les forces de sécurité ont également violé des femmes, individuellement ou collectivement, y compris au moyen d’objets tels que des matraques ou des baïonnettes.
Les forces de sécurité se sont ensuite attelées à une opération organisée de dissimulation, dans le but de cacher l’ampleur des tueries, en bouclant tous les accès au stade et aux morgues et en emportant les corps pour les enterrer dans des fosses communes, dont beaucoup doivent encore être identifiées.
L’enquête menée par des juges d’instruction guinéens, ouverte en février 2010 et bouclée fin 2017, a progressé lentement en raison d’obstacles politiques, financiers et logistiques. Mais dans un pays où les crimes impliquant les forces de sécurité restent largement impunis, sa clôture a envoyé un signal fort et levé les espoirs que l’ouverture d’un procès qui pourraient rendre justice aux victimes serait proche.
En avril 2018, l’ancien ministre de la Justice Cheick Sako a mis en place un comité de pilotage chargé d’organiser le procès sur le plan pratique. Ce comité a décidé qu’il se tiendrait à la Cour d’appel de Conakry.
Pourtant, presque deux ans après la clôture de l’enquête, la date du procès n’est toujours pas fixée. Alors que le comité de pilotage est censé se réunir chaque semaine, il ne le fait que par intermittence.
Même si en juillet la Cour suprême guinéenne a écarté tous les recours judiciaires liés à la clôture de l’instruction, les juges qui présideront le tribunal n’ont toujours pas été désignés.
Certains survivants sont décédés pendant que l’affaire continue de traîner en longueur. Un résumé chronologique des événements peut être consulté ici.
Les victimes expliquent dans la vidéo en quoi obtenir justice pour ces crimes est si importante pour elles :
« Depuis ce jour, nous pleurons et nous voudrions pouvoir sécher nos larmes, nous espérons obtenir justice. »
« Je demande encore au président de la République de penser à nous, les victimes du 28 septembre. »
« La proclamation de la date, c’est ce qui est très important. On dit à partir de tel jour, tel mois, le procès va commencer. À partir de cet instant, ça va nous donner beaucoup d’espoir d’aller [vers] le procès. »
Plus de 13 suspects ont été inculpés, dont Dadis Camara, l’ancien chef de la junte appelée Conseil national pour la démocratie et le développement, qui gouvernait la Guinée en septembre 2009, ainsi que son vice-président, Mamadouba Toto Camara. Plusieurs individus inculpés de charges liées aux homicides et aux viols occupent toujours des postes d’influence, y compris Moussa Tiégboro Camara, Secrétaire général chargé des Services spéciaux de lutte contre le grand banditisme et les crimes organisés.
L’aide de camp de Dadis Camara, Abubakar « Toumba » Diakité, a également été inculpé. Il a été extradé vers la Guinée en mars 2017, après plus de cinq ans de cavale. Quatre autres individus sont en détention à la Maison Centrale de Conakry, respectivement depuis 2010, 2011, 2013 et 2015 dans le cadre de l’affaire du 28 septembre. Leur détention provisoire est illégale dans la mesure où elle excède la durée maximale prévue par la loi guinéenne, soit 18 à 24 mois en matière criminelle, en fonction du chef d’inculpation. Ils doivent pouvoir être jugés de façon équitable dans les plus délais.
Le 14 août 2019, lors d’une réunion du comité de pilotage, Mohammed Lamine Fofana, le nouveau ministre de la Justice, a réitéré l’engagement du président Alpha Condé vis-à-vis du procès et promis que des « préparations concrètes » commenceraient immédiatement.
Le gouvernement et les partenaires internationaux de la Guinée, notamment l’Union européenne et les États-Unis, ont déjà mis de côté des fonds essentiels pour que le procès puisse avoir lieu.
« La date du procès doit être fixée et des juges nommés pour juger l’affaire », a déclaré Frédéric Foromo Loua, président de MDT. « Par ailleurs le comité de pilotage devrait répondre aux éventuels besoins en suspens en matière de bâtiments et organiser les procédures de logistique et de sécurité en vue du procès. Enfin il faudrait prendre les mesures adéquates pour assurer la participation de Dadis Camara, qui est actuellement en exil au Burkina Faso ».
La Cour pénale internationale (CPI) a ouvert une enquête préliminaire sur la situation en Guinée en octobre 2009. La CPI agissant comme un tribunal de dernier recours, elle ne prendrait le relais que si les juridictions nationales ne peuvent pas, ou ne veulent pas, instruire et juger les affaires pour lesquelles elles sont compétentes.
« Le procès du 28 septembre 2009 nécessite un appui politique au plus haut niveau afin de démarrer », a conclu Abdoul Gadiry Diallo, président de l’OGDH. « Le président Condé a affirmé auparavant son engagement à mettre fin à l’impunité. Le président doit agir en faveur des victimes en appuyant sans équivoque l’ouverture du procès et le ministre de la Justice doit s’assurer qu’il s’ouvre dans les plus brefs délais. »
Pour aller plus loin, la FIDH publiait à l’occasion du 60ème anniversaire de l’indépendance de la Guinée le livre "Mémoire Collective - Une histoire plurielle des violences politiques en Guinée".
Le livre souhaite apporter sa contribution au difficile travail de mémoire entrepris en Guinée, où les violences perpétrées par l’État et les hommes en uniforme (notamment au camp Boiro) sont longtemps restées taboues, et les archives consacrées inaccessibles.