Situation des droits de l’Homme en Guinée : les stratégies de lutte contre l’impunité

23/05/2007
Communiqué

Intervention de Me Sidiki KABA, président d’honneur de la FIDH à la Conférence syndicale internationale de solidarité pour la promotion du développement durable en Guinée - 23-24 mai 2007 à Conakry

Au nom de la Fédération internationales des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et de ses 155 organisations membres dont l’Organisation guinéenne des droits de l’Homme (OGDH), je souhaite remercier chaleureursement les syndicats guinéens – la Confédération nationale des travailleurs de Guinée (CNTG), Union syndicale des travailleurs de Guinée (USTG), l’organisation nationale des synidcats libres de Guinée (ONSLG) et l’Union démocratique des travailleurs de Guinée (UDTG), la Confédération syndicale internationale (CSI), l’Organisation régionale - africaine (ORAF) et l’Organisation démocratique syndicale des travailleurs africains (ODSTA) de nous acceuillir à Conakry pour construire ensemble les stratégies de la société civile pour une sortie de crise durable en Guinée après la très forte expression populaire de janvier et février dernier.

Auparavant, je voudrais simplement retracer en quelques mots les liens qui unissent nos organisations et qui ont répondues présentes lors de la crise. La FIDH mène depuis de nombreuses années aux côtés de ses organisations membres une lutte continue pour l’universalité et - l’indivisibilité des droits de l’Homme : pour les droits civils et politiques, mais aussi pour le droit à l’amélioration des conditions de vie garantie par l’article 22 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme. A ce titre, la FIDH est engagée avec ses organisations membres et les synidcats dans un même combat.

Pour la protection des défenseurs des droits économiques et sociaux la FIDH s’est retrouvé à de nombreuses reprises aux côtés de la CISL et de la CMT, sur le terrain comme à Djibouti ou devant les instances internationales comme devant l’OIT. Lors de la création de la Confédération syndicale internationale en novembre 2006 à Vienne, la FIDH était heureuse d’être un témoin privilégié de cet événement majeur pour la société civile mondiale : l’émergence d’une organisation syndicale mondiale à même de faire face aux défis de la mondialisation des marchés mais aussi de la mondialisation des inégalités et des violations. Ce partenariat stratégique s’est poursuivie à Lisbonne, en avril 2007, où au congrès de la FIDH consacré aux migrations internationales et aux droits de l’Homme, la CSI a contribué à notre réflexion commune en particulier sur les droits à garantir aux travailleurs migrants.

Si nous souhaitons renforcer nos partenariats et nos actions communes dans le futur sur le terrain et dans les enceintes internationales, en faveur des défenseurs des droits économiques et sociaux, en faveur de la responsabilité sociale des entreprises, en faveur de règles du commerce mondial plus respectueuses des droits fondamentaux, c’est que nous partageons les mêmes principes pour l’amélioration des conditions de travail, les droits humains, la démocratie, la justice sociale, l’égalité des genres, la paix et la démocratie. En outre, nos natures fédératives nous rapprochent, nos champs d’actions et nos moyens respectifs nous rendent complémentaires, comme içi en Guinée où nos membres respectifs travaillent ensemble.

Lutter contre l’impunité en Guinée

Cinq mois après le déclenchement de la grève générale du 10 janvier 2007, la FIDH et son organisation membre en Guinée, l’OGDH, demeurent particulièrement inquiètes de la situation des droits de l’Homme, içi en Guinée. La répression arbitraire des manifestations de janvier et de février 2007 aurait fait près de 120 morts et des centaines de blessés. Les forces de sécurité et les forces armés guinénennes ont bafoué les principaux principes de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples et des autres textes fondamentaux des droits de l’Homme : notamment le respect et la protection, en toute circonstance, de l’intégrité physique des populations ; la liberté de manifestation pacifique ; la liberté d’information, d’opinion et d’expression ; de circulation. En outre, la Charte africaine ne prévoit pas de dérogations aux droits et libertés qu’elle garantit et ces derniers doivent donc être respectés, même en temps de crise et de conflit. L’instauration de l’État d’urgence pour faire face à une situation que les forces armées guinéennes ont elles-mêmes contribué à créer en réprimant dans le sang les premières contestations pacifiques ne pouvait donc être qu’illégale et illégitime.

A la suite des demandes répétées de la FIDH, de ses ligues en France et en Guinée, de l’Inter Syndicale Guinéenne (ISG) et de la Confédération syndicale internationale (CSI) pour la mise en place d’une commission indépendante et/ou l’envoi d’une mission d’enquête internationale indépendante afin de faire la lumière sur l’ampleur de la répression, d’identifier les auteurs de ces crimes et d’établir leurs responsabilités aux fins de poursuites judiciaires, le gouvernement guinéen n’a procédé à aucune arrestation et aucune investigation sérieuse.

L’instauration vendredi dernier, le 18 mai 2007, par l’Assemblée nationale guinéenne d’une Commission nationale d’enquête sur la répression des manifestations de janvier, février 2007 et de juin 2006 est un premier pas vers la recherche de la vérité. Cependant, cette Commission pose aujourd’hui plus de questions qu’elle n’apporte de réponse. Composée de 19 membres, elle inclurait notamment, selon les informations reçues, des représentants des forces de police, des syndicats, des ONG droits de l’Homme, des forces de sécurité. Prévue pour durée d’un an, elle devrait aussi disposer d’un budget autonome. Si l’on peut se féliciter de la préoccupation prévalant à l’intégration des acteurs sociaux et de la société civile au sein de cette commission nationale, il demeure étonnant que ces partenaires n’est pas été ou peu consultés sur leur participation, le mandat et les moyens exacts de cette commission. Surtout, la présence des forces de police et de sécurité, dont de nombreux éléments sont soupçonnés d’avoir participés aux exactions, semble particulièrement déplacé et ne garantissant pas à cette commission l’indépendance nécessaire à l’établissement de la vérité en vue de poursuivre en justice les auteurs et permettre aux victimes d’obtenir réparation.

La FIDH et l’OGDH vous proposent un certain nombre de recommandations à adresser aux autorités guinéennes :

 Garantir en toutes circonstances l’intégrité physique et morale des populations civiles et en particulier, les défenseurs des droits de l’Homme y incluant les défenseurs des droits économiques et sociaux, c’est à dire les syndicalistes ;

 Garantir les droits fondamentaux de la personne humaine et en toute circonstance tel que stipulé en particulier par la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples auquelle la République de Guinée à souscrit ;

 Réviser la composition et le mandat de la Commission nationale d’enquête sur la répression des évenements de juin 2006, janvier et février 2007, afin de notamment de :
1. garantir son indépendance, la sécurité des victimes et l’établissement exactes des responsabilités en toute impartialité ;
2.intégrer dans son mandat l’établissement des responsabilités des événements de mai 2007 ayant provoqué la mort d’au moins 12 personnes ;

 Identifier et poursuivre les responsables des exactions commises depuis juin 2006 jusqu’en mai 2007 en Guinée ;

 Inviter les rapporteurs spéciaux de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples et des Nations unies à se rendre en Guinée ;
Appliquer les accords signés tripartites de janvier 2007 entre les autorités guinéennes, les synidcats et la CEDEAO ;

 Annuler la nomination de M. Daouda Bangoura, Gouverneur de la Banque centrale de la République de Guinée (BCRG), qui constitue une violation des accords tripartites de janvier 2007 ;

 Garantir l’indépendance de la CENI et prendre en compte les observations des partis politiques et de la société civile sur les modifications du code électoral ;

 Modifier l’article 79 de la Constitution en abrogeant le principe de réciprocité des normes juridiques internationales aux normes nationales ;

 Ratifier le protocole relatif à la charte africaine des droits de l’Homme et des peuples portant création de la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples et faire une déclaration à l’article 34.6 permettant aux ONG et aux individus de saisir la Cour ;

 Convoquer une conférence nationale pour le dialogue, afin de mettre en place les réformes institutionnelles, politiques et légales nécessaires au respect de droits fondamentaux garantis par les instruments régionaux et internationaux de droits de l’Homme auxquels la Guinée est partie, ainsi que de mettre en place une justice impartiale et équitable, premier pas vers l’établissement de la réconciliation , de la paix et la démocratie.

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