Lettre Ouverte à M. Yayah Jammeh, Président de la République gambienne

21/12/2004
Communiqué

Monsieur le Président de la République,

La Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) souhaite vous faire part de son extrême préoccupation concernant l’assassinat de M. Deida Hydara, journaliste gambien réputé, ainsi que les récentes atteintes portées à la liberté de la presse en Gambie.

M. Deida Hydara a été assassiné par trois balles dans la tête dans la nuit du 16 au 17 décembre, peu après minuit, alors qu’il reconduisait deux de ses collaboratrices à leur domicile. Ces dernières, Mme Ida Jagne-Joof et Mme Nyang Jobe ont été blessées par balles aux jambes et se trouvent actuellement à l’hôpital pour y être soignées.

M. Hydara, 58 ans, travaillait comme correspondant en Gambie pour l’Agence France Presse (AFP) depuis 1974 et pour Reporters sans frontières (RSF) depuis 1994 ; il était également copropriétaire du journal « The Point ». M. Hydara était particulièrement reconnu pour son engagement en faveur de la liberté de la presse et des droits de l’Homme, et faisait partie des journalistes très critiques à l’égard du gouvernement.

La FIDH note que cet assassinat survient dans une période de répression accrue à l’encontre de la presse indépendante en Gambie. En effet, la mort brutale de M. Hydara intervient quelques jours après l’adoption par le Parlement de deux lois particulièrement répressives, qu’il avait lui-même vivement critiquées.

Le 13 décembre 2004, le Parlement a en effet abrogé la Loi sur la Commission nationale des médias de 2002, et adopté le « Newspaper Amendment Act » qui annule les enregistrements de tous les médias établis dans le pays et impose à ces derniers de se réenregistrer auprès du Bureau des enregistrements. Il multiplie également par cinq la caution versée par les propriétaires de journaux pour l’obtention d’une licence.

Le 14 décembre, le Parlement a adopté le « Criminal Code Amendment Bill 2004 », qui supprime les peines d’amendes et prévoit que tous les délits de presse seront passibles de peines d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à trois ans. Ces délits concernent la diffamation - dont elle étend la définition -, la sédition, la diffusion de fausses nouvelles et de propos déplacés.

Conformément à la loi gambienne, le président de la République a un délai de quatorze jours pour signer ces deux textes de loi.

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La FIDH souligne que loin de « poser le fondement d’un média libre et indépendant », comme l’affirme le Gouvernement gambien, ces textes de loi sont le signe d’une volonté politique de museler toute voix divergente.

La FIDH note enfin que l’assassinat de M. Deida Hydara s’inscrit plus généralement dans un contexte d’intimidations accrues contre l’ensemble des journalistes indépendants et des représentants de la société civile. A cet égard, la FIDH rappelle le cas de M. Abdoulaye Seye, rédacteur en chef de « The Independent », récemment séquestré pendant une semaine par les services de renseignements gambiens. Aussi, M. Ousmane Sillah, président de la Coalition des avocats pour la défense des droits de l’Homme, avait été attaqué devant son domicile en décembre 2003 par deux hommes qui avait tiré sur lui à bout portant.

La FIDH condamne avec force l’assassinat de M. Deida Hydara et souligne par ailleurs que les textes de loi mentionnés ci-dessus s’inscrivent en contradiction flagrante avec la liberté de la presse et la liberté d’expression garanties par la Constitution de 1997, ainsi que par le Pacte international sur les droits civils et politiques ratifié par la Gambie et la Charte africaine des droits de l’Homme et des Peuples.

La FIDH demande par conséquent aux plus hautes autorités gambiennes de :

 mener une enquête impartiale et indépendante dans l’assassinat de M. Deida Hydara, afin que ses auteurs soient identifiés, jugés et dûment sanctionnés dans les plus brefs délais ;

 garantir en toutes circonstances la sécurité des journalistes indépendants et des représentants de la société civile ;

 garantir les libertés d’expression et de presse ;

 se conformer plus généralement aux dispositions de la Déclaration universelle des droits de l’Homme et de tous les instruments internationaux relatifs aux droits de l’Homme liant la Gambie, dont le Pacte international sur les droits civils et politiques.

La FIDH vous demande enfin de vous abstenir de signer le « Criminal Code Amendment Bill 2004 » et le « Newspaper Amendment Act », afin que ceux-ci ne puissent entrer en vigueur.

Je vous prie, Monsieur le Président de la République, de bien vouloir croire en l’expression de ma plus haute considération.

Sidiki Kaba,

Président de la FIDH

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