Tigré : la FIDH dénonce la violence armée et appelle au respect des droits humains

26/11/2020
Déclaration
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Ashraf Shazly / AFP

Les combats qui font rage dans la région du Tigré, au nord de l’Éthiopie, depuis le début du mois de novembre 2020, ressemblent, de plus en plus, à une guerre civile et à un conflit ethnique. La Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) condamne les violences à l’encontre des civils, notamment celles à caractère ethnique, les discours de haine et la participation de milices ethniques au conflit. Elle demande à la communauté internationale de ne soutenir aucun des belligérants et de faire pression sur les deux parties pour atteindre une solution négociée et pacifique à leur différend, et pour que les possibles crimes de guerre commis fassent l’objet d’enquête et de poursuites judiciaires immédiates.

Depuis le 4 novembre 2020, de violents combats opposent les forces du gouvernement fédéral éthiopien, y compris l’armée régulière et des forces paramilitaires ethniques (voir contexte ci-dessous), et celles loyales au gouvernement régional du Tigré, qui incluent aussi des forces paramilitaires. Des rapports, notamment d’organisations internationales de défense des droits humains, dont certains restent à confirmer, font état de massacres de civils par les deux camps ; de bombardements aériens par l’aviation fédérale, de manière indiscriminée et ayant touché des cibles civiles ; d’arrestations arbitraires de civils appartenant à l’ethnie tigréenne ; de pillages et de destructions d’habitations et de ressources alimentaires ; et de discours de haine à l’encontre de la communauté Tigréenne. Plus de 30000 habitants du Tigré ont fui vers le Soudan et des centaines de milliers seraient déplacés à l’intérieur de la région. La guerre menace aussi de nombreux Érythréens réfugiés au Tigré depuis la guerre entre les deux pays entre 1998 et 2000, dont 90 000 vivent dans quatre camps de réfugiés.

La FIDH demande aux belligérants de s’abstenir de toute violence contre les populations civiles et les appelle à respecter leurs obligations en matière de droits humains et de droit humanitaire international, y compris de permettre aux organisations humanitaires d’accéder aux victimes. La FIDH demande aux parties de s’abstenir de tout discours de haine ethnique, et en particulier au gouvernement fédéral de désengager de ce conflit les forces paramilitaires ethniques. La FIDH demande aussi la libération des prisonniers politiques.

La communauté internationale, en particulier les États-Unis et l’Union européenne, ont souvent fait preuve d’un soutien aveugle aux régimes éthiopiens successifs, en vertu de l’importance régionale et continentale de l’Éthiopie et de l’engagement de ses dirigeants dans la guerre contre le terrorisme, malgré de multiples rapports faisant état de violations des droits humains. La FIDH demande à la communauté internationale, notamment à l’Union Africaine, à l’Organisation des Nations Unies, à l’Union Européenne et aux États-Unis de faire pression sur les belligérants de manière neutre afin qu’ils acceptent de régler leur différend par des négociations. La FIDH demande notamment au Conseil de sécurité des Nations Unies de voter une résolution instaurant un régime de sanctions sur l’Éthiopie, incluant notamment un embargo sur les armes, une interdiction de survol aérien concernant le Tigré, des sanctions individuelles concernant notamment les possibles responsables de violations des droits humains, et des rapports réguliers concernant notamment ces violations. Enfin la FIDH rappelle que les auteurs de violations des droits humains, y compris de possibles crimes de guerre, doivent être traduits en justice, et demande la création d’une commission internationale d’enquête sur les crimes commis.

Contexte
Le déclenchement du conflit armé est lié à un contexte commun à de nombreux États africains : la combinaison de l’épidémie de Covid-19 et d’un processus transitionnel et électoral précaire. En juin, le Parlement fédéral a, au nom de l’épidémie, décalé jusqu’à nouvel ordre les élections prévues en août, et prorogé les institutions gouvernementales au-delà des termes découlant de la Constitution. Le gouvernement régional du Tigré a cependant tenu ses propres élections régionales le 9 septembre 2020, agitant la menace d’exercer un droit à l’auto-détermination prévu par la constitution fédérale.

Les racines du conflit et du glissement de l’Éthiopie vers une guerre ethnique sont plus anciennes, et étaient à craindre de longue date. En 1991, le Front populaire de libération du Tigré (TPLF), un mouvement d’opposition armée régional, à base ethnique, était l’un des principaux acteurs du renversement du Derg, la junte pro-soviétique dirigée par Mengistu Hailé-Mariam. En vertu de ce rôle crucial, le TPLF est alors devenu le parti au pouvoir en Éthiopie, dominant sans partage la scène politique et l’armée, jusqu’à la mort inattendue de son dirigeant, le Premier Ministre Meles Zenawi, en 2012.

Se sachant minoritaire (les Tigréens ne constituent pas plus de 6% des 110 millions d’Ethiopiens), le TPLF avait promulgué une nouvelle constitution éthiopienne dite « ethno-fédérale », divisant le pays en régions aux frontières basées sur les territoires ethniques, fortement autonomes et dotées d’un droit à l’auto-détermination. Ce système est remis en cause, notamment par le gouvernement fédéral actuel, qui l’accuse d’avoir aggravé considérablement les divisions ethniques.

En 2012, tandis que le successeur désigné de Zenawi, Hailemariam Desalegn, originaire du sud de l’Éthiopie, se révélait un réformiste prudent, le TPLF continuait à exercer un pouvoir considérable à Addis Ababa. A partir de 2018, l’arrivée au pouvoir d’Abiy Ahmed, plus audacieusement réformiste, obligea, de manière inattendue, le TPLF à se replier sur sa région d’origine. L’appartenance du nouveau Premier Ministre à l’ethnie Oromo, majoritaire dans le pays, entraîna aussi indirectement une montée du nationalisme Oromo.

Les violences ethniques sont aussi aggravées par le fait que depuis les années 1990, le gouvernement fédéral a autorisé la formation de milices régionales ethniques dont le nombre pourrait se monter à plusieurs centaines de milliers d’hommes en armes. Par le passé celles-ci ont joué un rôle prépondérant dans des conflits contre des groupes d’opposition armée de mêmes ethnies qu’elles, occasionnant d’importantes violations des droits humains, ainsi en région Somali. Aujourd’hui, le gouvernement fédéral utilise les forces paramilitaires de l’ethnie Amhara, la seconde du pays, contre celles du Tigré. Les milices Amhara semblent animées par un esprit de vengeance en réaction à la marginalisation de leur région lorsque le TPLF était au pouvoir. Mais d’autres tensions pourraient aussi voir le jour entre ces milices et les milices Oromo. En juin et octobre 2020, des nationalistes Oromo auraient ainsi assassiné des dizaines d’Amhara.

La nouvelle guerre menace aussi de s’étendre au-delà des frontières éthiopiennes. Des drones ayant bombardé le Tigré auraient décollé de la base aérienne d’Assab, en Erythrée voisine, et l’artillerie du Tigré a aussi bombardé l’Erythrée. En 2019, Abiy Ahmed avait obtenu le prix Nobel de la Paix pour s’être réconcilié avec l’Erythrée. L’intervention d’Asmara aux côtés d’Addis Ababa contre le Tigré semblerait aussi animée par un désir de vengeance suite à la guerre menée par le gouvernement éthiopien, alors aux mains du TPLF, contre l’Erythrée de 1998 à 2000.

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