Lundi 21 décembre, la police et l’armée djiboutiennes ont fait preuve d’un usage excessif et indiscriminé de la force en ayant notamment recours à des armes létales pour réprimer, à l’aube, une célébration religieuse de la communauté Issa qui se déroulait de façon pacifique à Balbala, en périphérie de Djibouti-ville. L’intervention violente des forces de l’ordre s’est soldée par la mort d’au moins 27 fidèles et plus 150 blessés présents à ce moment. Le même jour, en fin d’après-midi, les forces de police ont à nouveau usé d’une extrême violence pour mettre un terme à une réunion de 7 cadres de l’Union pour le Salut National (USN – coalition de sept partis d’opposition) qui avait lieu au domicile d’un de leurs membres à Djibouti-ville. Nos organisations condamnent ces graves crimes, qui ont fait au moins 27 morts et plus 150 blessés civils.
« En ayant recours à des armes létales pour interrompre des rassemblements pacifiques, les autorités djiboutiennes ont franchi une nouvelle étape dans l’utilisation de la violence à des fins répressives. Elles devraient immédiatement mettre un terme aux arrestations arbitraires toujours en cours, faire la lumière sur les crimes d’une extrême gravité qui ont été commis lundi 21 décembre et poursuivre en justice les présumés responsables »
Lundi 21 décembre 2015 à l’aube, alors que plusieurs centaines de fidèles de la communauté Yonis Moussa du clan des Issa célébraient une cérémonie religieuse à la mémoire du Cheik Yonis Moussa à Buldugo dans le quartier de Balbala, en périphérie de Djibouti-ville, des forces de la police sont intervenues pour faire évacuer la foule et disperser la procession. Les fidèles ont alors résisté à l’intervention de la police par des jets de pierres qui a répliqué par des tirs à balles réelles. Ces premiers affrontements ont fait deux morts parmi les fidèles et plusieurs blessés du côté des policiers, notamment par armes blanches. Face à cette situation, les policiers ont demandé le renfort de la Garde présidentielle, dirigée par Mohamed Djama. Dès leur arrivée sur les lieux, les éléments de la Garde présidentielle et d’autres corps de l’armée ont ouvert le feu à balles réelles tuant au moins 25 personnes et en blessant 150 autres. Certains témoignages recueillis évoquent des fidèles tentant de fuir le massacre pris pour cibles par les militaires.
Les autorités djiboutiennes, par le biais du ministre djiboutien des Affaires étrangères et porte-parole du gouvernement, Mahmoud Ali Youssouf, évoquent 7 morts dont une jeune fille et 50 policiers blessés dans cette opération de police contre la manifestation religieuse que le ministre djiboutien de l’Intérieur, Hassan Omar, a dénoncé de son côté comme étant « orchestrée par des individus malintentionnés et agissant sur instructions des parrains agissant à partir de l’étranger » visant clairement à « déstabiliser » la nation djiboutienne et « semer les divisions » au sein de la communauté nationale.
La tentative de dispersion par la police de la cérémonie de la communauté Yonis Moussa, un sous clan des Issa majoritaires à Djibouti, aurait en fait été motivée par le refus de la communauté de déplacer leur cérémonie afin de permettre d’accueillir une visite du chef de l’État, Ismael Omar Guelleh, en lice pour un 4ème mandat présidentiel.
En fin d’après-midi, 7 hauts représentants de l’USN se sont réunis afin d’échanger au sujet de l’événement survenu le matin même. Cette réunion, qui s’est tenue au domicile de Me Djama Amareh Meidal, secrétaire aux relations extérieures de l’USN, a été interrompu par un raid de policiers cagoulés qui ont tiré à balles en caoutchouc et à balles réelles sur les opposants et ont eu recours à du gaz lacrymogène. Plusieurs des dirigeants ont été violemment passés à tabac et certains ont été blessés par des balles en résine de 6mm, dont Said Houssein Robleh, jeune député de l’Assemblée Nationale, grièvement blessé à la gorge. Il a été opéré à l’hôpital militaire français Bouffard, et son pronostic vital n’est plus engagé. Néanmoins, des policiers se trouveraient devant l’hôpital Bouffard et chercheraient à arrêter et entendre M. Robleh, qui reçoit toujours des soins, ainsi que M. Ahmed Youssouf Houmed, président de l’USN, qui souffre d’une fracture du col du fémur, ainsi que M. Hamoud Abdi Souldan, ancien ministre des Affaires musulmanes, blessés par plusieurs balles en résine et soignés au centre médical Bouffard.
Le ministre djiboutien de l’Intérieur, Hassan Omar, a déclaré que « les opérations de police qui s’en sont suivies [des événements de Balbala du matin] ont permis déjà l’interpellation de quelques uns des manifestants et l’identification de sept personnes les ayants organisés. Ils seront traduits devant la justice pour répondre de leurs actes » dans une allusion aux 7 dirigeants de l’USN attaqués par le raid de la police dans l’après-midi. M. Hamoud Abdi Souldan devrait d’ailleurs être interrogé le 24 décembre par la justice djiboutienne sous réserve de l’accord médical lui permettant de subir une telle audition. Nos organisations exhortent les autorités de Djibouti à respecter le droit à la santé de tous les blessés, y compris de M. Robleh, et à mettre un terme à la répression et au harcèlement des individus opposants et perçus comme hostiles au régime de Ismaïl Omar Guelleh.
Cinq mois avant des élections présidentielles cruciales pour l’avenir politique de Djibouti, les autorités devraient tout faire pour que les libertés de rassemblement pacifique et d’expression soient respectées, afin que le processus électoral soit crédible et inclusif et se tienne dans un climat apaisé »
Depuis septembre 2015 et à mesure qu’approche l’élection présidentielle d’avril 2016, le régime intensifie la répression à l’encontre des dirigeants, militants d’opposition, journalistes indépendants et défenseurs des droits humains. Les interdictions et interruptions de réunions, le harcèlement notamment judiciaire, les menaces et autres formes d’intimidation et les arrestations arbitraires d’individus perçus comme hostiles au régime de Ismaïl Omar Guelleh se poursuivent. Le 24 novembre 2015, le conseil des ministres de Djibouti a adopté le décret № 2015-3016 PR/PM, établissant des mesures exceptionnelles de sécurité en raison de présumés risques terroristes. En vertu de ce décret, le Premier Ministre, M. Abdoulkader Kamil Mohamed, a déclaré le 25 novembre 2015 à la télévision nationale et à la radio l’interdiction de rassemblement et d’attroupement sur la voie publique, ce qui pourrait laisser penser qu’il s’agit là d’une mesure visant à étouffer toute forme de revendication en pleine période pré-électorale.
Dans leur communiqué du 13 novembre, la FIDH et la Ligue djiboutienne des droits de humains (LDDH) avaient déjà dénoncé l’arrestation arbitraire, le 1er novembre 2015, d’une cinquantaine de militants du Mouvement des jeunes de l’opposition (MJO) ainsi que l’usage excessif et disproportionné de la force dont avait fait preuve la police pour interrompre leur réunion. Ils auraient depuis lors été tous libérés.
De même, plusieurs dizaines d’arrestations arbitraires auraient eu lieu ces derniers jours dans le Nord du pays, notamment 23 personnes dont 5 femmes à Adgeno dans le district de Tadjourah en raison de leur liens supposés avec le groupe armé du Front pour la restauration de l’unité et la démocratie (FRUD armé) et qui seraient détenus dans la caserne militaire de Assaguaila. Nos organisations demeurent préoccupées par la multiplication des arrestations de civils et les risques de tortures inhérentes à leur détention en raison de leur soutien supposé au le FRUD armé.
« La communauté internationale doit prendre la mesure de la gravité de la situation qui prévaut à Djibouti, où règne un climat de terreur, et agir de toute urgence pour mettre un terme aux graves violations des droits humains en cours et prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir le bon déroulement du processus électoral et éviter une nouvelle mascarade d’élection à Djibouti »
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