La répression s’abat sur l’opposition, à six mois de l’élection présidentielle

13/11/2015
Communiqué
MJO

(Paris, Djibouti-ville) La FIDH et la Ligue djiboutienne des droits de l’Homme (LDDH) dénoncent l’arrestation arbitraire d’une cinquantaine de militants du Mouvement des jeunes de l’opposition (MJO), le 1er novembre 2015, ainsi que l’usage excessif et disproportionné de la force dont a fait preuve la police pour interrompre la réunion que ces jeunes s’apprêtaient à tenir dans deux locaux de l’USN (Union pour le salut nationale – coalition d’opposition), à Djibouti-ville. Six d’entre eux, dont cinq mineurs, sont toujours en détention à la prison centrale de Gabode et n’ont pas pu recevoir d’assistance médicale et juridique. A une semaine de la grande mobilisation d’opposition, qui est prévue sur l’ensemble du territoire le 20 novembre, nos organisations appellent les autorités djiboutiennes à garantir les libertés d’expression et de rassemblement pacifique et à procéder à la libération immédiate et inconditionnelle de toutes les personnes arbitrairement détenues.

« Les autorités djiboutiennes doivent mettre un terme à la répression systématique des manifestations d’opposition, à la multiplication des arrestations et détentions arbitraires, aux actes de harcèlement, y compris judiciaire, aux saccages de locaux de l’opposition et aux violations répétées des droits des personnes détenues. A six mois des élections présidentielles, ces actes revêtent les caractéristiques d’une dérive autoritaire du régime. »

FIDH, LDDH

Dimanche 1er novembre 2015, une cinquantaine de militants du Mouvement des jeunes de l’opposition (MJO) ont été arrêtés vers 14h par la police alors qu’ils préparaient des réunions dans le cadre de la journée de la jeunesse africaine dans deux locaux de l’USN, dans les quartiers de Balbala Hayabley et Cheik Moussa, à Djibouti-ville. D’après les informations recueillies par nos organisations, les policiers ont eu recours à du gaz lacrymogène à l’intérieur des bureaux et ont fait preuve d’une extrême brutalité en passant à tabac la majorité des jeunes militants. Les locaux ont été saccagés et une grande partie du matériel détruite. Les militants ont été gardés à vue dans différents commissariats du quartier populaire de Balbala et la plupart d’entre eux ont été libérés quelques heures plus tard. Six d’entre eux, dont cinq mineurs, sont toujours en détention à la prison centrale de Gabode. Ils n’ont pas reçu d’assistance médicale alors qu’ils présentent tous des blessures et que certains ont été grièvement blessés, notamment aux yeux. Ils n’ont pas non plus pu bénéficier de l’assistance d’un avocat et les parents des cinq mineurs n’ont pu assister à l’audience du Tribunal pour mineurs qui s’est tenue le 9 novembre, en violation du Code pour la protection juridique des mineurs de 2015 [1]. Parallèlement, le dimanche 1er novembre, une manifestation en faveur d’un quatrième mandat du président Ismail Omar Guelleh a été organisée à Djibouti-ville et s’est déroulée sans incident.

Le 18 septembre dernier, une vaste opération de répression avait déjà été menée par la gendarmerie à Dikhil, au sud-ouest de la République de Djibouti, où une cinquantaine de jeunes partisans de l’USN et du MJO avaient été arrêtés alors qu’ils participaient à une manifestation pacifique pour protester contre la perspective d’un quatrième mandat présidentiel pour Ismail Omar Guelleh [2]. La majorité des militants a été libérée les 21 et 22 septembre et certains ont affirmé avoir été victimes d’actes de torture et de mauvais traitements alors qu’ils étaient en détention. Six opposants [3] sont quant à eux restés en détention jusqu’au 11 octobre et cinq d’entre eux ont fait appel d’une décision de condamnation d’un an d’emprisonnement avec sursis et attendent d’être jugés.

« Au lieu de chercher à museler les voix contestataires du régime, les autorités djiboutiennes devraient s’employer à mener un dialogue politique inclusif avec l’opposition, notamment sur la question de l’organisation de l’élection présidentielle de 2016 et conformément aux dispositions de l’accord-cadre qu’elles ont signé le 30 décembre 2014. Le recours à la répression favorise la détérioration du climat pré-électoral et ne contribue pas à créer les conditions d’un scrutin crédible, transparent, apaisé et sécurisé. »

FIDH, LDDH

Parallèlement, depuis le 3 octobre 2015, les autorités djiboutiennes ont procédé à des arrestations tous azimuts de proches de membres de la branche armée du FRUD (Front pour la restauration de l’unité et la démocratie branche), notamment à Lac Assal, dans les districts de Tadjourah et d’Obock et à Djibouti-ville. D’après le bilan provisoire établi par nos organisations, au moins vingt personnes ayant des liens de parenté avec des membres du FRUD, arrêtées à Djibouti-ville ou transférées à la capitale, ont été détenues dans les locaux de la Section de Recherche et de Documentation (SRD) de la gendarmerie entre le 3 et le 15 octobre. Quinze d’entre elles [4] ont été transférées le 15 octobre à la prison de Gabode. Cinq autres ont été mises en examen ce même jour [5], et ont bénéficié d’une remise en liberté provisoire. D’après des informations concordantes, les détenus n’ont jusqu’ici pas eu le droit de recevoir de visites ou de bénéficier de l’assistance d’un avocat ou d’un médecin et auraient été victimes de mauvais traitements. Dans une allocution à la radio-télévisée de Djibouti le 16 octobre, le Procureur de la République, M. Maki Omar Abdoulkader, a déclaré que ces personnes étaient détenues parce qu’elles avaient commis des actes criminels et qu’une information judiciaire avait été ouverte à leur encontre. Ces arrestations interviennent alors que les affrontements entre le FRUD et l’armée se sont intensifiés depuis août 2015. Le 30 septembre 2015, des éléments du FRUD ont notamment brûlé trois véhicules d’une société de construction qui transportaient habituellement des troupes et des vivres des forces armées djiboutiennes sur la route allant de Tadjourah à Randa.

Contexte


La République de Djibouti traverse une crise politique profonde depuis les élections législatives de février 2013 dont les résultats avaient été largement contestés par les militants et les sympathisants de l’opposition. La répression des manifestations avait alors occasionné la mort par balles d’au moins six manifestants les 23 et 24 février 2013, la multiplication des arrestations et détentions arbitraires, des actes de harcèlement et autres formes d’intimidation de leaders, militants d’opposition et membres de la société civile. Le 30 décembre 2014, un accord-cadre avait été signé entre l’UMP (Union pour la Majorité présidentielle), coalition au pouvoir et l’USN (Union pour le salut national), coalition de partis d’opposition. Cet accord prévoit notamment la réforme de la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI) et la création d’une commission parlementaire partiaire chargée d’organiser la future élection présidentielle. Pourtant, plus de 11 mois après la signature de l’accord, le dialogue entre le parti présidentiel et la coalition d’opposition est au point mort, et les atteintes aux droits humains se multiplient.

« Mon vote doit compter »


Entre 2014 et 2016, 52 élections dont 25 élections présidentielles doivent se tenir dans 27 pays africains. Pour éviter les manipulations, fraudes et violences dues aux élections tronquées, la société civile africaine et internationale a décidé de se mobiliser au sein de la coalition « Mon vote doit compter ». Les sociétés civiles exigent des gouvernants qu’ils respectent leur droit légitime à choisir librement leurs représentants à l’occasion d’élections régulières, libres, et transparentes, par une mobilisation publique, des actions de terrains et un plaidoyer politique en amont de chaque scrutin jusqu’en 2016.

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