Le 23 juin 2013, vers 9 heures 30, un imposant dispositif policier a chargé des centaines de partisans de l’Union pour le salut national (USN), la coalition des partis djiboutiens d’opposition, qui manifestaient en soutien à trois détenus politiques, MM. Abdourahman Souleiman Béchir, Abdourahman Barkad God et Guireh Meidal Guelleh. Ces derniers comparaissaient devant la Cour suprême de Djibouti à la suite du recours qu’ils avaient déposé contre leur condamnation en avril 2013 à 2 ans de prison dont 18 mois fermes et à la privation de leurs droits civiques et civils. L’audience a été reportée au 25 novembre 2013 sans avoir statué sur le fond du pourvoi. Quelque cinq cents manifestants ont été arrêtés et détenus jusqu’au lundi 24 juin au matin au centre de rétention administrative de Nagad, centre géré par la police, qui détiendrait encore quelques-uns des militants interpellés. Leurs conditions de détention, notamment pour les personnes fragiles ou malades, étaient préoccupantes puisqu’ils auraient été privés d’eau, de nourriture et d’assistance médicale, et que plusieurs d’entre eux auraient subis des violences physiques au cours de leur détention. Leurs familles et amis, qui ont tenté de leur rendre visite, notamment pour leur apporter de l’eau et des vivres, ont été brutalement repoussés par la police et leurs biens tels que les véhicules personnels confisqués.
« Cette répression constante des autorités contre les militants politiques à Djibouti se déroule dans le silence assourdissant de l’indifférence internationale. Il faut mettre un terme, autant à la répression qu’à l’indifférence » a déclaré M. Karim Lahidji, président de la FIDH. « Les pays qui chaque année versent des dizaines millions de dollars pour louer des bases militaires à Djibouti, ont une responsabilité particulière d’agir pour stopper cette répression », a-t-il ajouté.
Depuis les élections législatives du 22 février 2013, dont le déroulement a été marqué par de fortes irrégularités dans plusieurs régions du pays, et dont les résultats par bureau de vote n’ont toujours pas été publiés malgré les demandes de pays tels que la France et d’organisations telles que l’Union européenne, les autorités en place ont sévèrement réprimé les manifestations de l’opposition, ont arrêté plusieurs dizaines voire centaines de militants, et engagé des poursuites judiciaires contre la plupart de leurs dirigeants.
L’on dénombre toujours dix prisonniers d’opinion détenus à la prison de Gabode en raison de leur engagement politique. Il s’agit de : Abdourahman Souleiman Bechir ; Abdourahman Barkat God ; Guireh Meidal Guelleh ; Mohamed Ahmed dit Jabha ; Hassan Djama Khaireh ; Mohamed Osman Bouh ; Mohamed Osman Rayaleh ; Maydaneh Abdallah Okieh, Sougueh Ahmed Robleh et Mahdi Mohamed Bouhoul, un jeune militaire arrêté pour avoir dénoncé certaines fraudes électorales. Sept autres jeunes, Ahmed Djama Moussa, Fayssal Aden Omar, Mohamed Ahmed Adar, Djirdeh Mouhoumed Ibrahim, Abate Gadid Merito, Abdo Ali Bouha et Abdi Mohamed Ahmed dit Ankala avaient été libérés le 29 mai 2013 pour les quatre premiers et le 12 juin 2013 pour les trois autres sur décision de la Cour d’appel qui avait ramené leur peine de quatre à deux mois de prison. Le député USN Ahmed Hoche Guedi a, lui, purgé la peine de 25 jours de prison ferme, de 11 mois et 5 jours de prison avec sursis et d’une forte amende auquel il avait été condamné le 28 mai 2013.
Si de nombreux militants ont été relâchés après quelques jours ou plusieurs semaines de détention, beaucoup d’autres ont écopé de petites peines de prison ou de peines avec sursis. Ainsi, un militant du MRD-USN, M. Yacin Doualeh Galab dit Harbi, arrêté le 15 juin 2013 par la gendarmerie, a été condamné le 18 juin à six mois de prison avec sursis, tandis que le jeune Osman Hassan Osman, arrêté le 16 juin 2013 par la Gendarmerie en lieu et place de son père Hassan Osman Allaleh, militant actif du MRD et de l’USN, a été finalement relâché le 18 juin 2013. Comme souvent, M. Yacin Doualeh Galab dit Harbi, n’avait pas pu bénéficier de l’assistance de son avocat, contrairement aux dispositions de la Constitution djiboutienne qui dispose en son article 10 que « le droit à la défense, y compris celui de se faire assister par l’avocat de son choix, est garanti à tous les stades de la procédure ».
« Nous demandons que les droits élémentaires et reconnus par des textes nationaux et internationaux auxquels Djibouti a librement choisi d’adhérer soient enfin respectés dans ce pays », a déclaré Me Zakaria Abdillahi, président de la LDDH.
Les dirigeants de l’opposition sont eux aussi harcelés par la police et la justice. Daher Ahmed Farah, président du MRD et porte-parole de l’USN, rentré à Djibouti en janvier 2013, fait l’objet de plusieurs poursuites judiciaires. Il a comparu le 19 juin 2013 devant la Cour d’appel de Djibouti suite à un appel interjeté par des militaires proches du général Zakaria Cheik Ibrahim, numéro deux de l’Armée, pour une affaire de diffamation jugée en 2003 puis cassée et annulée par la Cour suprême en 2004. Cette décision de la Cour suprême, dont le tribunal de première instance a pourtant reconnu l’autorité de la chose jugée, a toutefois été mise en délibéré pour le mercredi 26 juin 2013 par la Cour d’appel. Les 1er et 2 juin 2013, sept dirigeants et 18 militants de l’USN étaient aussi arrêtés à Balbala Warabaley au cours de réunions politiques internes se tenant dans des domiciles privés. Les dirigeants étaient : Ahmed Youssouf Houmed, président de l’USN, Omar Elmi Khaireh, président du parti d’Opposition CDU et membre de la direction de l’USN ; Abdourahman Mohamed Guelleh, président du parti d’opposition RADD et secrétaire général de l’USN ; Ali Mohamed Dato, membre de la direction de RADD et membre dirigeant de l’USN ; Aden Dalieh Dirieh, membre de la direction de RADD et membre dirigeant de l’USN ; Omar Youssouf Moutena, député USN ; Ali Mohamed Ali, responsable au parti d’opposition ARD et membre de l’USN. Dirigeants et militants ont finalement été libérés le 3 juin 2013.
Les journalistes continuent aussi à être dans le collimateur des autorités. Le 15 juin 2013, M. Abdi Sougueh Farah, a été arrêté vers 6h du matin à son domicile d’Ali-Sabieh par la police. Ce partisan de l’USN est le père du journaliste exilé Kadir Abdi Sougueh et aurait été arrêté à la demande du colonel Abdillahi Abdi Farah, directeur général de la police.
De même, le journaliste Maydaneh Abdallah Okieh, l’un des responsables du site d’informations La Voix de Djibouti, qui avait été incarcéré le 19 mai 2013 à la prison centrale de Gabode, a été condamné le 28 mai 2013 à 45 jours de prison ferme, à 2 millions de francs Djibouti de dommages et intérêts ainsi qu’à 200 000 francs d’amende. Quatre autres journalistes djiboutiens, Farah Abadid Hildid, Houssein Ahmed Farah, Moustapha Abdourahman Houssein et Mohamed Ibrahim Waiss, ont été renvoyés le 19 juin 2013 devant la chambre correctionnelle du tribunal de première instance de Djibouti pour jugement. L’ordonnance de renvoi, notifiée aux journalistes le 20 juin, vise quatre des six journalistes qui avaient été détenus du 9 février 2011 au 23 juin 2011 à la prison de Gabode avant d’être remis en mise en liberté provisoire sous contrôle judiciaire. Les deux autres journalistes, Houssein Robleh Dabar et Abdillahi Aden Ali, ont eux bénéficié d’un non-lieu. Les quatre autres journalistes sont renvoyés devant la Chambre correctionnelle après une requalification des charges retenues à leur encontre qui passent de « participation à un mouvement insurrectionnel » à « incitation de troubles à l’ordre public », ce qui ne peut masquer la dynamique de criminalisation de la presse à Djibouti.
Nos organisations, qui ont saisi les autorités djiboutiennes à plusieurs reprises, les appellent à nouveau à cesser les attaques et le harcèlement policier et judiciaire à l’encontre des membres de l’opposition politique et à libérer les personnes détenues pour des motifs politiques. La FIDH et la LDDH demandent aussi aux instances de l’Union africaine, des Nations Unies et des diplomaties influentes de saisir les autorités djiboutiennes pour faire cesser ces violations des droits humains et garantir les libertés civiles, politiques et de presse.