Covid 19 - Prioriser les droits humains et protéger les plus vulnérables

Entre solidarité et vigilance, la FIDH se mobilise. Et s’alarme des dérives liberticides à l’œuvre dans plusieurs États à travers le monde.

En quelques semaines, le monde est entré dans la crise sanitaire mondiale la plus importante qu’il ait connu depuis près d’un siècle, ébranlé par la propagation du Covid-19 - qualifié de pandémie par l’OMS le 11 mars dernier. A ce jour, plus de 472 000 cas ont été recensés à l’échelle mondiale, et 21 300 personnes sont mortes du fait de leur contamination par le virus, dans 163 pays (source : OMS).

A crise exceptionnelle, mesures exceptionnelles : confinement obligatoire, quarantaines, fermeture des frontières, interdiction de voyager, fermeture des commerces, réquisition de matériel médical, couvre-feux, etc. Les initiatives des gouvernements se multiplient pour tenter de limiter la contagion. Une réponse robuste qui se justifie sur le plan sanitaire pour protéger le droit à la santé de toutes et tous, mais qui oblige les organisations de défense des droits humains à la plus grande vigilance. Notre devoir : veiller au caractère proportionné et justifié de ces initiatives.

Lutter contre le Covid-19 ne doit pas servir de prétexte aux États autoritaires pour accentuer l’adoption de mesures liberticides et étouffer les voix dissidentes. Ni d’excuse aux États aux traditions démocratiques plus ancrées pour bousculer les droits économiques et sociaux de leurs populations par des actions anti-sociales, visant notamment le droit du travail de leurs citoyen.nes.

Des droits

Lorsque de telles mesures s’imposent, les gouvernements doivent garantir les droits à la vie, à la santé, au logement, à un niveau de vie suffisant, ainsi que l’accès à la nourriture et à l’eau, en particulier pour les personnes les plus à risque et pour lesquelles le coût de la crise sanitaire est particulièrement élevé. Un soutien ciblé doit être apporté aux personnes réfugiées, migrantes, demandeuses d’asile, et sans domicile fixe. Les travailleurs et travailleuses au bas salaire et du secteur informel devraient recevoir un appui prioritaire. Les besoins spécifiques des personnes en situation de handicap, des personnes âgées et des personnes incarcérées ou détenues doivent être pris en compte, tout comme l’impact genré de la crise sur les femmes et les filles.

Les droits humains doivent demeurer au centre de la réflexion des États. Le 16 mars, un groupe d’expert.es des Nations unies en matière de droits humains l’a d’ailleurs réaffirmé en exhortant les États à ne pas abuser des mesures de sécurité dans leur réponse à l’épidémie de coronavirus.

Des dérives

Malgré cet appel, des dérives alarmantes ont été observées par la FIDH et ses 192 organisations membres. Des États font preuve d’un manque de transparence flagrant dans la gestion de la crise sanitaire et limitent de manière abusive la liberté d’expression, notamment en ligne, et le droit à l’information pour éviter la diffusion d’informations d’intérêt publique perçues comme gênantes.

En Chine, où les autorités ont harcelé Li Wenliang, le médecin ayant lancé l’alerte quant au nouveau virus, toute information indépendante relative à la situation a été supprimée. L’on peut également s’interroger sur la réalité de la situation en Corée du Nord, au Myanmar ou au Laos par exemple, où le taux de cas déclarés est particulièrement bas (aucun cas identifié en Corée du Nord d’après les sources officielles) et sur les conséquences graves que le manque d’information risque d’avoir sur la propagation du virus. Même situation en Russie, pays frontalier de la Chine, où le nombre de cas officiellement recensés n’atteignait, au 26 mars, que 658 pour 144,5 millions d’habitants.

Au Honduras, la police a profité de l’instauration d’un couvre-feu par le gouvernement pour organiser la capture d’une leader de l’opposition, le 17 mars dernier. En Israël, l’État emploie les services secrets pour tracer les personnes ayant été testées positives au Covid-19.

La FIDH exhorte les États à adopter une démarche solidaire et respectueuse des droits humains pour lutter contre le Covid-19.

Respecter le caractère exceptionnel et limité dans le temps des mesures d’urgence

Les mesures d’urgence qui enfreignent ou restreignent les droits humains doivent être déclarées publiquement et suivre un cadre clair, déterminé par le droit international. La restriction de la liberté de circulation et les mesures de quarantaine peuvent s’avérer nécessaires, mais doivent strictement se limiter à la durée et à l’échelle requises pour lutter contre la propagation du virus. Les États devront prendre les mesures nécessaires pour que la situation prévalant avant l’épidémie soit rétablie une fois la crise dépassée. Le droit international prévoit en effet que toute mesure dérogatoire au droit commun soit« prévue par la loi », et « nécessaire dans une société démocratique » pour protéger la « sécurité nationale », la « sûreté publique », « l’ordre public », « la santé ou la moralité publique » ou les « droits et libertés d’autrui ».

Ne pas utiliser la crise sanitaire pour réduire indûment l’espace de la société civile et réprimer les défenseur.es des droits humains

Les défenseur.es des droits humains sont, en temps normal, la cible d’attaques, de menaces et d’intimidations à grande échelle. La lutte contre le Covid-19 ne saurait servir de prétexte à certains États pour commettre ou renforcer les abus à l’encontre des défenseur.es et réduire l’espace de la société civile. A ce titre, la FIDH s’inquiète de ce que certaines mesures de surveillance et de contrôle des populations introduites dans le cadre de cette crise soient utilisées pour réprimer les voix dissidentes et que des mesures de restriction soient utilisées pour porter atteinte aux droits de défenseur.es des droits humains.

La Chine a par exemple demandé à tous ses citoyens et citoyennes d’installer une application sur leur smartphone pour surveiller leur état de santé, leur localisation, et leur entrée dans un espace public. Si cette mesure supplémentaire de contrôle social ne cible pas spécifiquement les défenseur.es des droits humains à ce stade, nous nous inquiétons qu’elle puisse être utilisée, au sortir de la crise sanitaire, pour surveiller et réprimer les mouvements sociaux et les défenseur.es des droits humains. En Russie, les autorités ont également commencé à installer des caméras de reconnaissance faciale pour localiser les personnes ayant violé les mesures de quarantaine. Compte tenu du passif des autorités russes en matière de violations des droits humains, il existe un risque que ces technologies soient utilisées pour harceler les manifestants et manifestantes pacifiques au sortir de l’épidémie.

Les personnes particulièrement exposées ou vulnérabilisées par la crise doivent bénéficier d’un soutien spécifique et renforcé

Partout, les mesures de confinement se multiplient, et sont de plus en plus strictes. Si leur mise en place peut se justifier d’un point de vue sanitaire, leur application peut avoir des conséquences particulièrement graves pour les personnes expérimentant des situations de discriminations liées à leur origine, sexe, classe, handicap, âge, entre autres. Nombreux.ses sont par exemple celles et ceux qui n’ont nulle part où se réfugier ou qui sont contraint.es de se confiner dans des conditions de promiscuité et d’insalubrité. En France, des personnes sans domiciles fixes ont été sanctionnées pour ne pas avoir respecté les règles de confinement. Comment respecter les mesures d’isolement pour les personnes en situation de handicap, bien souvent dépendantes de l’aide de leurs proches ou de personnel spécialisé ?

La crise sanitaire a également un impact disproportionné sur les femmes et les filles. Pour beaucoup de femmes, le confinement augmente le risque d’être exposées à des violences conjugales et/ou intra-familiales. Il est alarmant de constater que la saturation des hôpitaux et le manque de matériel limitent encore davantage l’accès à l’avortement, comme dans les états états-uniens du Texas et de l’Ohio où l’IVG a été placée sur la liste des opérations non-urgentes. Les États doivent de toute urgence développer des dispositifs spéciaux pour lutter contre les violences et les discriminations spécifiques qui affectent les femmes et les filles dans le cadre de la crise actuelle, et leur fournir un soutien adéquat et renforcé. De manière globale, les États devraient apporter une réponse au Covid-19 qui tienne compte de l’impact genré de l’épidémie.

Les entreprises doivent aussi faire leur part, en veillant à protéger l’intégrité de leurs employés et employées particulièrement exposés du fait de leur mission d’accueil, de contact avec le public ou de soins à la personne. Si les entreprises ne disposent pas du matériel nécessaire ou sont dans l’impossibilité de garantir un cadre de travail respectueux des recommandations sanitaires, les États doivent alors donner les moyens, qu’ils soient légaux ou financiers, aux personnes précaires de faire valoir leur droit à la santé sans avoir à choisir entre ce droit et leur emploi.

Au nom de la solidarité nationale, les gouvernants doivent mettre en place des mesures spécifiques pour soutenir les personnes qui se retrouvent en première ligne.

Les droits humains ne doivent pas être les grands perdants de cette crise.

Pour ce faire, chaque mesure prise pour affronter la crise sanitaire doit être justifiée et proportionnée, s’exercer sans discrimination et dans des délais raisonnables.

La FIDH exprime son soutien à l’ensemble des acteurs de terrain mobilisés pour lutter contre la pandémie de Covid-19 et se joint aux efforts des ONG, des collectifs et des individus qui s’engagent pour garantir que cette crise ne soit pas l’occasion de piétiner et faire reculer les droits humains. Solidarité et vigilance.

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