Observations préliminaires d’une mission internationale d’enquête

10/08/2000
Communiqué

Une mission internationale d’enquête de la FIDH s’est rendue en Côte d’Ivoire du 29 juillet au 9 août 2000. Elle avait pour mandat d’observer la situation au niveau des droits humains, le contexte économique et social et l’évolution politique en cours.

Depuis quelques années, la Côte d’Ivoire traverse une crise politique et économique profonde ayant amené à une très forte crispation au cours de l’année 1999. Celle-ci s’est manifestée tant par les dérives xénophobes autour de l’ivoirité, que par l’approfondissement de la crise économique (chute du cours du cacao, baisse des revenus, paupérisation, etc.) ou les tensions liées à la période préélectorale. C’est dans ce contexte qu’est survenu le coup d’Etat du 24 décembre 1999 qui a porté les militaires au pouvoir pour la première fois dans l’histoire ivoirienne.

Dans un premier temps, un gouvernement de transition multi-partis s’est mis en place aux côtés du CNSP (Comité national de salut public) avec la création de plusieurs commissions et sous-commissions chargées d’élaborer une nouvelle constitution pour la IIè République, un nouveau code électoral, une charte des droits et libertés et de préparer les différentes échéances électorales : référendum constitutionnel, élections présidentielles, législatives et municipales. Tous les partenaires semblaient s’entendre sur le fait que la transition devait durer le moins longtemps possible. Ceci explique sans doute la mobilisation relativement forte autour du vote référendaire (56% de participation) et l’adoption de cette loi fondamentale par plus de 86% des votants.

Le texte adopté par le référendum des 23 et 24 juillet et promulgué le 2 août 2000 présente de nouveaux acquis positifs pour la Côte d’Ivoire : incorporation de la charte des droits et libertés, abolition de la peine de mort, liberté de manifestation, de réunion et reconnaissance des autres libertés publiques ainsi que des droits économiques et sociaux, abaissement de l’âge du droit de vote de 21 à 18 ans... On peut noter également l’adoption de nouvelles règles : la révision de la Constitution et les conditions d’élection du Président de la République ne peuvent être réformées dorénavant que par referendum. D’autre part, en mai 2000, une ordonnance avait aboli la loi dite " anti-casseurs " de février 1992 qui avait entraîné l’emprisonnement de dizaines de démocrates du 18 février au 31 juillet 1992 et conduit, en novembre 1999, un certain nombre de responsables du RDR (Rassemblement des républicains) en prison.

Il faut toutefois regretter que le débat autour du projet de référendum se soit focalisé sur l’article 35 qui définit les critères d’éligibilité à la présidence de la République, ce qui entretient un climat passionnel dangereux dans la vie politique ivoirienne, nettement perceptible dans les différents organes de presse (écrite et audiovisuelle). Plusieurs observateurs notent que les premiers mois de la transition ont été marqués par des progrès notables au niveau de la liberté de la presse, avant de connaître un coup d’arrêt et même un recul à partir de mai 2000 : descentes de militaires dans les rédactions de plusieurs journaux, fermeture de Radio Nostalgie et arrestations de journalistes. Cette période a également été marquée par des dérapages dans la presse qui sont en contradiction avec les principes d’éthique et de déontologie du journalisme et ce, à un moment où le besoin d’une presse respectueuse de ces règles est essentiel.

Un climat d’insécurité s’est développé, marqué par des exécutions extrajudiciaires pratiquées par des forces armées incontrôlées et organisées en groupes dénommés " Camora ", " PC Crises ", etc. Ces groupes pratiquent également le racket, la délation, des enlèvements sous prétexte d’opération " mains propres " . Ces comportements ont amené la population qui avait d’abord accueilli favorablement les événements de décembre 1999 à rejeter les militaires et en particulier après les violences commises lors de la mutinerie des 4 et 5 juillet 2000.

Malgré les déclarations publiques des autorités affirmant et garantissant les libertés, les leaders de partis politiques sont privés du droit de circuler librement, la liberté de réunions publiques et de manifestation est ostensiblement à géométrie variable (interdiction du meeting de lancement du programme du RDR par exemple). Cette attitude des autorités a été particulièrement flagrante à l’occasion des manifestations qui se sont tenues autour de l’ambassade de France à la suite de l’intervention du ministre délégué à la Coopération français, Charles Josselin. Les premières (jeudi et vendredi 27 et 28 juillet), qui dénonçaient les propos du ministre français, se sont déroulées dans le calme et d’après les témoignages recueillis avec un encadrement assuré par les forces de l’ordre en parfait accord avec les organisateurs de ce mouvement. A contrario, la manifestation du lundi 31 juillet, plutôt favorable aux déclarations de Charles Josselin, a été sauvagement réprimée par des militaires, en particulier les manifestants qui avaient été repoussés à l’intérieur du Stade Houphouët Boigny. De nombreuses organisations de femmes, de défense des droits de l’Homme, de jeunes - dont la Ligue ivoirienne des droits de l’Homme (LIDHO) - ont fermement condamné cette répression qui a entraîné de nombreuses arrestations et des blessés. La FIDH se joint à ces organisations pour dénoncer avec la plus grande vigueur ces comportements inadmissibles et non respectueux des textes fondamentaux récemment adoptés.

Le 4 août 2000 s’est ouvert le procès public de militaires arrêtés suite aux mutineries des 4 et 5 juillet. Les mutins ont comparu devant un tribunal militaire qui s’est tenu au camp Gallieni. Sept d’entre eux ont été condamnés à des peines de 10 ans de réclusion, un policier à six mois et un militaire a été relaxé. Ce tribunal doit reprendre ses activités le 10 août. Il est à noter que dans la vague des arrestations intervenues après les mutineries du début juillet, certaines ont concerné des officiers dont six colonels qui, un mois après le début de leur détention, ne connaissaient toujours pas le motif d’inculpation retenu contre eux. Les événements des 4 et 5 juillet ont révélé au grand jour une situation de confusion au sein des forces armées et un inquiétant esprit d’insubordination.

Dans les mois qui viennent, les ivoirien(ne)s seront appelé(e)s aux urnes pour élire le président de la République (17 septembre), les députés à l’Assemblée nationale (octobre 2000) et les représentants municipaux (novembre 2000). Des consultations qui exigent un certain nombre de préparatifs : mise à jour des listes électorales, désignation des candidats, etc. A ce titre, la composition de la Commission nationale électorale créée le 9 août (en lieu et place de la Commission électorale indépendante prévue par la Constitution, non-créée sous prétexte de l’absence d’existence de l’Assemblée nationale) est un enjeu essentiel pour la transparence des futures élections. Par ailleurs, l’incertitude règne à ce jour : contrairement aux engagements qu’il avait pris auparavant d’assurer simplement la transition, le Général Robert Guei vient officiellement d’annoncer sa candidature à l’investiture du PDCI, en s’appuyant sur la visite des chefs coutumiers au palais présidentiel. Le glissement de la question de l’ivoirité vers des clivages régionaux et religieux pose le problème de la validation ou de l’invalidation de la candidature d’Alassane Dramane Ouattara. Il est à souhaiter que la déclaration et l’acceptation des candidatures aux élections présidentielles n’ajoutent pas de tensions aux polarisations déjà existantes. Pour ce faire, il faut souligner le rôle décisif de la Cour Suprême et en particulier de la Chambre constitutionnelle qui aura à statuer sur l’application des conditions d’éligibilité.

A ces difficultés s’ajoutent les problèmes liés à la conjoncture économique du pays qui font du mois de septembre le mois de tous les dangers (échéances du service de la dette, baisse des rentrées, sérieux ralentissement des investissements, suspension de certaines aides bi et multilatérales, etc.) ; problèmes qui peuvent accroître les tensions sociales et aggraver les difficiles conditions de vie de la population.

Le poids politique et économique de la Côte d’Ivoire dans la sous région, déjà durement affectée par plusieurs foyers de tensions et de guerres civiles, exige que toutes les mesures soient prises pour que la transition se termine au mieux et dans la transparence. Les bailleurs de fonds, les institutions internationales, la communauté internationale ont un rôle décisif à jouer pour la stabilisation économique et politique de la Côte d’Ivoire afin de l’aider à ne pas basculer dans un cycle de violences et de déséquilibres aux conséquences incalculables mais sans aucun doute meurtrières.

Souhaitons que les appels à la paix et à la tolérance lancés par les organisations de la société civile (ONGs, communautés religieuses, etc.), par les dirigeants de certains pays de la sous-région - et notamment de ceux qui tiennent aujourd’hui sommet à Yamoussoukro -, et de pays du Nord soient entendus par l’ensemble des acteurs politiques de la Côte d’Ivoire.

1-L’opération communément appelée " Mains propres " a été lancée dès janvier 2000 au motif de récupérer les fonds publics détournés. Ceci s’est manifesté en particulier par un mandat d’arrêt international lancé contre le président déchu Henri Konan Bédié, mais également par les arrestations de hauts dignitaires de l’ancien régime ou d’hommes d’affaires.

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