Lettre ouverte à Monsieur Laurent Gbagbo, Président de la République

18/10/2001
Rapport

Abidjan
Côte d’Ivoire

Monsieur le Président,

Le 3 août 2001, un tribunal militaire a reconnu " non coupables " les huit gendarmes inculpés dans le cadre de l’affaire du charnier de Yopougon, " faute de faits établis à leur égard ". Reporters sans frontières et la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) avaient alors protesté contre cette décision, estimant que le procès ne s’était pas déroulé dans des conditions justes et équitables. De nombreux manquements avaient été relevés dans le déroulement de l’instruction, notamment l’absence de confrontation entre les rescapés du charnier et les gendarmes soupçonnés.

C’est dans ce contexte que Reporters sans frontières et la FIDH, informées de la présence en Europe d’un des deux rescapés du charnier de Yopougon, ont tenté d’apporter une contribution significative à la recherche de la vérité, en organisant une procédure de reconnaissance sur photos des auteurs du massacre par la victime. Cette dernière a reconnu deux photos parmi les quarante qui lui étaient présentées, correspondant à deux des gendarmes inculpés dans l’affaire du charnier, mais acquittés lors du verdict du 3 août dernier.
Le 27 septembre dernier, Reporters sans frontières et la FIDH ont communiqué les résultats de cette procédure au Commissaire du Gouvernement, dont nos deux organisations avaient salué l’initiative d’introduire un pourvoi en cassation de la décision du tribunal militaire. Il apparaît depuis que cette initiative a été annoncée mais n’a jamais été suivie d’effets. En effet, le Premier ministre a déclaré, lors d’une interview accordée à AITV-RFO le vendredi 5 octobre, que le pourvoi en cassation n’avait jamais été introduit. Joint au téléphone, le Commissaire du Gouvernement n’a pas souhaité répondre à la question qui lui était posée sur la réalité du pourvoi annoncé.
Au lendemain de la découverte du charnier, le Premier ministre en personne, Affi Nguessan, expliquait : " Nous n’avons rien à cacher. Personne, pour quelque raison que ce soit, ne pourra bénéficier de l’impunité. " Des promesses nous ont été faites, et vous nous avez affirmé, Monsieur le Président, souhaiter " être jugé sur pièces "... La désinformation à laquelle se sont livrées les autorités judiciaires ivoiriennes dans l’affaire du charnier de Yopougon démontre clairement la volonté d’organiser un simulacre de procès, davantage destiné à berner la communauté internationale qu’à faire véritablement la lumière sur les responsabilités engagées dans ce massacre.
Si la procédure devait en rester là, vous ne feriez, Monsieur le Président, qu’accréditer la thèse faisant état de votre volonté de " protéger " la gendarmerie qui vous a soutenu lors de votre accession au pouvoir en octobre 2000. Nos deux organisations ne vous demandent en aucun cas de vous substituer à la justice ivoirienne, mais de donner un signal clair de votre volonté réelle de lutter contre l’impunité dans votre pays. En ces jours où vous tentez d’engager la Côte d’Ivoire sur la voie de la réconciliation, vous devez montrer votre bonne foi, non seulement à l’égard des acteurs politiques de votre pays, mais également envers les populations meurtries par les événements violents qui ont marqué la Côte d’Ivoire ces derniers mois. La paix ne peut pas se décréter, elle se construit, et une justice équitable en est un élément indispensable.
Reporters sans frontières et la FIDH se tiendront bien entendu à la disposition des autorités judiciaires ivoiriennes pour tout complément d’information et espèrent pouvoir contribuer de façon significative à l’établissement des responsabilités véritables dans cette affaire.
Dans l’attente d’une réaction rapide de votre part sur ces questions, nous vous prions, Monsieur le Président, d’accepter l’expression de notre très haute considération.


Sidiki Kaba

Président de la FIDH

Robert Ménard

Secrétaire général de Reporters sans frontières

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