Un temps menacée de fermeture, la Cellule spéciale d’enquête, créée en 2011 pour conduire les procédures judiciaires relatives aux crimes de la crise post-électorale qui avait fait au moins 3000 morts, avait finalement été renouvelée le 30 décembre 2013 par un décret présidentiel, faisant suite à un important plaidoyer des organisations ivoiriennes et internationales de défense des droits humains, qui s’inquiétaient de voir disparaître l’un des principaux dispositifs de la lutte contre l’impunité en Côte d’Ivoire.
« Nous avons été les premiers à défendre cette structure et à nous féliciter de sa reconduction, car elle incarne, pour les victimes de la crise, une possible réponse à leurs attentes de justice, qui sont immenses tant les graves violations des droits de l’Homme ont été nombreuses pendant cette période », a déclaré Patrick Baudouin, avocat des victimes et Président d’honneur de la FIDH.
Pourtant, nos organisations sont aujourd’hui très préoccupées de constater qu’à la suite de cette reconduction, les arrêtés d’application permettant le fonctionnement opérationnel de la CSEI n’ont pas été adoptés, contribuant ainsi à ralentir les procédures et la bonne marche de la justice. Par exemple, le secrétariat administratif prévu à l’article 10 du décret présidentiel n’a pas encore été mis en place, pas plus que le régisseur chargé de la gestion financière de la Cellule (art. 17), ou es indemnités prévues pour les magistrats (art. 14). Enfin, le décret présidentiel prévoit également que les juges affectés à la CSEI soient nommés par un arrêté ministériel (art. 11), toujours en attente.
« Comment comprendre que la Cellule spéciale d’enquête, longtemps mise en avant par le gouvernement ivoirien comme exemple d’une volonté de lutte contre l’impunité soit aujourd’hui dans une situation d’incertitude et de flou qui va à l’encontre de l’intérêt des victimes ? Il est urgent de régler cette question pour que les instructions en cours puissent évoluer rapidement, et pour ne pas faillir à l’exigence d’une justice rendue dans des délais raisonnables », a déclaré Sindou Bamba, coordinateur du RAIDH.
Nos organisations regrettent en effet la lenteur des procédures engagées, que peut expliquer un soutien insuffisant des autorités judiciaires et politiques au processus de justice en cours, et le déséquilibre persistant des poursuites : seul le procès sur les atteintes à la sureté de l’Etat pourrait être envisageable en l’état actuel des instructions et un seul élément supplétif des FRCI (Forces républicaines de Côte d’Ivoire) a pour l’instant été mis en cause, en dépit des nombreux cas de violations des droits de l’Homme imputables aux FRCI lors de la crise post-électorale et documentés dans plusieurs rapports d’enquête nationaux et internationaux, à commencer par celui de la Commission nationale d’enquête (CNE), rendu en 2012.
« La crédibilité de la justice se joue dans sa capacité à demeurer impartiale, indépendamment des contextes politiques ou des enjeux électoraux. Sous peine d’échouer, elle doit donc être en mesure de poursuivre l’ensemble des auteurs des crimes commis pendant la crise, quels que soient leur rang ou leur affiliation politique », a déclaré Param-Preet Sing, juriste senior de Human Rights Watch.
Lors du récent passage de la Côte d’Ivoire devant l’Examen périodique universel, un mécanisme du Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies, le Ministre ivoirien de la justice, Mamadou Gnenema Coulibaly, a cité la lutte contre l’impunité au rang des mesures « réalisées à 100 % » par le gouvernement ivoirien, au moyen notamment de la bonne coopération avec la CPI et la ratification du Statut de Rome. Si nos organisations considèrent ces deux points comme des avancées importantes, elles rappellent que la lutte contre l’impunité n’en est qu’à son commencement en Côté d’Ivoire.
Enfin, au moment où la Commission dialogue vérité et réconciliation (CDVR) entre, après deux années d’activité, dans sa phase d’audition des victimes et d’enquête, nos organisations demandent la publication de son rapport intermédiaire et rappellent l’importance de l’articulation entre justice et réconciliation.
« Le travail de réconciliation est indispensable en Côte d’Ivoire et nous l’encourageons vivement. Mais il ne peut être mené à bien que si, dans le même temps, les victimes des graves violations des droits de l’Homme voient leur droit à la justice, principe inaliénable, consacré par des procédures judiciaires justes et équitables », a déclaré Mafelina Dosso, présidente par interim de l’OFACI.