Pour Paul Nsapu, Secrétaire général adjoint de la FIDH, « Alors que le Cameroun s’enfonce dans la violence depuis des mois, la communauté internationale continue de considérer le pays avec un regard distant. Nous appelons les différentes parties à se garder de toute surenchère ou provocation ce week-end pour éviter de faire basculer le pays dans davantage de violence ».
La transparence, la sécurité et la crédibilité du scrutin continuent de susciter de vives inquiétudes, les critiques portant, entre autres, sur l’indépendance et l’impartialité des organes de promulgation et de validation des résultats. L’opposition dénonce notamment le fait que la plupart des membres de la commission électorale (ELECAM), nommés par le Président Paul Biya, soient d’anciens membres du parti au pouvoir, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC).
Paul Biya, au pouvoir depuis 36 ans, et candidat à sa propre réélection, a également nommé comme membres du Conseil constitutionnel, en charge de régler tout contentieux électoral, des membres majoritairement issus du RDPC. Enfin, c’est également le Président qui a décidé de la date du scrutin présidentiel, sans consultation de l’opposition et alors même que des préoccupations avaient été soulevées concernant la situation sécuritaire dans les régions anglophones du Nord Ouest et du Sud Ouest.
L’utilisation croissante de discours de plus en plus haineux entre militants de certains candidats est également source d’inquiétudes. Les échanges ont été particulièrement vifs sur les réseaux sociaux, avec une évocation et instrumentalisation récurrente des origines ethniques.
Pour Maxime Bissay, Président de la Maison des droits de l’Homme du Cameroun (MDHC), « Le contexte politique et sécuritaire ne semble pas propice à la tenue d’une élection apaisée. Nous avons rarement connu un tel niveau de violence verbale entre militants de partis politiques. Nous appelons l’ensemble des partis à la retenue et à s’abstenir d’attiser la haine ».
Dans les régions anglophones du Nord Ouest et du Sud Ouest, la crise déclenchée en octobre 2016, sur fond de revendications sociales portées par des enseignant.es, avocat.es et étudiant.es, a, en l’espace de deux ans, et sous les coups de la répression, pris la forme d’actes graves de violences armées, impactant avant tout les civils. Les autorités camerounaises ont principalement opté pour une réponse répressive et militaire à la crise, les forces de défense et de sécurité ayant fait usage de tirs à balles réelles pour empêcher des manifestations pacifiques de se tenir. Cette réponse armée a contribué à la radicalisation des positions, aboutissant, le 1er octobre 2017, à une déclaration de sécession de la part de l’Ambazonia Governing Council (AGC). Depuis lors, au moins une dizaine de groupes armés et milices d’auto-défense ont été créés.
« La réponse militaire des autorités camerounaises a contribué à transformer une crise initialement sociale en une confrontation armée qui impacte principalement les populations civiles des régions anglophones. Dans le contexte du scrutin présidentiel, nous craignons une aggravation de la situation et continuons d’affirmer que les réponses armées, d’où qu’elles proviennent, ne sont pas la solution » a déclaré Mireille Tushiminina, Directrice exécutive du Center for Human Rights and Democracy in Africa (CHRDA), basée à Buéa, capitale de la région du Sud-Ouest.
Au moins 420 civils auraient perdu la vie [1], plus de 25 000 personnes ont été contraintes de se réfugier au Nigeria voisin [2] , et plus de 250,000 autres [3] de se déplacer à l’intérieur du pays par crainte pour leur sécurité. D’après le CHRDA, près de 161 villages auraient été attaqués et incendiés, principalement par les forces de défense et de sécurité, accusant les populations d’être des séparatistes ou de les soutenir. Près de 1000 personnes ont été arrêtées et détenues arbitrairement [4]. Parallèlement, plus de 175 membres des forces de défense et de sécurité auraient été tués [5], au moins 34 écoles incendiées et une dizaine de représentant.es d’autorités administratives et traditionnelles enlevé.es par les groupes séparatistes.
À l’approche du scrutin, des leaders séparatistes ont déclaré qu’ils ne permettraient pas la tenue de l’élection dans les régions anglophones. Ils ont appelé les populations à boycotter le scrutin, menacé de représailles celles et ceux qui décideraient de se rendre aux urnes, détruits certaines cartes d’électeurs, commis des actes de violences contre des membres de l’ELECAM, incendié certains de leurs bureaux lors des élections sénatoriales de mars dernier, et installé des points de contrôle dans plusieurs localités, bloquant la circulation sur plusieurs routes. Depuis août 2018, des centaines de personnes auraient quitté les régions anglophones de manière préventive.
Pour Mme Maximilienne Ngo MBE, Directrice exécutive du Réseau des défenseurs des droits humains en Afrique centrale (REDHAC) : « Cette élection est organisée dans un contexte très incertain. Mais le Président qui en sortira vainqueur aura comme priorité l’instauration d’un climat politique et sécuritaire apaisé. Ce qui devra passer par la mise en place d’un dialogue politique le plus large possible sur la crise anglophone et sur la forme de l’État camerounais. Enfin, l’établissement des responsabilités pour les crimes commis ces derniers mois devra être établie pour en finir avec la spirale de la haine, des violences et des vengeances ».