Lettre ouverte au Président de la République française

05/05/1998
Communiqué

Monsieur Jacques CHIRAC

Président de la République
Palais de l’Elysée
55, rue du Faubourg St Honoré
75008 Paris

Monsieur le Président,

Selon mes informations, vous devez rencontrer, cet après-midi, le Chef de l’Etat camerounais, Paul Biya, en visite privée en France. Je tenais, avant cette rencontre, à vous saisir de la situation particulièrement préoccupante qui prévaut dans ce pays. En effet, la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme (FIDH) y a recensé des atteintes quotidiennes aux libertés fondamentales. Un rapport détaillé de ces atteintes sera très prochainement publié par la FIDH.

A l’heure actuelle, Pius Njawé, directeur du groupe de presse privée Le Messager, considéré comme l’un des pères du journalisme indépendant au Cameroun et sur le continent africain, est incarcéré à Douala. Il a été condamné, le 14 avril, en appel à 1 an de prison ferme et 300.000 francs CFA (3.000 FRF) d’amende pour "diffusion de fausses nouvelles". Cette décision fait suite à la publication, le 22 décembre 1997, d’un article s’interrogeant sur la santé du Chef de l’Etat camerounais.

Le cas de Pius Njawé est sans doute le plus médiatisé mais il n’est malheureusement pas un cas isolé. Parmi les nombreuses atteintes aux libertés fondamentales que la FIDH a pu recenser dans ce pays, le sort de 59 personnes détenues à Yaoundé nous préoccupe particulièrement. Toutes ces personnes ont été arrêtées à la suite d’affrontements dans la région du Nord Ouest et du Sud Ouest qui ont eu lieu à la fin du mois de mars 1997, quelques semaines avant les élections législatives. Elles sont actuellement détenues, parfois depuis plus d’un an, à plusieurs centaines de kilomètres de leur domicile, sans inculpation ni jugement. Par ailleurs, depuis ces arrestations, au moins quatre d’entre elles ont trouvé la mort des suites des traitements qui leur ont été infligés, et il est possible que cinq autres personnes soient décédées.

Par ailleurs, l’année électorale 1997 a été marquée par des centaines d’arrestations et de mises en détention pour des durées plus ou moins longues. La plupart d’entre elles revêtaient un caractère politique. La durée légale de la garde à vue a souvent été dépassée. Nombre de membres de l’opposition ont été incarcérés en vertu des lois relatives au "maintien de l’ordre public" ou au "grand banditisme", qui permettent de maintenir une personne en détention pendant une période de "quinze jours renouvelables" sans inculpation, ni présentation à une autorité judiciaire.

Le Cameroun a ratifié le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, et ce pays est partie à la Convention de Lomé IV qui subordonne explicitement l’aide au développement au respect des droits et libertés fondamentales.

C’est pourquoi, je me permets de vous demander d’intercéder auprès de Paul Biya en faveur de Pius Njawé, de mettre le respect des droits de l’Homme au coeur des entretiens que vous devez avoir avec votre homologue camerounais et de conditionner toute aide économique au gouvernement camerounais au respect des textes internationaux garantissant les libertés fondamentales des citoyens auxquels le Cameroun est partie.

L’année 1998 est l’année du cinquantenaire de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. A cette occasion, la FIDH vous demande, Monsieur le Président, de faire la démonstration de votre engagement pour la mise en oeuvre des principes garantis par cette Déclaration.

Je me tiens à votre disposition pour toutes informations complémentaires et vous remercie de l’attention que vous accorderez à la présente. Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma haute considération.

 

Patrick BAUDOUIN

Président

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