Visite du Conseil de Sécurité au Burundi : adresser des messages fermes pour des élections crédibles et sécurisées

12/03/2015
Communiqué
en fr

Une délégation du Conseil de Sécurité des Nations unies doit se rendre au Burundi le 13 mars 2015. La FIDH et la Ligue ITEKA appellent le Conseil à saisir l’opportunité de cette visite pour enjoindre les autorités burundaises de garantir l’organisation d’élections générales crédibles et sécurisées. Les autorités doivent notamment s’assurer d’un processus électoral réellement inclusif, qui permette aux candidats de l’opposition de concourir librement, et elles doivent lutter de manière effective contre les actes de violence à caractère politique. Pour nos organisations, si le débat sur la possibilité pour le Président Pierre Nkurunziza de briguer un troisième mandat doit être examiné à la lumière de la légalité, il doit également amener le pouvoir actuel à pleinement garantir les principes démocratiques et à éviter toute dérive autoritaire.

La FIDH et la Ligue ITEKA ont organisé, du 11 au 18 février 2015, une mission d’enquête sur la situation pré-électorale au Burundi au cours de laquelle nos organisations ont pu recueillir plusieurs témoignages, dont ceux de victimes d’exactions à caractère politique et de témoins des affrontements armés survenus dans la province de Cibitoke. Dans leur rapport à paraître, la FIDH et la Ligue ITEKA s’inquiètent d’un possible embrasement d’une situation politique et sécuritaire aujourd’hui sous haute tension.

Pour Dismas Kitenge, Vice-Président de la FIDH, qui a conduit la mission d’enquête, «  à deux mois des élections générales au Burundi, les raisons de nous inquiéter sont bien réelles. Le dialogue politique est aujourd’hui obstrué par la question des candidatures à la présidentielle, la justice continue de faire l’objet d’une instrumentalisation du pouvoir, la société civile reste dans le collimateur des autorités et la sécurité demeure précaire. Ce sont là les ingrédients d’une situation potentiellement explosive et le Conseil de sécurité doit en prendre toute la mesure  ».

Pour Anschaire Nikoyagize, Président de la Ligue ITEKA, «  Nous sommes particulièrement inquiets de la tournure que peut prendre le processus électoral en cours. La visite opportune du Conseil de sécurité est donc l’occasion de rappeler fermement aux autorités burundaises qu’il est de leur responsabilité de prendre des mesures adéquates pour garantir un processus électoral crédible et sécurisé et de leur signifier qu’aucune escalade de la violence politique ne sera tolérée  ».

Les élections générales au Burundi doivent débuter le 26 mai 2015 et s’achever le 24 août. Bien plus qu’en 2010, les tensions et la méfiance entre partis politiques sont manifestes et exacerbées par plusieurs facteurs. Premièrement, la question de la possibilité, pour Pierre Nkurunziza, de se porter candidat pour un troisième mandat présidentiel domine le débat politique et, compte tenu de la ferme opposition exprimée par plusieurs acteurs politiques, est aujourd’hui de nature à attiser les tensions. Deuxièmement, l’hypothèse que plusieurs représentants de l’opposition se voient refuser l’autorisation de se porter candidats à la présidentielle, soit parce qu’ils appartiennent à des formations politiques qui ne sont plus reconnues par le pouvoir (Agathon Rwasa – FNL « non reconnu », Charles Nditije – UPRONA « non reconnu »), soit parce qu’ils font l’objet de poursuites judiciaires (Alexis Sinduhije – Président du MSD), est également source de fortes dissensions.

Un militant de l’UPRONA proche de Charles Nditije a rapporté à nos organisations que : «  depuis 2014, à partir du moment où le Ministre de l’Intérieur a écrit une lettre à Mme Concilie Nibigira pour lui dire qu’il la reconnaissait comme la présidente du parti UPRONA, nos réunions ont été systématiquement interdites. Nous avons tenté d’organiser une quarantaine de réunions qui ont été refusées sans être motivées. Et quand nous décidons malgré tout d’organiser ces réunions, les policiers viennent nous désorganiser. Ils utilisent la force pour nous faire partir, armés de bâtons. Quelques fois à Rumonge et à Matana, les jeunes Imbonerakure menacent nos militants  ».

À ces fortes tensions politiques, qui sont potentiellement sources de violences, s’ajoutent des enjeux sécuritaires qui laissent eux aussi craindre des entraves à la tenue de scrutins libres. Plusieurs interlocuteurs de la FIDH et de la Ligue ITEKA ont dit redouter de possibles accrochages entre les ligues des jeunes des partis politiques à l’approche des élections. Nos organisations ont pu recueillir des témoignages de victimes d’exactions imputées aux Imbonerakure, la ligue des jeunes du CNDD-FDD, lesquels continueraient, dans plusieurs localités, de se substituer à l’autorité de l’État ou d’intimider et menacer les personnes perçues comme étant proches de l’opposition. Les risques sécuritaires se sont également manifestés lorsque, entre fin décembre 2014 et début janvier 2015, des affrontements armés sont survenus dans la province de Cibitoke, au Nord-Ouest du pays, entre les forces de défense et de sécurité burundaises et des « assaillants » non encore identifiés, faisant au moins 95 morts selon les autorités. Malgré la mise en place, par les autorités, d’une Commission nationale d’enquête, plusieurs zones d’ombres entourent encore aujourd’hui les circonstances dans lesquelles se sont déroulés ces affrontements. Alors que des informations concordantes laissent entendre que les forces nationales auraient procédé à des exécutions extra-judiciaires, les responsabilités n’ont toujours pas été établies et les témoins des affrontements vivent aujourd’hui dans la crainte de représailles.

L’un d’entre eux, proche du parti d’opposition Sewayana-Frodebu, a rapporté à nos organisations : «  aujourd’hui nous sommes menacés parce que nous avons raconté aux médias ce que nous avons vu. Je change de logement régulièrement. J’ai peur d’être assassiné, torturé, menacé. Depuis l’attaque de Cibitoke, ce sont les membres des partis de l’opposition qui subissent les conséquences. La situation était déjà tendue entre nous mais l’attaque de Cibitoke l’a aggravée. Les autorités continuent de nous stigmatiser et de nous imputer la faute de cette attaque  ».

Alors que la présence des Nations unies a été réduite au Burundi – suite au départ, fin décembre, du BNUB, remplacé depuis lors par une Mission d’observation électorale (MENUB) – la FIDH et la Ligue ITEKA appellent le Conseil de sécurité à saisir l’opportunité de sa visite pour exiger des autorités burundaises des garanties sécuritaires à l’approche des élections générales. Les autorités doivent s’assurer que les responsables d’actes de violence ou de crimes soient traduits en justice et condamnés, y compris lorsqu’ils appartiennent aux forces de défense et de sécurité ou à la ligue des jeunes du parti au pouvoir. Concernant les affrontements survenus à Cibitoke, le Conseil de sécurité doit appeler à l’ouverture d’une commission d’enquête mixte indépendante, composée d’enquêteurs nationaux et internationaux, permettant d’en garantir l’efficacité, l’impartialité et la crédibilité. Parallèlement, le Conseil doit appeler l’ensemble de la classe politique à s’assurer de la tenue d’un dialogue apaisé.

Enfin, dans un contexte où les organisations indépendantes de la société civile continuent d’être stigmatisées par le pouvoir, la FIDH et la Ligue ITEKA demandent au Conseil se sécurité d’exhorter les autorités burundaises à mettre un terme à tout harcèlement, y compris judiciaire, à l’encontre des défenseurs des droits humains et des journalistes.

La FIDH et la Ligue ITEKA rendront public leur rapport conjoint dans les prochains jours.

« Mon vote doit compter »

Entre 2014 et 2016, 52 élections dont 25 élections présidentielles doivent se tenir dans 27 pays africains. Pour éviter les manipulations, fraudes et violences dues aux élections tronquées, la société civile africaine et internationale a décidé de se mobiliser au sein de la coalition « Mon vote doit compter ». Les sociétés civiles exigent des gouvernants qu’ils respectent leur droit légitime à choisir librement leurs représentants à l’occasion d’élections régulières, libres, et transparentes, par une mobilisation publique, des actions de terrains et un plaidoyer politique en amont de chaque scrutin jusqu’en 2016.

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