Les violences continuent au Burundi : la communauté internationale doit adopter une action concertée d’urgence

09/10/2015
Communiqué
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Yvan Rukundo / Anadolu Agency

(Bujumbura, Paris) Face à la persistance et à l’ampleur des actes de violence commis au Burundi, et touchant principalement les civils, la FIDH, la Ligue ITEKA, et la LDGL exhortent la communauté internationale à prendre des actes fermes permettant de garantir la protection des populations. La gravité de la situation appelle une action concertée d’urgence consistant à impulser la reprise du dialogue politique, à enquêter sur les crimes commis ces dernières semaines en s’assurant que leurs auteurs soient poursuivis et jugés, et à activer les mécanismes de sanctions ciblées.

« L’arbitraire, la violence et l’impunité règnent aujourd’hui au Burundi. Les populations vivent sous le joug d’une peur exacerbée par la persistance d’exécutions sommaires et extra-judiciaires, d’arrestations et détentions arbitraires massives, d’allégations d’actes de torture, de menaces et actes d’intimidation, principalement du fait des autorités en place. Un embrasement de la situation est possible tant que des mesures d’envergure et coordonnées ne seront pas prises par la communauté internationale. »
FIDH, Ligue ITEKA, LGDL

De nouveaux actes de violence ont éclaté au nord de la capitale Bujumbura, le 3 octobre dernier. Dans les quartiers de Mutakura, Cibitoke, et Ngagara – réputés pour avoir été au cœur de la contestation du 3ème mandat du Président Pierre Nkurunziza – au moins huit civils ont trouvé la mort, deux maisons ont été incendiées et une autre a explosé des suites de tirs d’obus.

Des sources concordantes ont affirmé que les forces de police ont fait preuve, dans ces quartiers, d’une grande brutalité et d’un recours excessif et disproportionné de la force, voire qu’elles auraient commis des exécutions sommaires et extra-judiciaires. Samedi 3 octobre, vers 11h, des éléments de la brigade anti-émeutes de la Police Nationale du Burundi (PNB) se sont massivement déployés à Cibitoke et Mutakura pour, selon le communiqué du Ministère de la sécurité publique, traiter d’une affaire d’enlèvement. D’après plusieurs sources, les policiers ont forcé des habitants de ces quartiers à sortir de leurs maisons et ont contraint certains d’entre eux à s’agenouiller sur la voie publique avant de les exécuter sommairement. Un des habitants de Cibitoke s’est fait exploser en dégoupillant deux grenades, une explosion qui aurait entraîné la mort de policiers. Dans ce même quartier, deux maisons ont été incendiées par les forces de police. À Ngagara, une maison a explosé des suites de tirs d’obus et plusieurs grenades ont été lancées.

D’après les informations recueillies par nos organisations, cinq cadavres ont été découverts le dimanche 4 octobre sur la 10ème avenue à Cibitoke, dont celui d’une personne handicapée ; un cadavre sur la 8ème avenue à Cibitoke et deux cadavres sur la 13ème avenue à Mutakura. Nos organisations n’ont pas pu recueillir d’informations quant au bilan humain des violences survenues à Ngagara. Les autorités ont déclaré avoir ouvert une enquête.

Aujourd’hui encore, Bujumbura a été le théâtre d’un énième assassinat ciblé. Pascal Nshimirimana, époux de Zigène Mbonimpa, fille de Pierre Claver Mbonimpa, a été assassiné devant son domicile, par un jet de grenade et des tirs d’armes à feu alors qu’il se trouvait dans son véhicule. D’après de premières informations, les assassins, encore non identifiés, étaient à la recherche de Zigène Mbonimpa. Nos organisations exhortent les autorités burundaises à tout mettre en œuvre afin que la lumière soit faite sur cette deuxième attaque visant un membre de la famille de l’éminent défenseur Pierre Claver Mbonimpa, président de l’Association pour la protection des droits humains et des personnes détenues (APRODH), lui-même toujours en convalescence à la suite de la tentative d’assassinat perpétrée à son encontre le 3 août 2015.

« Ces faits sont d’une extrême gravité, mais ils s’inscrivent malheureusement dans la continuité d’une longue liste d’actes de violence perpétrés au Burundi depuis le déclenchement de la crise électorale. Aucune enquête officielle crédible n’a pour l’heure permis de situer les responsabilités ni d’enrayer les violences. Au contraire, face à de tels actes, les autorités ont choisi de répondre par la stigmatisation et la répression. »
FIDH, Ligue ITEKA, LGDL

Aujourd’hui, plusieurs signes montrent que les autorités burundaises pourraient encore durcir la répression des contestataires du régime ou personnes supposées comme tel. Nos organisations s’inquiètent en particulier de la création récente d’une unité spéciale au sein de la police qui serait chargée de « prévenir et gérer les grands événements et les actes de terrorisme graves » et craignent qu’elle ne soit en réalité utilisée à des fins de répression accrue et d’intimidation des voix contestataires du régime. Ces craintes sont aujourd’hui renforcées par la personnalité du Colonel Désiré Uwamahoro, désigné pour diriger cette unité, et dont la responsabilité pour des faits de violations des droits humains, notamment des actes de torture, a été mise en cause ces dernières années par plusieurs organisations de défense des droits humains [1].

La FIDH, la Ligue ITEKA, et la LDGL publient aujourd’hui une note sur la situation des droits humains au Burundi dans laquelle elles appellent la communauté internationale à renforcer et à mieux coordonner son action sur ce pays. Nos organisations y décrivent un contexte de rupture du dialogue entre autorités et principales formations politiques de l’opposition sur fond de multiplication des actes de violence et entraves aux libertés fondamentales.

Plusieurs États et organisations internationales ont récemment pris des positions ou mesures concernant la situation au Burundi. Nos organisations saluent ces initiatives mais appellent aujourd’hui à un renforcement et à une coordination accrue de l’action internationale sur ce pays. L’Union africaine (UA) et l’Organisation des Nations unies (ONU) doivent d’urgence impulser conjointement une reprise du dialogue politique. S’agissant des mesures de sanctions, et pour plus d’efficacité, l’UA, l’ONU et l’Union européenne [2] doivent observer une approche commune en activant chacune les sanctions institutionnelles et individuelles prévues par leurs textes respectifs. De même, alors que le Conseil des droits de l’Homme des Nations unies vient d’adopter une résolution l’autorisant à examiner la situation des droits humains dans le pays, nos organisations appellent à une synergie renforcée avec les observateurs déployés sur place par l’Union africaine. Les deux institutions doivent s’assurer d’enquêter systématiquement sur les crimes commis au Burundi, de rendre public les résultats de leurs enquêtes et d’exiger que les auteurs de crimes soient poursuivis et jugés devant des juridictions compétentes, indépendantes et impartiales.

Nos organisations appellent par ailleurs la Procureure de la Cour Pénale Internationale (CPI), à la suite de sa déclaration du 8 mai 2015, à s’exprimer publiquement pour rappeler que les crimes perpétrés au Burundi pourraient relever de la compétence de la Cour et que leurs auteurs devraient être tenus responsables.

Contexte


Le passage en force du président Nkurunziza pour un troisième mandat a profondément divisé le Burundi qui tentait de reconstruire une démocratie après la sanglante guerre civile qui a fait près de 300.000 morts entre 1993 et 2005. Dans leur rapport d’enquête de mai 2015, « Éviter l’embrasement au Burundi », la FIDH et la ligue ITEKA, pointaient déjà les violences politiques en cours et les risques d’embrasement si une issue politique à la crise n’était trouvée rapidement.

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