Face au risque maximal de perpétration de crimes internationaux, la FIDH et la Ligue ITEKA appellent les Nations unies à dépêcher d’urgence une mission d’enquête indépendante pour faire la lumière sur ces exactions et leurs auteurs, et à renforcer la protection des civils et sa présence sur le terrain. Nos organisations exhortent la communauté internationale à prendre la mesure de la mécanique de crimes et de violence en cours et d’agir en conséquence notamment en adoptant des mesures pour empêcher la répétition de violations graves des droits humains, amener le pouvoir à l’ouverture de négociations et éviter que le pays ne sombre définitivement dans la guerre civile.
La FIDH et la Ligue ITEKA sont extrêmement préoccupées par le nouveau déferlement de violence qui a eu lieu depuis le vendredi 11 décembre à Bujumbura et qui a fait au moins 154 victimes civils. Ce bilan fait suite à l’attaque de trois camps militaires, deux à Bujumbura et un dans la province de Bujumbura rural, à l’aube du vendredi 11 décembre, par des groupes armés opposés au pouvoir en place et de possibles mutins. De violents affrontements s’en sont suivis avec les forces de l’ordre et de sécurité qui ont duré plusieurs heures. Les forces de sécurité ont ensuite immédiatement procédé au bouclage des quartiers perçus comme contestataires et se sont livrés à une campagne de représailles à l’encontre des jeunes hommes de ces quartiers, raflant et exécutant sommairement des individus dont les corps continuent d’être retrouvés. Environ 300 jeunes hommes auraient ainsi été arrêtés à leur domicile. 154 d’entre eux ont été retrouvés morts depuis le 12 décembre. Tous étaient des civils non armés. Nos organisations sont extrêmement préoccupées du sort des 130 à 150 jeunes toujours portés disparus et de la poursuite des arrestations dans les quartiers de Bujumbura. Les arrestations en masse de civils et leurs exécutions extrajudiciaires qui ont été et continueraient d’être commis principalement à Bujumbura, sont des crimes d’une extrême gravité, possiblement constitutifs de crimes internationaux.
« L’envergure et le niveau de coordination des attaques menées vendredi par des groupes d’insurgés lourdement armés ainsi que le degré inouï de violence dont ont fait preuve en retour les autorités burundaises à l’encontre des jeunes des quartiers contestataires, combinés à la poursuite des exécutions sommaires et extrajudiciaires et à l’absence totale de volonté du gouvernement de résoudre la crise de façon pacifique laissent craindre le déclenchement d’un conflit ouvert. », ont déclaré nos organisations.
Vendredi 11 décembre, vers 4h du matin, des groupes d’insurgés ont attaqué presque simultanément deux camps militaires, le camp de base logistique de Ngagara au nord de Bujumbura et de l’Institut supérieur des cadres militaires (ISCAM – école des officiers burundais), dans le quartier de Musaga au sud. Les groupes d’individus armés seraient parvenus à pénétrer dans les camps, auraient dérobés des armes et munitions et auraient été rejoints par certains militaires. Des combats à l’arme lourde ont eu lieu avec les forces de l’ordre et ont duré environ quatre heures. Peu de temps après les insurgés auraient attaqué le camp de Mujejuru, à Mugugo Manga, dans la province Est de la capitale.
Selon les sources officielles, 4 militaires, 4 policiers et 79 « rebelles » ont été tués lors des attaques et 47 « ennemis » auraient été arrêtés. L’attaque n’a été revendiquée par aucun groupe et les assaillants, dont le nombre a été estimé entre quelques dizaines et quelques centaines d’hommes1, demeurent mal identifiés. Certains d’entre eux seraient des opposants ayant pris les armes, d’autres seraient des mutins issus de la police et de l’armée burundaises.
Après les affrontements, les forces de sécurité fidèles à Pierre Nkurunziza ont procédé à des arrestations arbitraires à grande échelle dans les quartiers de la capitale dits contestataires et, d’après les informations recueillies par nos organisations, au moins 300 jeunes hommes auraient été raflés, 154 d’entre eux ont déjà été exécutés et 130 à 150 sont toujours portés disparus. Les forces de l’ordre ont ainsi procédé à des exécutions sommaires et extrajudiciaires. D’après des sources administratives et des témoignages concordants, 154 corps en tenues civiles et non armés ont été découverts, principalement aux alentours des camps, dans les rues de Nyakabiga et de Musaga et près des rivières Ntahangwa et Muha depuis le samedi 12 décembre. Une majorité d’entre eux ont été retrouvés exécutés d’une balle dans la tête et certains corps avaient les mains ligotées dans le dos. Trois corps non identifiés ont été découverts le mercredi 16 décembre, enterrés près de la prison centrale de Bujumbura.
Les forces de police et les autorités locales ont fait enlever une large majorité des corps avant que des enquêtes aient pu être menées et que les victimes aient pu être identifiées. Même si elles ont invoqué des raisons sanitaires, cela constitue une violation du droit international humanitaire et laisse penser qu’elles cherchent à dissimuler les preuves des exactions commises. D’après des sources concordantes, une fosse commune a été signalée à Ruziba, derrière l’église de Kanyosha située au Sud de la capitale, où 28 corps auraient été enterrés le samedi 12 décembre. Une autre fosse commune a été identifiée dans la localité de Buringa, à quelques kilomètres du cimetière de Mpanda, dans la Province de Bubanza, au nord de Bujumbura. Trois pickups remplis de corps sans vie y ont été aperçus vendredi 11 décembre au soir et les cadavres, dont le nombre exact reste inconnu, ont été recouverts de terre par un groupe d’hommes non identifiés.
Par ailleurs, le quartier de Musaga a été entièrement bouclé samedi et les quartiers dits contestataires de Nyakabiga, Ngagara, Jabe, Mutakura, Cibitoke et Musaga continuent d’être régulièrement quadrillés par des unités de police, des Agents de l’API (Appui à la protection des institutions) et de la brigade anti-émeutes du Commissaire Désiré Uwamahoro ainsi que par des miliciens Imbonerakure qui procèdent toujours à des arrestations. Un climat de terreur règne dans ces quartiers où les habitants n’osent pas sortir de leurs maisons.
Les forces de sécurité sont les auteures directes de ces crimes. Ainsi, selon des témoignages concordants recueillis par nos organisations, un étudiant de l’Institut Supérieur des Cadres Militaires (ISCAM) qui était en route pour l’hôpital, accompagné par un militaire qui l’emmenait se faire soigner, a été emmené par des agents du Service National de Renseignement et des policiers. Il a été retrouvé mort peu après dans la zone Nyakabiga, exécuté d’une balle dans la tête. Un autre étudiant de l’ISCAM est, lui, toujours porté disparu.
Les membres de la société civile, les opposants politiques, les défenseurs des droits humains et les journalistes continuent également d’être la cible d’un harcèlement permanent de la part des autorités burundaises et la majorité d’entre eux ont fui en exil. Jeudi 10 décembre 2015, Mme. Marie-Claudette Kwizera, trésorière de la Ligue Burundaise des droits de l’homme (ITEKA), organisation membre de la FIDH au Burundi, a été arrêtée sans mandat, par des éléments du Service national de renseignement (SNR). Elle est toujours détenue dans les locaux du SNR dont certains membres exigent 3 500 000 francs burundais (soit environ 2 050 euros) pour sa libération. Jusqu’ici, aucune autre information n’a pu être obtenue, et personne n’a encore pu lui rendre visite.
« Les Nations Unies doivent immédiatement dépêcher une Commission d’enquête internationale chargée de faire toute la lumière sur les graves crimes à l’œuvre au Burundi. L’Union Africaine (UA) doit quant à elle agir conjointement avec les Nations unies pour protéger la population civile et envisager de suspendre le Burundi de ses instances si les autorités burundaises n’entament pas au plus vite un dialogue politique inclusif. La Procureure de la Cour Pénale Internationale (CPI) devrait également rappeler publiquement sa compétence pour juger ceux qui commettent ou participent à la perpétration de crimes de masse et suivre de très près l’évolution de la situation », ont déclaré nos organisations.
Le Conseil des droits de l’Homme des Nations unies se réunit demain, le 17 décembre 2015 à Genève, en session extraordinaire afin de tenter d’apporter une réponse aux exactions commises depuis des mois au Burundi, principalement du fait des autorités en place. Le Conseil doit à cette occasion condamner dans les termes les plus forts les violations des droits humains commises au Burundi, les atteintes à la société civile et aux médias indépendants, les propos incendiaires et l’incitation à la violence sur des bases politiques et ethniques, ainsi que l’impunité dont jouissent leurs auteurs. Le Conseil devrait également demander au Haut-Commissaire aux droits de l’Homme des Nations unies de déployer dans les plus brefs délais une mission d’enquête dotée d’un mandat lui permettant de mettre en évidence les responsabilités individuelles et collectives dans la commission des violations et de faire des recommandations pour lutter contre l’impunité de leurs auteurs.
Dans une lettre adressée aux membres du Conseil de sécurité des Nations unies, la FIDH et la Ligue ITEKA demandent de faire adopter au Conseil une résolution d’urgence pour décider de l’envoi immédiat de la mission politique complétée d’une force de police internationale ainsi que le renforcement des effectifs et du mandat du Bureau du Haut-Commissariat aux droits de l’Homme des Nations unies au Burundi conformément aux recommandations du Secrétaire général, Ban Ki Moon, le 1er Décembre 2015. Le mandat de ses différentes composantes onusiennes au Burundi doit permettre de désamorcer le conflit et de prévenir de nouvelles violences, notamment à Bujumbura. La force de police devrait être composée d’un nombre suffisant d’unités formées et équipées de manière adéquate pour aider à maintenir l’état de droit et protéger les civils. Ses autres composantes doivent permettre de protéger les civils, d’avancer vers un dialogue politique inclusif et surtout surveiller et faire rapport publiquement sur les abus et violations des droits humains, ainsi que sur les discours d’incitations à la haine.
De même, nos organisations appellent le Conseil de sécurité et les agences des Nations unies à travailler étroitement avec l’Union africaine pour préparer un plan d’urgence opérationnel prévoyant le déploiement rapide d’une force militaire, de police et le personnel civil international sous mandat onusien et de l’Union africaine si la situation venait à se détériorer davantage. Nos organisations partagent l’opinion du Sous-Secrétaire général de l’ONU pour les droits de l’homme, Ivan Simonovic qui a récemment déclaré que l’« action du Conseil jusqu’à présent n’a pas été proportionnelle à la menace ». Nous exhortons le Conseil de sécurité et l’Union africaine à répondre à la hauteur de cette « menace ».
Contexte Le passage en force du président Pierre Nkurunziza pour un troisième mandat a profondément divisé le Burundi qui tentait de reconstruire une démocratie après la sanglante guerre civile qui a fait près de 300.000 morts entre 1993 et 2005. Dans leur rapport d’enquête de mai 2015, « Éviter l’embrasement au Burundi », la FIDH et la ligue ITEKA, pointaient déjà les violences politiques en cours et les risques d’embrasement si une issue politique à la crise n’était trouvée rapidement. Depuis, l’annonce par le président Nkurunziza de sa volonté de briguer un troisième mandat, les violations des droits humains n’ont cessé de se multiplier au Burundi. Depuis avril 2015 et à ce jour, au moins 518 personnes ont été tuées et près de 215 000 personnes ont fui le pays. Des dizaines de journalistes et défenseurs des droits humains ont également du prendre le chemin de l’exil. Malgré la résolution 2248 du Conseil de sécurité des Nations unies, les forces de sécurité gouvernementales continuent de commettre des exécutions extra-judiciaires en toute impunité. |