Le travail mené par la CoI fournit un aperçu crucial de la situation des droits humains au Burundi. La situation dans le pays s’est fortement détériorée suite à l’annonce du président Pierre Nkurunziza, en avril 2015, qu’il solliciterait un troisième mandat, en dépit des controverses. Au cours des quatre ans et trois mois qui se sont écoulés depuis cette date, le Gouvernement et ses agences et forces affiliées, notamment la police, le Service national de renseignement (SNR) et la ligue des jeunes du parti CNDD-FDD au pouvoir, les Imbonerakure, se sont rendus responsables de violations flagrantes, généralisées et systématiques des droits humains.
La CoI a documenté des violations des droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels. Les voix critiques et indépendantes, dont les membres de la société civile, les défenseurs des droits humains (DDH) et les journalistes, ont été particulièrement visées. Au cours de l’année qui vient de s’écouler, le Gouvernement burundais a forcé le Bureau de la Haute-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme (HCDH) à quitter le pays, suspendu l’une des dernières organisations indépendantes de la société civile, Paroles et action pour le réveil des consciences et l’évolution des mentalités (PARCEM), suspendu la licence de Voice of America et révoqué celle de la British Broadcasting Corporation (BBC) et forcé au moins 30 organisations non-gouvernementales internationales à mettre un terme à leurs activités. Le 17 juillet 2019, la cour d’appel de Ntahangwa a confirmé la peine de 32 ans d’emprisonnement prononcée à l’encontre du défenseur Germain Rukuki. Alors que les élections de 2020 approchent, nous sommes d’avis que la capacité de suivi de la situation permise par la CoI demeure cruciale.
Le contexte pré-électoral pourrait donner lieu à une escalade des tensions politiques, et nous sommes inquiets du fait que celles-ci pourraient causer une augmentation des violations des droits humains. Tout au long de l’année 2018 et jusqu’à ce jour en 2019, les organisations burundaises et internationales de défense des droits humains ont continué à faire état de violations graves et généralisées. Celles-ci semblent être commises dans un contexte d’impunité totale. Bien que l’enregistrement du Congrès national pour la liberté ait pu indiquer une possible ouverture de l’espace politique en amont du scrutin de 2020, les groupes de défense des droits humains ont documenté des violations endémiques à l’encontre des membres du Congrès, y compris des assassinats, des arrestations arbitraires, des passages à tabac et des actes d’intimidation. La décision de financer les élections via la collecte de soi-disant « contributions volontaires » auprès de la population a aussi mené à un phénomène d’extorsion généralisée. Les membres des Imbonerakure et du parti au pouvoir, ainsi que les administrateurs locaux, qui ont été chargés de collecter ces contributions, ont arbitrairement restreint la liberté de mouvement des citoyens et leur accès aux marchés, aux services de santé, à l’éducation et aux services administratifs.
La CoI a présenté ses conclusions au Conseil en 2017 et 2018, indiquant qu’elle disposait de « motifs raisonnables de croire que de graves violations et atteintes aux droits de l’homme avaient été commises au Burundi depuis 2015 » et que certaines de ces violations pourraient être constitutives de « crimes contre l’humanité ». En renouvelant le mandat de la CoI, le Conseil :
S’assurerait que la situation est suivie de manière continue, compte tenu du fait que la CoI reste le seul mécanisme à surveiller et à rendre des rapports publics sur la situation au Burundi1 ;
Fournirait à la CoI et à son secrétariat le temps dont ils ont besoin pour mener à bien leur travail de documentation des violations et de constitution de dossiers qui pourront, le cas échéant, mener à des poursuites contre les personnes impliquées ;
Assurerait la continuité de son action ainsi qu’un suivi de ses résolutions précédentes, notamment les résolutions 30/27 (2015), S-24/1 (adoptée lors d’une session extraordinaire qui s’est tenue le 17 décembre 2015), 33/24 (2016), 36/19 (2017) et 39/14 (2018) du CDH, contribuant ainsi à remplir son mandat de mise en œuvre ;
Formulerait clairement le message qu’obstructionnisme et attaques contre l’intégrité du Conseil et du HCDH ne peuvent apporter aucun bénéfice à ceux qui s’en rendent responsables, alors que le Gouvernement burundais continue à nier les rapports d’experts sur la situation des droits humains dans le pays, à insulter et à menacer les membres de la CoI, à refuser de coopérer avec le système onusien des droits humains, à refuser de mettre en œuvre les recommandations clefs formulées par la CoI, le HCDH et le Conseil, et à coopérer de manière inadéquate vis-à-vis des mécanismes régionaux2 ; et
Éviterait un vide en termes de surveillance (« monitoring ») de la situation en amont des élections de 2020, alors que l’espace civique et démocratique restreint et l’intimidation exercée par les forces gouvernementales, le parti au pouvoir et les membres des Imbonerakure limitent les perspectives d’élections libres et équitables.
Les Membres et Observateurs du Conseil devraient a minima soutenir l’extension du mandat de la Commission d’enquête sur le Burundi pour une année, jusqu’à septembre 2020, conformément à la responsabilité du Conseil de répondre aux situations de violations des droits humains, y compris des violations flagrantes et systématiques, de promouvoir la redevabilité, de prévenir de nouvelles violations et atteintes, et d’assurer un suivi de ses actions et recommandations.
Le Conseil devrait également prier la CoI de préparer un rapport traitant spécifiquement de la question des élections et des facteurs de risques de violations des droits humains et de le présenter à l’occasion d’un dialogue interactif renforcé lors de la 43ème session du conseil.
Nous vous remercions de l’attention que vous porterez à ces préoccupations et nous tenons prêts à fournir à votre délégation toute information supplémentaire. Nous vous prions de croire, Madame, Monsieur le Représentant permanent, en l’assurance de notre haute considération.