Bilan sanglant d’un an de présidence contestée de Pierre Nkurunziza 

21/07/2016
Communiqué
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(Bujumbura, Paris) Le 21 juillet 2015 Pierre Nkurunziza était élu président de la République du Burundi à la faveur d’une élection hautement contestée, boycottée par l’opposition et s’étant tenue dans un contexte d’atteinte généralisée aux libertés fondamentales. Un an plus tard, le régime est engagé dans une fuite en avant répressive aux dynamiques génocidaires qui a déjà fait plusieurs milliers de morts, de disparus, de personnes arrêtées et torturées et qui a poussé plus de 270 000 personnes à fuir le pays. Nos organisations appellent le gouvernement à mettre un terme à cette répression de masse et exhortent la communauté internationale à agir pour protéger les civils et faciliter une solution politique à la crise.

La première année du troisième mandat de P. Nkurunziza a vu le Burundi s’enliser dans une crise sécuritaire, politique et humanitaire profonde. En moins d’un an le CNDD-FDD [1] est devenu un parti unique de fait, qui régente la vie publique et privée. Les violations graves et massives des droits humains à l’encontre de tous ceux suspectés d’être opposés au régime se sont généralisées et n’ont de cesse de se multiplier : plus de 1000 personnes tuées, 5 000 détenues, 800 disparues, des centaines torturées, plusieurs dizaines de femmes victimes de violences sexuelles, des milliers d’arrestations arbitraires. La FIDH et ITEKA ont également pu identifier plus d’une dizaine de fosses communes et de lieux de détention et de torture secrets. Par ailleurs, les Tutsis sont de façon accrue ciblés par la répression des services de sécurité, lesquels sont appuyés dans leurs opérations quotidiennes par des éléments des Imbonerakure, la ligue des jeunes du parti au pouvoir, qui agissent sur l’ensemble du territoire comme supplétifs de la police, de l’armée et du Service national de renseignement (SNR). [2]

« Le Burundi a sombré dans la violence, l’autoritarisme, l’arbitraire et l’impunité. Les forces de sécurité et leurs forces supplétives ont reçu l’autorisation de tuer, torturer et faire disparaître les opposants présumés au régime. Les espaces de libertés ont été drastiquement réduits, et la société civile indépendante ainsi que les médias sont muselés. Tel est le tragique bilan de Pierre Nkurunziza, un an après sa réélection contestée à la présidence de la République du Burundi. »

Karim Lahidji, président de la FIDH

L’on estime à plusieurs centaines le nombre d’arrestations arbitraires ayant lieu sur l’ensemble du territoire burundais chaque semaine. Ce matin encore, la police a procédé à des arrestations arbitraires, en nombre inconnu, dans le quartier de Musaga à Bujumbura. La veille, le 20 juillet, d’autres arrestations ont eu lieu notamment à Buringa, à l’ouest du pays et dans la capitale Bujumbura. Théodore Nsengiyumva [3], un ancien membre des Forces armées burundaises (FAB) [4] et élu local du Front National de Libération (FNL) [5] d’Agathon Rwasa, a été arrêté sans mandat à son domicile de Buringa par des policiers dirigés par le chef de poste Edouard Nibizi. Le même jour, dans la même province, le pasteur Gérard Nsabimana ainsi que son ami Aimable Nibaruta ont été arbitrairement arrêtés par la police. D’après nos informations, ils sont suspectés par les forces de l’ordre de soutenir les rebelles opérant dans la plaine de la Rukoko. Ils demeurent tous les trois détenus au cachot du commissariat de police de Bubanza. Dans le centre-ville de Bujumbura, le 20 juillet, des arrestations arbitraires ont également eu lieu vers midi, en nombre inconnu.

Depuis plus d’un an, les assassinats par des hommes armés non identifiés et les exécutions extrajudiciaires perpétrées par les services de sécurité burundais sont également monnaie courante au Burundi. Le 13 juillet dernier, c’est la députée Hafsa Mossi [6], figure modérée du CNDD-FDD, qui a été assassinée dans le quartier de Gihosha, dans le nord-est de Bujumbura. Deux hommes armés lui ont tiré dessus vers 10h30 alors qu’elle était à bord de son véhicule. Elle est décédée à l’hôpital militaire de Bujumbura, des suites de ses blessures. Des sources proches de la défunte affirment qu’elle avait été récemment menacée par de hautes personnalités du régime.

Parallèlement, les membres de la société civile toujours au Burundi et les journalistes continuent d’être des cibles privilégiées du pouvoir. Nos organisations sont informées quasi-quotidiennement de menaces, d’actes d’intimidation et parfois d’attaques visant des défenseurs des droits humains opérant sur le terrain ou réfugiés à l’étranger. Marie-Claudette Kwizera, trésorière de la Ligue ITEKA, est toujours portée disparue depuis le 10 décembre 2015. En un an, l’on estime que la quasi totalité des représentants des organisations de défense des droits humains ont fui le pays. De même, plus aucun média n’est autorisé à diffuser une information libre et indépendante.

« Face aux exactions en cours, la réponse de la communauté internationale n’est pas à la hauteur. L’Union africaine et les Nations unies doivent déployer de toute urgence une force civilo-militaire capable de protéger les civils et engager les autorités burundaises à dialoguer avec l’opposition et la société civile indépendantes. »

Anschaire Nikoyagize, président de la Ligue ITEKA

Du 12 au 14 juillet 2016 devait se tenir à Arusha, en Tanzanie, le deuxième round de pourparlers [7] entre le gouvernement, l’opposition, la société civile et les confessions religieuses du Burundi, sous les auspices de la médiation ougandaise, menée par Benjamin Mkapa, ancien président de Tanzanie. Mais les autorités burundaises ont refusé de négocier avec ceux qu’elles considèrent comme des « putschistes » et d’assister à la cérémonie d’ouverture. Étaient notamment présents certains membres de la principale coalition d’opposition, le CNARED [8], et notamment son président, Jean Minani. Mais aussi des membres de la société civile comme Pacifique Nininahazwe, et Armel Niyongere, présidents de deux organisations de défense des droits humains, respectivement le FOCODE et l’ACAT-Burundi [9]. Dans un tweet, Willy Nyamitwe , conseiller en communication de la présidence, a notamment indiqué : « Jean Minani, [Pacifique] Nininahazwe et Armel Niyongere sont poursuivis par la justice et ne peuvent être conviés au dialogue » [10]. La FIDH et ITEKA regrettent que ces représentants aient été présents sans pouvoir dialoguer avec le gouvernement. La médiation a finalement invoqué une erreur dans les invitations. Nos organisations exhortent la communauté internationale et la médiation ougandaise à garantir la tenue d’un dialogue inclusif et effectif pour sortir le pays du chaos.

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