Nairobi, Dakar, Paris, 30 Septembre 2024. Les autorités burkinabè, installées au pouvoir à la faveur du coup d’État militaire du 30 septembre 2022, ont progressivement mis en place un système de répression contre toute critique ou dénonciation des violations des droits humains. Des journalistes, des défenseur·es des droits humains et des opposant·es politiques sont quotidiennement ciblé⋅es : attaques, arrestations, enlèvements, séquestrations, disparitions forcées, conscriptions forcées ou menaces envers leurs familles. Ce climat de peur est alimenté par les discours de haine et de violence véhiculés sur les réseaux sociaux par des activistes proches du pouvoir.
La FIDH appelle donc les autorités du Burkina Faso à cesser immédiatement ces attaques et à libérer toutes les personnes détenues arbitrairement. Elle les appelle également à respecter leurs engagements nationaux, régionaux et internationaux en matière de droits humains.
« Le musellement de la société civile et la répression des défenseur·es des droits humains, des journalistes et des opposant·es, est inadmissible surtout dans une période de transition qui prône la refondation de l’État et une meilleure gouvernance », a déclaré Me Drissa Traoré, secrétaire général de la FIDH. « La société civile doit être protégée, il est essentiel de libérer la parole en préservant les droits à la liberté d’expression, d’opinion, d’association, de réunion et d’assemblée et de presse ».
Alors même que le régime avait fait de la résolution du conflit armé qui sévit dans le pays sa priorité, la FIDH constate une recrudescence de la violence et des violations commises contre les populations civiles, par toutes les parties impliquées dans ce conflit. Le 24 août 2024, une attaque revendiquée par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (JNIM) a visé les civil·es, les forces de défense et de sécurité et les volontaires pour la défense de la Patrie (VDP), faisant plusieurs dizaines de victimes. Ces crimes graves ont été condamnés par la FIDH et la coalition citoyenne pour le Sahel.
Enrôlement forcé des défenseur·es, journalistes et opposant·es
Depuis fin novembre 2023, les autorités ont systématisé l’enrôlement forcé des défenseur·es des droits humains, des journalistes et des opposant·es politiques comme supplétif·ves de l’armée. En représailles à leurs critiques ou leurs dénonciations des violations des droits humains, une dizaine de personnes ont été enlevées et envoyées au front, dans le cadre du « Décret portant mobilisation générale et mise en garde », adopté en avril 2023. Parmi elles, Dr Daouda Diallo, défenseur des droits humains, figure de la société civile et Ablassé Ouédraogo, acteur politique.
Les magistrat·es sont aussi concerné·es par la conscription, en violation du principe de séparation des pouvoirs, mais aussi d’indépendance de la justice. En août 2024, au moins cinq magistrat·es dont des procureur·es ont été réquisitionné·es et enrôlé·es de force. Ils·elles avaient ouvert des informations judiciaires ou posé des actes dans des procédures impliquant des personnes réputées proches du régime. Les procureurs du Burkina Faso près des tribunaux de Grande instance de Ouagadougou 1, de Boromo, de Bobo-Dioulasso, de Gaoua, ainsi que le doyen des juges d’instruction du Tribunal de grande instance de Ziniaré, et un substitut du procureur de Bobo-Dioulasso, ont été réquisitionnés pour la période du 14 août au 13 novembre 2024.
« L’envoi au front des magistrat·es, agent·es chargé·es de l’application de la loi, en représailles à des décisions de justice défavorables à des personnes proches du régime est inadmissible. Les autorités du Burkina Faso confirment une tendance inquiétante : celle de l’entrave aux libertés fondamentales maintes fois condamnée par les Nations unies, la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) et nos organisations de défense des droits humains », a déclaré Alice Mogwe, Présidente de la FIDH. « L’État burkinabè viole à la fois sa propre Constitution et ses obligations découlant de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples ainsi que l’ensemble des instruments et conventions internationaux auxquels il a souscrit, notamment ceux protégeant les défenseur·es des droits humains ».
La fin de la liberté de la presse
Les autorités du Burkina Faso ont progressivement restreint le droit à l’information et à la liberté de la presse. Les médias locaux sont contrôlés et de grands médias internationaux interdits. Les journalistes sont contraint·es d’adopter un « traitement patriotique » de l’information, c’est-à-dire favorable au pouvoir. Ils et elles font l’objet d’attaques et de menaces permanentes. L’autocensure se généralise. M. Atiana Serge Oulon, journaliste d’investigation et directeur de publication du bimensuel de référence l’Événement, a été enlevé à son domicile par l’Agence nationale du renseignement (ANR), le 24 juin 2024. Depuis, sa famille n’a aucune nouvelle. Son journal avait été suspendu le 20 juin pour un mois. Les 19 et 28 juin 2024, Kalifara Séré et Adama Bayala, respectivement commentateur et chroniqueur sur BF1, ont été enlevés après la suspension de l’émission « 7 Infos » de la télévision privée BF1. La CADHP avait exprimé « sa vive préoccupation face à cette situation constitutive d’une menace grave contre l’intégrité physique et morale des journalistes et de nature à les soustraire à la protection de la loi et à porter atteinte à leur liberté d’expression et d’opinion ».
Les proches d’opposant·es en exil ciblé·es
Depuis quelques semaines, des membres des familles d’anciens dignitaires sont harcelé·es, subissent des violences et des enlèvements. Entre les 11 et 16 septembre 2024, au moins deux membres de la famille de Djibril Bassolé, ancien ministre des Affaires étrangères sous Blaise Compaoré, ont été violenté·es et enlevé·es à Ouagadougou. Ces enlèvements sont provoqués directement par des incitations à la violence des activistes proches du régime.
« Nous appelons l’Union africaine et les Nations unies à coordonner leurs efforts pour exhorter les autorités du Burkina Faso à mettre fin à ce climat de violence, à libérer les personnes enlevées et à respecter leur intégrité physique et morale », a déclaré le Professeur Mabassa Fall, représentant de la FIDH auprès de l’Union africaine.