Afrique du Sud : exécutions et crainte d’un accroissement de la répression contre le mouvement Abahlali baseMjondolo

21 mars 2021. Plusieurs organisations parmi lesquelles la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) condamnent fermement les récents assassinats des défenseurs des droits humains en Afrique du Sud, survenus en l’espace de trois jours. Il s’agit de Ayanda Ngila dans le quartier d’eKhenana et de Siyabonga Manqele dans le quartier d’eNkanini à CatoManor, Durban. Tous deux étaient membres du mouvement Abahlali baseMjondolo, qui promeut les droits des personnes habitants dans les bidonvilles et quartiers informels en Afrique du Sud.

Ayanda Ngila a été tué de sept balles en plein jour le 8 mars 2022 par quatre hommes qui auraient des liens avec le parti de l’African National Congress (ANC) à Durban, alors qu’il réparait le système d’irrigation du jardin public du quartier d’eKhenana.

Siyabonga Manqele a été tué par balles le 11 mars 2022 vers 23h, lors d’une intervention policière masquée dans le quartier proche d’eNkanini, à Durban. Des témoins affirment que la police démolissait les portes à coups de pied, à la recherche d’armes à feu non-enregistrées prétendument utilisées lors d’un meurtre en janvier 2022. Ne trouvant pas d’armes à feu, la police a arrêté et brutalisé des membres de la communauté. Siyabonga Manqele a été atteint alors qu’il se précipitait sans arme au secours de sa femme, agressée par la police. Par la suite, la police a fait usage de grenades paralysantes et de gaz lacrymogènes pour disperser la communauté. Quatre de ses membres, dont l’épouse de Siyabonga Manqele, Thandeka Sithunsa, ont été emmenés au poste de police. Selon Abahlalibase Mjondolo, les membres de la communauté arrêtés restent en détention car inculpés de meurtre. Ils comparaîtront en vue d’une libération sous caution le 22 mars 2022.

Ayanda Ngila était vice-président du quartier d’eKhenana du mouvement Abahlali baseMjondolo. SiyabongaManqele était défenseur des droits humains et membre d’Abahlali baseMjondolo dans le quartier d’eNkanini. Leurs exécutions ne sont pas des actes isolés mais doivent être replacées dans le contexte d’attaques perpétrées actuellement contre le mouvement baseMjondolo.

Contexte : la répression à l’encontre du mouvement AbahlalibaseMjondolo

La répression à l’encontre du mouvement Abahlali baseMjondolo s’exerce dans le contexte de la lutte pour les droits au logement, à la terre et aux services publics essentiels. Face à l’incapacité du gouvernement à offrir des logements et des services sociaux de première nécessité, les populations les plus marginalisées et les plus pauvres occupent des terres inutilisées dans toute l’Afrique du Sud. Les communautés s’organisent pour trouver des moyens de subsistance pour elles-mêmes et leurs familles et déploient des actions de plaidoyer auprès des autorités locales afin d’avoir accès aux services de première nécessité, notamment au réseau d’assainissement et à l’eau courante. Ces occupations font souvent l’objet d’expulsions, réprimées dans la violence par les représentants de l’État et des entreprises qui cherchent à construire des logements à des fins lucratives à la place des quartiers informels.

Dans ce contexte, le 6 mars 2022, des personnes censées être membres de l’ANC ont attaqué des membres du mouvement Abahlali baseMjondolo à l’issue de leur Assemblée générale qui s’est tenue dans le quartier informel d’eKhenana. L’entrée du quartier a été vandalisée et deux membres d’Abahlali ont été blessés à coups de hache et ont dû être hospitalisés. Les autorités n’ont pas ouvert d’enquête sur ces agressions.

En outre, tout au long de l’année 2021, le quartier informel d’eKhenana a subi plusieurs tentatives d’expulsion forcée accompagnées de violence et ses dirigeants ont fait l’objet d’attaques permanentes. Le 26 octobre 2021, deux dirigeants ont vu leurs maisons entièrement disparaître dans un incendie et au cours de la seule année 2021, onze dirigeants ont été arrêtés sur des accusations mensongères. La plupart ont été depuis totalement disculpés tandis que d’autres continuent à subir un harcèlement judiciaire. Ayanda Ngila a été arrêté à deux reprises en 2021 et a passé six mois en détention préventive à la suite de fausses accusations de meurtre, abandonnées par la suite faute de preuve crédible.

Depuis la fondation du mouvement Abahlali baseMjondolo en 2005, ses membres ont été victimes de graves menaces de la part d’acteurs du secteur public et du secteur privé, de criminalisation, de torture et mauvais traitements lors de gardes à vue, de campagnes de diffamation et de meurtres. 18 dirigeants et partisans du mouvement ont été tués entre 2005 et 2021. Ces actes bénéficient d’une impunité constante. Au cours des années, plusieurs des dirigeants du mouvement, y compris le cofondateur et président, Sibusiso (S’bu) Innocent Zikode, ont été obligés de se cacher afin de rester en vie et de se protéger physiquement après avoir reçu des menaces de mort.

Nous demandons la fin immédiate de la répression et des attaques contre Abahlali baseMjondolo et ses quartiers informels.

Nous demandons instamment aux autorités d’Afrique du Sud de :

 mener des enquêtes rapides, approfondies, indépendantes et impartiales sur l’assassinat d’Ayanda Ngila et de Siyabonga Manqele ainsi que sur toutes les accusations d’agressions, de menaces et d’autres actes de harcèlement à l’encontre de dirigeants et de membres du mouvement Abahlali baseMjondolo comme de résidents de la Commune d’eKhanana, afin d’identifier tous les responsables, de les traduire devant un tribunal indépendant et de les sanctionner conformément à la loi ;
 mettre un terme immédiat aux attaques et actes de harcèlement contre les membres d’Abahlali baseMjondolo et tous les défenseur.e.s des droits humains en Afrique du Sud et de créer un climat favorable leur permettant de mener leurs activités sans entraves ;
 garantir la protection physique et psychologique de tou.te.s les défenseur.e.s des droits humains en Afrique du Sud, notamment celle des défenseur.e.s des droits à la terre et au logement ;
 mettre un terme immédiat aux expulsions forcées et illégales en Afrique du Sud ;
 conformément au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (Pidesc), de prendre des mesures ambitieuses, en utilisant au maximum les ressources disponibles, afin de fournir des logements décents et l’accès aux services de première nécessité à tous les sud-africain.e.s, y compris les résident.e.s des lotissements sauvages et des terres occupées.

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