Intervention sur la situation des droits des femmes en Afrique auprès de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples

30/11/2010
Communiqué

Banjul, Gambie, novembre 2010 - Il y a maintenant trois ans, plusieurs organisations se sont réunies en marge de la session de la CADHP qui s’est tenue à Brazzaville et ont décidé de lancer la campagne “l’Afrique pour les droits des femmes : ratifier et respecter !”. Menée aujourd’hui par une centaine d’organisations présentes sur tout le continent, cette initiative a pour objectif de mettre un terme aux discriminations et aux violences à l’égard des femmes en Afrique. Elle appelle les États à ratifier les instruments internationaux et régionaux de protection des droits des femmes, à abroger toutes les lois discriminatoires, à adopter des lois de protection des droits des femmes et à prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer leur mise en œuvre effective.

Si certaines avancées ont été notées depuis le lancement de notre campagne, elle sont encore bien timides. De fait, seuls trois États du continent, le Cap-Vert, l’Afrique du Sud et depuis récemment le Bénin, peuvent se prévaloir d’une législation entérinant une véritable égalité entre les sexes. Ainsi, outre les atteintes intolérables à leur intégrité physique – mutilations génitales, violences conjugales et viols utilisés comme arme de guerre –, les inégalités devant la loi (concernant le mariage, l’héritage, la garde des enfants etc.), sont encore le lot quotidien de millions de femmes et de jeunes filles africaines. Le constat ne change pas, il reste tout aussi alarmant et intolérable. Il appelle à l’action.

En ce sens, si la campagne salue l’initiative de l’Union africaine qui a lancé en octobre dernier la « Décennie de la Femme africaine », nous soulignons que la réussite d’une telle initiative ne se mesurera qu’à l’aune de résultats tangibles. Cette initiative n’aura véritablement de portée que si elle traduit en actes les recommandations issues de nombreuses conférences régionales et mondiales, de Dakar à Beijing, depuis plus de 15 ans. Aujourd’hui, nous attendons des actions concrètes de la part des gouvernements.

Dans une semaine – le 25 novembre - nous marquerons le 5ème anniversaire de l’entrée en vigueur d’un instrument fondamental pour le respect du droits des femmes africaines : le Protocole à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples relatif aux droits des femmes en Afrique, adopté à Maputo. Il est désolant que ce texte, indispensable pour faire valoir les droits des femmes, ne soit aujourd’hui ratifié que par 28 des 53 états membres de l’Union africaine. Près de la moitié des États font preuve ainsi d’une absence de volonté de renforcer la protection des droits des femmes. Nous appelons tous ces États à ratifier le Protocole dans les plus brefs délais.

Si la ratification des instruments internationaux et régionaux est un pas fondamental, les Etats doivent modifier leur législations nationales en conformité. La campagne « l’Afrique pour les droits des femmes » met en évidence les réformes législatives qui sont attendues. Ces réformes visent l’accès à la justice, à l’éducation, aux soins, à l’emploi, à la terre, au crédit, à la participation des femmes dans les sphères publiques et politiques. Elles doivent mettre fin à toutes les formes de discriminations et de violences à l’égard des femmes. Elles doivent faire de la poursuite et de la condamnation des auteurs de violences sexuelles une priorité. Enfin, elles doivent protéger les droits des femmes en période de conflit, comme l’exige la Résolution 1325 de l’ONU sur les femmes, la paix et la sécurité, dont nous fêtons le 10ème anniversaire cette année. Ces réformes sont indispensables et urgentes.

D’autant plus urgentes que l’on risque d’assister à de vrais reculs. Le cas malien ne nous incite pas à l’optimisme. Le projet du Code de la famille doit être présenté pour la deuxième fois devant le parlement malien, mais il semblerait que les modifications qui ont été apportées au texte compromettent fortement l’espoir de progrès vers le respect des droits des femmes maliennes. Cette situation extrêmement préoccupante appelle à un investissement particulier de notre Coalition.

En effet, en réponse aux réactions des forces les plus conservatrices du pays qui avaient manifesté contre l’adoption du texte en août 2009, des amendements auraient été incorporés au projet qui iraient à l’encontre du principe même d’égalité des sexes et maintiendrait des discriminations à l’égard des femmes. Nos organisations soulignent qu’en adoptant le texte ainsi amendé, le Mali violerait le droit international et le respect des droits humains des femmes les plus fondamentaux.

Enfin, nos organisations déplorent fortement que les acteurs de la société civile aient été mis à l’écart du processus de réexamen du texte. Les principales organisations de défense des droits humains et des droits des femmes n’ont ni été consultées, ni même été informées du contenu des révisions proposées.

En République démocratique du Congo (RDC), les pires formes de violences à l’égard des femmes persistent. Les cas de viols et d’autres crimes de violences sexuelles (y compris de la part de membres des FARDC et de la police nationale) continuent d’être quotidiennement rapportés. Les récents évènements dans la région de Walikale dans le Nord Kivu, où des groupes armés ont terrorisé la population pendant quatre jours d’affilée, violant plus de 300 personnes, rappellent ce terrible état de fait.

L’impunité des auteurs demeure quasi généralisée. Par ailleurs, de nombreux obstacles entravent la capacité ou la volonté des femmes à porter plainte : procédures judiciaires longues et coûteuses, crainte de la stigmatisation et des actes de représailles. Le manque de formation des personnels de police et judiciaires entravent également l’accès des femmes à la justice.

La campagne réitère son appel adressé au gouvernement congolais à prendre les mesures nécessaires à la mise en œuvre effective des lois de 2006 sur les violences sexuelles, à mettre fin à l’impunité des auteurs de ces crimes, y compris en coopérant pleinement avec la Cour pénale internationale.

De graves violations des droits des femmes dans 31 pays du continent sont documentées au sein du « Cahier d’exigences » de la campagne. Fruit des enquêtes menées par les organisations nationales dans leurs pays respectifs, le Cahier d’exigences présente des revendications clés pour éliminer les discriminations et les violences à leur égard. Ces “exigences” s’adressent aux autorités gouvernementales de chaque pays, car renforcer le respect des droits humains des femmes est avant tout une question de volonté politique.

La Coalition de la campagne continuera à porter l’ensemble des recommandations identifiées dans son Cahier d’exigences auprès des autorités compétentes aux niveaux national, régional et international, en leur appelant à démontrer la volonté politique nécessaire pour assurer le respect des droits des femmes. Aujourd’hui - sans plus attendre – nous lançons un appel aux actions concrètes visant l’égalité entre les sexes et le respect intégral des droits humains des femmes.

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