Bruxelles, 4 avril 2025. L’Union européenne (UE) se doit de défendre la Cour pénale internationale (CPI) face aux graves attaques dont son mandat et sa mission font l’objet, ont déclaré aujourd’hui 58 organisations non gouvernementales. Ces attaques pourraient entraver la justice pour les victimes de graves crimes internationaux dans le monde entier, rendant d’autant plus urgente une réaction de l’UE pour préserver l’ordre international fondé sur des règles.
La CPI est la pierre angulaire d’un système plus large visant à établir la responsabilité des auteur·rices de crimes les plus graves, agissant comme une cour de la dernière chance lorsque d’autres voies de justice sont bloquées. La récente arrestation et le transfert de l’ancien président philippin Rodrigo Duterte, qui doit répondre de crimes contre l’humanité devant la CPI, réaffirment la pertinence de la Cour et soulignent son importance pour garantir l’obligation de chacun de rendre des comptes pour les crimes les plus graves.
L’UE et ses États membres ont longtemps été de fervents défenseurs de la CPI et ont pris des engagements juridiquement contraignants pour promouvoir l’universalité et l’intégrité du Statut de Rome, traité fondateur de la Cour. L’UE s’est engagée à soutenir l’indépendance de la CPI, la coopération avec celle-ci et la mise en œuvre du principe de complémentarité. Celui-ci garantit que la CPI n’intervient que lorsque les autorités nationales ne mènent pas de réelles enquêtes et n’engagent pas de réelles poursuites envers les auteur·rices de crimes internationaux comme elles le devraient. Ce soutien indéfectible a toujours été essentiel au bon fonctionnement de la CPI, depuis sa création il y a plus de 20 ans.
Le 6 février 2025, le président des États-Unis Donald Trump a publié un décret autorisant le gel des avoirs et l’interdiction d’entrée sur le territoire des fonctionnaires de la CPI et d’autres personnes qui soutiennent le travail de la Cour. Les sanctions américaines visant la CPI constituent un affront aux victimes et à leurs familles. En temps normal, les sanctions ne sont jamais destinées aux procureur·es, aux juges et aux autres personnes chargé·es de rendre une justice indépendante et impartiale dans le cas de crimes internationaux de grande ampleur.
Le procureur de la CPI, Karim Khan, est visé par des sanctions imposées par les États-Unis en vertu de l’ordonnance du 6 février. Ces derniers pourraient procéder à d’autres désignations dans le but de saper les enquêtes de la CPI auxquelles ils s’opposent. Les sanctions financières américaines entraînent de graves répercussions qui vont bien au-delà des personnes visées, et qui pourraient empêcher la Cour d’avoir accès aux services essentiels nécessaires à l’accomplissement de son mandat. Le décret semble avoir pour objet d’intimider les fonctionnaires et le personnel de la Cour qui participent aux enquêtes cruciales de celle-ci, mais aussi de dissuader la coopération au sens large entre la CPI et, notamment, les organisations de la société civile qui soutiennent les victimes.
Alors que la plupart des États membres de l’UE ont condamné les sanctions des États-Unis dans des communiqués nationaux et conjoints, celle-ci n’a pas officiellement exprimé son opposition en son nom ; un contraste flagrant comparé aux positions claires qu’elle avait adoptées à la suite de l’imposition de sanctions similaires par la première administration Trump en 2020. L’expression d’un soutien au mandat de la CPI serait bienvenue, mais l’UE devrait également dénoncer clairement les sanctions des États-Unis contre la Cour, avertir qu’elles ne resteront pas sans réponse et appeler les États-Unis à abroger le décret.
Par ailleurs, l’UE devrait, sans plus tarder, recourir à la loi de blocage (ou Blocking Statute) pour contrer les sanctions américaines. Cet instrument vise à protéger les opérateur·rices européen·nes des effets des sanctions extraterritoriales et contribuerait à garantir que le travail de la Cour ne soit pas affecté. La Commission européenne, le Service européen pour l’action extérieure et les États membres de l’UE devraient également élaborer d’autres mesures pour atténuer l’impact de ces sanctions sur la CPI. La Cour, le Parlement européen, un certain nombre d’États membres de l’UE et la société civile ont déjà demandé instamment à la Commission européenne d’activer la loi de blocage.
Ce ne sont là que quelques-unes des nombreuses menaces qui pèsent sur la CPI, ainsi que sur les défenseur·es des droits humains qui plaident pour la justice devant la Cour. Les fonctionnaires de la CPI font l’objet de mandats d’arrêt émis par la Fédération de Russie en représailles à la décision de la Cour d’émettre un mandat d’arrêt à l’encontre du président Vladimir Poutine pour des crimes de guerre présumés commis en Ukraine. Entre-temps, la Russie a déjà promulgué une législation criminalisant la coopération avec la Cour, qui est en cours d’examen par les autorités israéliennes. En outre, la Cour doit encore faire face aux conséquences d’une cyberattaque sophistiquée ayant eu lieu en 2023, et selon certaines allégations, Israël aurait mené pendant neuf ans une campagne d’espionnage visant la CPI.
Les organisations ont également souligné que si les États membres de l’UE veulent surmonter ces menaces pour la justice, ils doivent montrer qu’ils sont déterminés à respecter leurs propres obligations en vertu du Statut de Rome. En septembre, l’UE a condamné à juste titre le manquement de la Mongolie à son obligation d’arrêter M. Poutine en tant que pays membre de la CPI.
Le 2 avril dernier, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a entamé une visite en Hongrie à l’invitation du Premier ministre hongrois. Le lendemain, le gouvernement hongrois annonçait qu’il souhaitait enclencher le processus législatif visant à retirer son pays de la CPI. Le 4 avril, la Hongrie n’avait toujours pas arrêté ni remis M. Netanyahu à la CPI, au mépris d’un mandat d’arrêt de la Cour à l’encontre du dirigeant israélien pour des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité présumés commis à Gaza, et de ses obligations envers la Cour.
Malheureusement, des représentant·es des gouvernements de plusieurs autres États membres de l’UE, dont la France, la Pologne, l’Italie, la Roumanie et l’Allemagne, ont récemment déclaré explicitement qu’ils ne respecteraient pas leurs obligations ou ne se sont pas engagés à exécuter le mandat de la Cour. L’Italie a également reconduit en Libye un inculpé en fuite de la CPI, faisant apparemment fi de son obligation de l’arrêter et de le lui remettre.
Sans coopération et sans arrestations, il ne peut y avoir de justice devant la CPI. Les signaux ambivalents, voire négatifs, concernant la validité des décisions de la Cour portent atteinte à la législation, aux pratiques et à l’engagement de l’UE en faveur de la justice internationale. Par ailleurs, ils illustrent une sélectivité regrettable, renvoyant le message que l’état de droit est valable pour certains individus, mais pas pour tous.
Les organisations ont appelé les acteur·rices européen·nes à prendre des mesures décisives pour réaffirmer leur engagement en faveur de l’état de droit international et de sa protection, selon les modalités suivantes :
– Les dirigeant·es de l’UE, notamment la présidente de la Commission, Mme von der Leyen, la haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Mme Kallas, et le président du Conseil, M. Costa, devraient exhorter les gouvernements européens à respecter la position de l’UE sur la CPI, notamment en ce qui concerne la coopération, l’universalité du Statut de Rome et la sauvegarde de l’indépendance de la Cour, et à remplir leur obligation de protéger, de faire respecter et d’appliquer les décisions de la Cour.
– L’UE, notamment par l’intermédiaire de la haute représentante, Mme Kallas, ainsi que le Conseil de l’UE, devraient condamner publiquement les sanctions imposées par les États-Unis à la CPI, réaffirmer leur soutien indéfectible à la Cour et à son indépendance et demander instamment aux États-Unis d’annuler le décret autorisant ces sanctions.
– La Commission européenne devrait également utiliser rapidement la loi de blocage de l’UE en y ajoutant le décret américain autorisant les sanctions liées à la CPI. Elle devrait également adopter toute mesure supplémentaire visant à protéger la Cour et à contrer l’effet dissuasif que pourrait avoir les sanctions sur les acteur·rices qui coopèrent avec la Cour.
– Les États membres de l’UE devraient affirmer sans équivoque qu’ils appliqueront toutes leurs obligations légales devant la Cour en vertu du Statut de Rome, y compris l’exécution de tous les mandats d’arrêt de la CPI, en toutes circonstances. Les dirigeant·es de l’UE ne doivent pas ménager leurs efforts pour rappeler aux États membres leur obligation légale de coopérer avec la CPI, et d’agir pour prévenir et répondre à tout cas de non-coopération.