Une Charte des droits fondamentaux pour l’Union européenne : un réel progrès ?

Rapport de position

Le Conseil européen de Cologne des 3 et 4 juin 1999 a
affirmé son intention d’« établir une charte des droits
fondamentaux afin d’ancrer leur importance
exceptionnelle et leur portée de manière visible pour les
citoyens de l’Union ». Le Conseil extraordinaire de
Tampere des 15 et 16 octobre 1999 a mis sur pied
l’enceinte pour l’élaboration du projet de charte des
droits fondamentaux de l’Union européenne, définissant
sa composition, sa méthode de travail et ses modalités
pratiques de fonctionnement (voir Annexe). Jusqu’à
présent, les discussions ont essentiellement porté sur
des questions de procédure. Le temps est à présent
venu de réfléchir aux enjeux d’une telle charte, dont la
portée ne saurait demeurer symbolique.

En effet, la FIDH considère que la seule justification
possible à l’adoption d’une Charte européenne, alors
que tous les Etats membres sont déjà parties à la
Convention européenne des droits de l’Homme, réside
dans l’adoption d’une Charte qui soit davantage
protectrice que la Convention européenne elle-même.
La FIDH demande, depuis plusieurs années, que la
Communauté européenne adhère à la Convention
européenne des droits de l’Homme, ainsi qu’à la Charte
sociale européenne et à son Protocole additionnel
prévoyant un système de réclamations collectives
(1995). Lorsque tous les Etats membres de l’UE auront
ratifié la Charte sociale européenne révisée, la
Communauté devrait à son tour ratifier cette dernière.
La FIDH maintient sa position à cet égard, et considère
que le débat sur l’adoption d’une nouvelle Charte des
droits fondamentaux de l’UE ne doit en aucune façon
reléguer cette question au second plan.

Par ailleurs, la FIDH se réserve de préciser sa position
concernant l’adoption d’une nouvelle Charte en fonction
du projet dont elle aura pu prendre connaissance. Si le
nouvel instrument n’aboutit pas à un renforcement de la
protection des droits de l’Homme qui prévaut
actuellement, la FIDH n’hésitera pas à prendre position
contre l’adoption d’un tel instrument. C’est le degré de
protection effectif, réel, qui guidera le choix de notre
organisation.

Il serait souhaitable qu’à l’occasion de l’adoption de la
Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,
la Communauté européenne se voie investie de la
compétence d’adhérer aux instruments internationaux
de protection des droits de l’Homme qui présentent un
rapport avec les compétences déjà attribuées à la
Communauté. A défaut, les Etats membres de l’Union
européenne pourraient être accusés d’avoir surtout
adopté ladite Charte afin de protéger l’ordre juridique
communautaire contre toute tentation de la part de la
Cour européenne des droits de l’Homme d’effectuer un
contrôle plus poussé de la garantie qu’y reçoivent les
droits fondamentaux. Il n’est pas indifférent à cet égard
que le Conseil de Cologne à l’occasion duquel l’idée de
la Charte des droits fondamentaux de l’Union
européenne a été lancée à l’initiative de la présidence
allemande, ait pris place quatre mois après l’arrêt
Matthews c. Royaume-Uni de la Cour européenne des
droits de l’Homme, dans lequel celle-ci affirme en
termes nets que « La Convention n’exclut pas le
transfert de compétences à des organisations
internationales, pourvu que les droits garantis par la
Convention continuent d’être ‘reconnus’. Pareil transfert
ne fait donc pas disparaître la responsabilité des Etats
membres » (para. 32 de l’arrêt).

Il serait regrettable que l’initiative de l’élaboration d’une
Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne
ait pour objectif - et, sinon pour objectif, pour
conséquence - de placer le droit communautaire, autant
que possible, à l’abri d’un contrôle de la Cour
européenne des droits de l’Homme, et ainsi, de
permettre aux Etats membres de l’Union d’échapper à
la « responsabilité conjointe » qui est la leur, vis-à-vis de
la Convention européenne des droits de l’Homme, dans
l’élaboration du droit communautaire. L’adoption de la
Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne
pourrait en effet avoir un tel effet, compte tenu de ce
que la jurisprudence récente de la Cour européenne des
droits de l’Homme, telle qu’elle résulte de l’arrêt
Matthews précité, n’a pas formellement rejeté le
raisonnement qui était à la base de la jurisprudence
antérieure de la Commission européenne des droits de
l’Homme. Cette jurisprudence considérait en effet que
"le transfert de pouvoirs à une organisation
internationale n’est pas incompatible avec la
Convention, à condition que, dans cette organisation,
les droits fondamentaux reçoivent une protection
équivalente" (Cf. DH, déc. Meelchers et Co. c. RFA, du
9 février 1990, req. n°13258/87). Compte tenu de
cette jurisprudence, l’adoption d’une Charte des droits
fondamentaux au sein de l’Union européenne, dont le
respect serait susceptible de contrôle juridictionnel de
la part de la Cour de justice des Communauté
européenne (CJCE), pourrait être de nature à encourager
une contrôle moins exigeant de la part de la Cour
européenne des droits de l’Homme sur les actes de
droit communautaire, ou sur les actes étatiques qui
s’inscrivent dans le champ d’application du droit
communautaire.

La FIDH considère que l’adoption d’une nouvelle Charte
des droits fondamentaux de l’UE génère au moins cinq
enjeux, lesquels sont interdépendants et devront être
examinés attentivement dans le cadre de l’enceinte
chargée de l’élaboration de la Charte.

Le présent rapport de position part du postulat que la
Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ne se présentera pas sous la forme d’une Déclaration
solennelle des institutions communautaires
(Commission, Conseil et Parlement européens), mais
sous la forme d’un chapitre additionnel au traité sur
l’Union européenne ou au traité CE.

Si la Charte ne devait faire l’objet que d’une Déclaration
solennelle, sa valeur ajoutée par rapport à la protection
déjà reconnue aux droits fondamentaux dans l’Union
européenne serait faible ou nulle. L’initiative pourrait
dans ce cas être suspectée de ne répondre qu’à des
préoccupations démagogiques : gagner l’adhésion des
citoyens au projet européen parfois en manque de
légitimité. Les personnes vivant sur le territoire de l’UE
seraient très surprises si elles ne pouvaient pas se
prévaloir des droits inscrits dans la nouvelle Charte. A
terme, une telle opération porterait atteinte à la
crédibilité du projet européen.

Il convient cependant de préciser que la note est
élaborée à un moment où la forme que revêtira la
Charte n’a pas encore été tranchée.

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