Contribution à la 47ème session ordinaire de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples

47ème session ordinaire

Banjul, République de Gambie

Mai 2010

Contribution de

La Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH)

et de

L’Organisation mondiale contre la torture (OMCT)

Dans le cadre de leur programme conjoint,

L’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme

Sous le point de l’ordre du jour :
“Situation des défenseurs des droits de l’Homme”

La Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), dans le cadre de leur programme conjoint, l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, expriment leur vive préoccupation eu égard à la situation des défenseurs des droits de l’Homme qui continuent de mener leurs activités sur le continent africain dans un contexte hostile et risqué.

En Afrique, les femmes et les hommes qui sont en première ligne pour défendre les droits de tous sont dans certains cas mieux protégés aujourd’hui que lors de l’adoption de la Déclaration des Nations unies sur les défenseurs, ils sont aussi plus menacés en raison des avancées qu’ils ont obtenues : avec l’aide de programmes spécifiques, tels que l’Observatoire qui les accompagne depuis plus de 12 ans, les défenseurs ont pu faire entendre leurs voix au sein de forums, d’institutions internationales et régionales, et bien sûr dans leurs propres pays ; ils se sont aussi emparés de nouveaux sujets, notamment des droits économiques, sociaux et culturels, le droit des femmes et la lutte contre la corruption. Sur le continent africain, leurs victoires ont permis des avancées considérables pour faire reconnaître le rôle central que les droits de l’Homme doivent jouer dans l’exercice du pouvoir et la résolution des conflits. Ainsi, certains pays ont amorcé des transitions politiques plus respectueuses de leurs concitoyens qui défendent les droits de l’Homme dans leurs pays. La Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples (CADHP) a largement contribué à cette évolution, notamment en adoptant plusieurs résolutions en faveur de la promotion et de la protection des défenseurs des droits de l’Homme en Afrique, en faisant de ce sujet une préoccupation constante de ses travaux et de son ordre du jour.

Cependant, les défis restent immenses pour promouvoir et protéger les défenseurs des droits de l’Homme, et force est de constater que ces derniers font encore l’objet de graves persécutions dans de nombreux pays.

Ces derniers mois, les contextes de crispation de pouvoirs autoritaires cherchant à se maintenir en place, les échéances électorales et crises politiques ou encore les situations de conflit ou post-conflit ont constitué quelques unes des situations où les défenseurs sont restés le plus menacés en raison de leur action en faveur d’un meilleur respect des droits de l’Homme et de leur lutte contre l’impunité persistante. A nouveau, de trop nombreux Gouvernements ont porté atteinte aux libertés de rassemblement pacifique et d’association, et de nombreux défenseurs ont été la cible d’actes de répression particulièrement graves et répétés, en particulier d’arrestations et de détentions arbitraires, de campagnes de diffamation, de menaces, de poursuites judiciaires, et de violences directes. Les défenseurs des droits économiques et sociaux restent par ailleurs dans de nombreux pays en première ligne de la répression, particulièrement lorsqu’ils tentent de faire la lumière sur des cas de corruption.

Répression des défenseurs dans le contexte d’échéances électorales, de crises politiques ou institutionnelles

Les échéances électorales sont souvent des périodes de tension et de crispation propices à l’éclatement de crises politiques ou institutionnelles. La dénonciation de fraudes électorales, d’un contexte hostile à la tenue d’élections libres et non faussées ou de l’illégalité de modifications constitutionnelles peut parfois mettre à mal les stratégies mises au point par des autorités cherchant coûte que coûte à se maintenir au pouvoir. Dans de telles situations, les défenseurs des droits de l’Homme locaux se trouvent souvent en première ligne.

En Guinée, fin septembre 2009, les soldats de la garde présidentielle ont violemment réprimé la manifestation pacifique d’opposition à la candidature du président de facto M. Moussa Dadis Camara aux élections présidentielles, prévues pour 2010. Les soldats ont ouvert le feu à l’arme automatique sur les manifestants réunis dans le stade dit du 28 septembre, tué nombre d’entre eux à l’arme blanche, violé et mutilé des dizaines de femmes. Le bilan fait état de plus de 150 morts et 1 250 blessés. C’est dans ce contexte que, le 28 octobre 2009, des membres de la Fédération des associations de la jeunesse guinéenne (FAJEG) et de la Coordination des organisations de défense des droits humains (CODDH)[1] ont entamé une grève de la faim pour protester contre les violences et les exactions perpétrées depuis le 28 septembre 2009 et inviter les autorités et les autres acteurs politiques guinéens à trouver - par le dialogue - une sortie de crise. Ils ont alors été arrêtés par des militaires dirigés par le Ministre chargé de la lutte contre le trafic de drogue et le banditisme (le commandant Moussa Tiégboro Camara), puis détenus arbitrairement dans les locaux du ministère puis au camp militaire “Yaya Alpha Diallo” jusqu’au lendemain. Le 26 novembre 2009, M. Mouktar Diallo, secrétaire général de l’Observatoire national des droits de l’Homme, a été arrêté par des agents du ministère chargé de la lutte contre le trafic de drogue et le grand banditisme pour “atteinte à la sécurité de l’Etat”. Il n’a été libéré que le 5 février 2010, dans le contexte de la remise en liberté de plusieurs personnes détenues, notamment des militaires, suite à la prise de fonction du Gouvernement de transition.

Au Kenya, le 22 avril 2010, M. Kenneth Kirimi Mbae, membre de l’organisation “Libérer les prisonniers politiques” (Release Political Prisoners - RPP), une organisation qui défend les droits de l’Homme, également membre actif de la Bunge Mwananchi, un mouvement populaire qui vise à lutter contre l’injustice sociale et de promouvoir un leadership responsable à tous les niveaux au Kenya, a été arrêté à Nairobi à proximité du siège de l’Unité des services généraux (GSU), par quatre personnes en civil. Deux autres individus ont été arrêtés en même temps et libérés peu après. M. Kirimi Mbae a été détenu au secret jusqu’au 25 avril. Au cours de sa détention, M. Kirimi Mbae aurait été interrogé sur son rôle dans le RPP et dans la Bunge Mwananchi, ainsi que sur le travail effectué par M. Stephen Musau, coordonnateur exécutif du RPP, et sur les activités générales de l’organisation, notamment en ce qui concerne l’opération militaire du Mont Elgon ainsi que sur les exécutions extrajudiciaires et leur échange avec le professeur Philip Alston, Rapporteur spécial des Nations Unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires.

Au Niger, au cours du mois d’août 2009, plusieurs manifestations organisées pour dénoncer la réforme de la Constitution ont été violemment réprimées par les forces de l’ordre et ont conduit à de nombreuses arrestations. Depuis la promulgation de la nouvelle Constitution le 18 août, qui a consacré notamment le caractère illimité des mandats présidentiels, les entraves aux libertés d’expression, de réunion et d’association se sont multipliées. Dans ce contexte de concentration des pouvoirs aux mains de l’exécutif et de répression de toute voix dissidente, les défenseurs et journalistes ont fait l’objet d’arrestations arbitraires et de poursuites judiciaires. En juin 2009, M. Marou Amadou, président du Front uni pour la sauvegarde des acquis démocratiques (FUSAD)[2], avait tenu des propos diffusés sur la chaîne de télévision Dounia, invitant l’armée à respecter la Constitution. Il a par la suite été arrêté à Niamey et accusé de “provocation à la désobéissance des forces de défense et de sécurité”, de “complot contre l’autorité de l’Etat” et d’“entreprise de démoralisation de l’armée”. M. Amadou a été libéré le 2 juillet tout en restant poursuivi. Il a ensuite été ré-arrêté par la police judiciaire pour “atteinte à la sûreté de l’Etat”, après avoir dénoncé publiquement la corruption régnant au sein du régime du Président Mamadou Tandja et l’illégalité du référendum du 4 août, puis inculpé pour “création et /ou administration d’une union d’association non déclarée”. Il a finalement été condamné à trois mois de prison avec sursis pour “propagandes régionalistes” le 25 janvier 2010 par la Cour d’appel de Niamey.

En outre, au Soudan, le 6 décembre 2009, MM. Muhnad Umar et Hazim Khalifa, deux étudiants défenseurs des droits de l’Homme, ont été approchés par les forces de police alors qu’ils distribuaient des prospectus relatifs à une campagne appelant à des élections libres au Soudan. Les étudiants ont été pourchassés par les forces de police qui tiraient dans l’air pour les forcer à s’arrêter. M. Khalifa a été frappé avec la crosse d’un fusil par les agents de la sécurité et a perdu connaissance. Par la suite, M. Khalifa et M. Umar ont été conduits au bureau des Services de sécurité et de renseignements nationaux (National Security and Intelligence Service - NISS), puis libérés sans charges le soir même.

En Tunisie, la situation demeure critique. La répression à l’encontre des défenseurs des droits de l’Homme s’est même accrue dans le contexte des élections présidentielles et législatives tunisiennes du 25 octobre 2009, qui s’est caractérisé par une répression accrue des voix dissidentes, la multiplication des mesures vexatoires, des arrestations et détentions arbitraires, le Président Ben Ali ayant promis publiquement de prendre des “mesures” contre quiconque remettrait en cause l‘intégrité du scrutin. Plusieurs défenseurs ont ainsi fait l’objet d’agressions ciblées visant de toute évidence à sanctionner leurs prises de positions dans le cadre des élections. Les journalistes MM. Taoufik Ben Brik et Zouhair Makhlouf ont été soumis à des procédures judiciaires iniques en raison de leur mobilisation visant à dénoncer les pratiques et actes contraires aux normes internationales qui se sont multipliés au cours du processus électoral. M. Ben Brik, co-fondateur du Conseil national pour les libertés en Tunisie (CNLT), a été arrêté le 29 octobre 2009 et accusé d’“atteinte aux bonnes mœurs”, “diffamation”, “agression”, “détérioration des biens d’autrui” et “blasphème”, dans une affaire montée de toute pièce. La chambre correctionnelle l’a condamné fin novembre à six mois de prison ferme, suite à une série de violations de procédure. M. Makhlouf a quant à lui été condamné début décembre à trois mois de prison ferme. Cette politique de répression contre toutes les voix dissidentes a aussi visé d’autres défenseurs, dont M. Mohamed Soudani, membre de l’Union générale des étudiants de Tunisie (UGET), qui suite à une interview portant sur la situation des droits de l’Homme dans le contexte électoral avec des journalistes français a été arrêté le 22 octobre 2009 puis condamné le 24 octobre pour “atteinte aux bonnes mœurs”, “état d’ébriété” et “blasphème” à quatre mois de prison ferme en violations de toutes les principes du procès équitable. Par ailleurs, dans le contexte des élections municipales du 9 mai 2010, toute tentative de la société civile de s’organiser en vue d’observer le déroulement du scrutin et de promouvoir la tenue d’élections libres continue d’être réprimée par les autorités tunisiennes. Les défenseurs des droits de l’Homme actifs au sein de différentes coalitions (dont le Collectif du 18 octobre, la Commission nationale pour les libertés d’expression et d’information et le Groupe indépendant d’échange et d’information sur les élections municipales) font particulièrement les frais de ces mesures d’entraves. Ainsi, le 8 février 2010 au matin, les locaux de la Ligue tunisienne des droits de l’Homme (LTDH), qui se trouvent à une distance de 300 mètres du commissariat et dont les policiers surveillent 24 heures sur 24 l’accès au siège national, ont été cambriolés. Une enquête a par la suite été ouverte. A cela s’ajoute l’entrave de l’accès de défenseurs aux sièges des partis légaux de l’opposition. M. Khémaïs Chammari, membre honoraire du REMDH et co-fondateur de la Fondation euro-méditerranéenne de soutien aux défenseurs des droits de l’Homme (FEMDH), est empêché depuis le 10 février 2010 de se rendre dans les locaux de la LTDH, l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD) et du CNLT. Le 19 février 2010, M. Chammari s’est vu notifier que plus personne ne pouvait entrer à son domicile à l’exception des membres de sa famille. Par ailleurs, depuis le 13 février 2010, plusieurs défenseurs, dont MM. Chammari, Mohamed Abbou, avocat et membre co-fondateur du CNLT, et Ayachi Hammami, font l’objet de filatures rapprochées lors de leurs déplacements et leurs domiciles sont soumis à une constante et impressionnante surveillance policière.

Au Zimbabwe, le 16 février 2010, M. Okay Machisa, directeur exécutif de l’Association des droits de l’Homme au Zimbabwe (Zimbabwe Human Rights Association - ZimRights), a reçu par courrier électronique un message anonyme lui demandant d’être “prudent”. Le 25 février 2010, M. Machisa a reçu de nouvelles menaces sur son téléphone portable lui conseillant de rester hors du pays. MM Nunurai Iéna, Netsai Kaitano et Jabilusa Tshuma, respectivement président régional du bureau de Mashonaland West, président régional du bureau de Chitungwiza et trésorier de ZimRights, ont également reçu différents messages anonymes sur leur téléphone portables leur ordonnant de mettre un terme à leurs travaux sur l’élaboration de la nouvelle Constitution, et les menaçant de mort. Tous les messages ont été envoyés à partir du même numéro, qui est par la suite devenu inaccessible. Par ailleurs, le 23 mars 2010, M. Okay Machisa a été arrêté alors qu’il préparait l’organisation d’une exposition photographique qui devait se tenir le lendemain. Cette exposition s’inscrit dans le cadre du programme de réconciliation nationale, visant à inciter à la réflexion sur les violences politiques de 2007. M. Machisa été conduit au commissariat central de Harare, avant d’être libéré le jour même. Le 26 avril 2010, MM. Joel Hita, président régional de ZimRights à Masvingo, Lio Chamahwinya, Mme Olivia Gumbo, et Mme Cynthia Manjoro, membres de ZimRights, ont été arrêtés par des policiers alors qu’ils préparaient la présentation de cette même exposition au Congrès des syndicats du Zimbabwe (Zimbabwe Congress of Trade Unions - ZCTU) de la ville de Masvingo.

Situation précaire des défenseurs dans les zones de conflit ou post-conflit

Dans le contexte spécifique des conflits armés, les défenseurs sont régulièrement assimilés à des “éléments perturbateurs”, notamment parce qu’ils dénoncent les violations des droits de l’Homme et l’impunité persistante, et remettent ainsi bien souvent en cause les stratégies des auteurs de ces violations. Le danger est d’autant plus grand que les défenseurs dénoncent les violations perpétrées par ces acteurs dans des zones bien souvent sous leur contrôle. Les conflits armés ou situations de post-conflit constituent donc un autre grand défi pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme. Ces derniers mois, en République centrafricaine (RCA) ou au Tchad, les défenseurs des droits de l’Homme qui recensent les violations perpétrées par les parties aux conflits et apportent un soutien aux victimes ont continué d’être exposés à des risques considérables pour leur intégrité physique.

Au Tchad, en février 2009 M. Michel Barka, président de l’Union syndicale du Tchad (UST), et M. Massalabaye Tenebaye, président de la Ligue tchadienne des droits de l’Homme (LTDH), se sont rendus à Paris et à Bruxelles en tant que délégués du Comité de suivi de l’appel à la paix et à la réconciliation (CSAPR), afin d’alerter les autorités françaises et les représentants de l’Union européenne au sujet de la situation politique et sécuritaire au Tchad. Ils avaient notamment témoigné des blocages de la mise en oeuvre des recommandations de la Commission d’enquête établie pour faire toute la lumière sur les violations des droits de l’Homme perpétrées lors de la tentative de coup d’Etat en février 2008. Le 13 octobre 2009, M. Barka a fait l’objet d’une tentative d’assassinat. Le même jour, M. Tenebaye a fait l’objet d’une filature jusqu’à son domicile. Le 26 octobre, MM. Tenebaye et Barka ont déposé une plainte contre X auprès du Procureur général de la République pour filature et tentative d’assassinat et, le 29 octobre 2009, les autorités tchadiennes ont pris des mesures afin de garantir la sécurité de M. Tenebaye.

En RCA, dans un contexte de retour en octobre 2009 de l’ancien Président Ange Félix Patassé - qui était exilé au Togo depuis 2003 - avec l’intention affichée de se présenter aux élections présidentielles centrafricaines de 2010, Me Mathias Morouba, avocat et vice-président de l’Observatoire centrafricain des droits de l’Homme (OCDH) et représentant devant la Cour pénale internationale (CPI) de victimes du conflit dans lequel était impliqué l‘ancien Président, a fait l’objet d’actes de harcèlement et d’intimidation, s’étant vu adresser à plusieurs reprises les 17 et 18 novembre des avertissements oraux menaçants par des partisans de M. Patassé.

Répression des défenseurs des droits économiques, économiques et culturels

Dans un certain nombre d’Etats membres de la CADHP, les sociétés civiles s’organisent, mettant en avant le caractère essentiel de la transparence financière pour une croissance économique équitable, militant pour la transparence financière, et œuvrant pour une participation des populations concernées dans la gestion des ressources situées sur leurs territoires. Cependant, les défenseurs qui exigent la transparence et dénoncent des scandales de corruption, le crime organisé, le pillage des ressources naturelles, les conséquences environnementales des activités minières et forestières ou des détournements de fonds publics et les dirigeants syndicalistes restent exposés à des représailles, parfois mortelles, et dont nombre d’auteurs restent aujourd’hui inconnus ou non sanctionnés.

Au Burundi, l’Observatoire de lutte contre la corruption et les malversations économiques (OLUCOME), un organisme non-gouvernemental, travaille depuis 2002 sur des dossiers de corruption extrêmement sensibles mettant en cause les plus hautes autorités de l’Etat. L’OLUCOME a notamment révélé au cours des dernières années de nombreuses affaires de malversations, et a également dévoilé une affaire de double facturation de produits pétroliers qui a conduit à l’emprisonnement du gouverneur de la Banque centrale du Burundi et à l’exil d’un autre ministre des Finances en 2007. En raison de leurs activités, plusieurs responsables de cette organisation ont été victimes de menaces. Dans la nuit du 8 au 9 avril 2009, des inconnus se sont introduits par effraction au domicile de M. Ernest Manirumva, vice-président de l’OLUCOME, à Bujumbura, et l’ont assassiné de plusieurs coups de couteau. Ils auraient également dérobé plusieurs documents relatifs aux activités de l’organisation, et forcé la porte de son bureau. Fin 2009, aucun des commanditaires de l’assassinat n’avait été identifié. Le 20 mars 2010, M. Pierre Claver Mbonimpa, président de l’Association pour la protection des droits humains et des personnes détenues (APRODH), a reçu un appel anonyme le menaçant de mort s’il continuait à travailler sur le dossier de M. Ernest Manirumva. Les 22 et 23 mars, les voisins de M. Mbonimpa ont également surpris plusieurs individus non-identifiés en train de rôder aux alentours du domicile de celui-ci. Le 1er avril 2010, trois individus à moto se sont présentés au domicile du voisin de M. Mbonimpa, en pensant visiblement qu’il s’agissait du domicile de ce dernier. Le même jour, un groupe d’individus armés s’est rendu au domicile de M. Gabriel Rufyiri, président de l’OLUCOME, en son absence et a pris la fuite, surpris par les voisins. La femme de M. Rufyiri avait en outre reçu un appel anonyme quelques jours auparavant, visant à avertir son mari de “faire attention aux dossiers qu’il traitait”. En outre, M. Gabriel Rufyiri aurait été informé par une source fiable de la planification de son assassinat et de celui de M. Pierre Claver Mbonimpa.

Au Cameroun, les atteintes à la liberté d’expression se sont multipliées, visant notamment à étouffer toute voix dissidente. La criminalisation des manifestations pacifique s’est également accentuée, entraînant notamment des poursuites judiciaires à l’encontre des organisateurs des manifestations visant à dénoncer la corruption. Le 28 mai 2009 à Yaoundé, MM. Bernard Njongang, président de l’Association citoyenne de défense des intérêts collectifs (ACDIC), Nono Théophile, Mowha Franklin et Isaac Difakoué, membres de l’ACDIC et organisateurs d’une manifestation qui s’était tenue le 10 décembre 2008, ont été condamnés à une peine de deux ans de prison avec sursis et à une amende de 26 500 francs CFA pour “ troubles à l’ordre public” et “manifestation illégale”. En outre, à partir du 27 juin 2009, M. Jean Bosco Talla, directeur de publication du journal Germinal et ancien membre du comité de pilotage du Programme concerté pluri-acteur (PCPA), a fait l’objet de surveillances à son domicile et de menaces de mort à la suite de la publication le 24 juin 2009 du rapport du Comité catholique contre la faim et pour le développement (CCFD-Terre) Solidaire sur l’affaire des Biens mal acquis, dont plusieurs pages sont consacrées au Président camerounais Paul Biya et à sa famille.

A Djibouti, le 7 mars 2010 au matin, 90 syndicalistes de l’Union djiboutienne du travail (UDT) et de l’Union générale des travailleurs djiboutiens (UGDT) ont été arrêtés suite à des manifestations pacifiques visant à réclamer le paiement de trois mois d’arriérés de salaires non versés par les autorités. Les syndicalistes ont été conduits au centre de rétention de Nagad, situé à 40 kilomètres de la ville de Djibouti, dont la fonction officielle est de retenir les personnes visées par une reconduite à la frontière mais qui est régulièrement utilisé pour détenir arbitrairement des défenseurs des droits de l’Homme, journalistes, ou autres personnes critiques envers le pouvoir. Tous ont été libérés le jour même. Le 6 mars au matin, une manifestation s’était déjà tenue aux abords de la gare de la ville de Djibouti et avait abouti à l’arrestation de plus d’une centaine de syndicalistes par les forces de police. Ces derniers avaient été incarcérés au centre de Nagad et libérés le soir même. Aucune charge n’a été retenue à l’encontre de ces syndicalistes.

En Guinée, le 15 janvier 2010, Mme Rabiatou Sérah Diallo, secrétaire générale de la Confédération nationale des travailleurs de Guinée (CNTG) , M. Barry Alpha, trésorier de la CNTG, M. Kader Azize Camara, membre du département des jeunes de la CNTG, M. Mamadou Mansaré, membre de la CNTG, M. Sy Savané, secrétaire général du Syndicat libre des étudiants chercheurs de Guinée et de l’Union syndicale des travailleurs de Guinée (SLEG-USTG), Mme Mamamouda Paye Camara, membre de la Fédération des mines, M. Binta Bangoura, membre de la Fédération du développement rural, M. Amadou Diallo, membre du syndicat des Travaux publics et du bâtiment, Mme Mariama Kesso Diallo, membre de la CNTG, et d’autres syndicalistes ont reçu le message suivant : “Chers parents, unissons nos efforts pour le retour de notre cher président Dadis car les musulmans ne veulent pas qu’il revienne ; L’Occident est avec nous pour combattre ces terroristes. A bas les syndicalistes et en particulier les pheules ; Sékouba Konaté est un traître. Vive le CNDD et son président”. Ce message a coïncidé avec les accords de Ouagadougou du 15 janvier 2010, où les différentes forces se sont mis d’accord pour former un gouvernement d’union nationale en attendant l’organisation d’élections dans les six mois. De telles menaces visent à stigmatiser les défenseurs, notamment les syndicalistes, qui soutiennent une politique d’apaisement des tensions entre les différents groupes politiques, factions et groupes ethniques composant la Guinée depuis la tentative d’assassinat du président du Conseil national pour la démocratie et le développement (CNDD), le capitaine Moussa Dadis Camara, le 3 décembre 2009.

Au Niger, M. Abdoulaye Tiemogo, directeur de publication de l’hebdomadaire indépendant Le Canard déchaîné, a été arrêté le 5 août 2009 et condamné à trois mois de prison ferme suite à la publication d’une déclaration commentant la décision du procureur d’émettre un mandat d’arrêt international à l’encontre de M. Hama Amadou, ancien Premier Ministre accusé de corruption. Le 26 octobre 2009, la Cour d’appel de Niamey a décidé de réduire la peine de M. Abdoulaye Tiémogo à deux mois de prison ferme. Ayant déjà effectué 86 jours de détention, celui-ci a été libéré le jour même. Par ailleurs, M. Ibrahim Soumana Gaoh, rédacteur en chef de l’hebdomadaire indépendant Le Témoin, a été arrêté le 20 septembre 2009 et inculpé pour diffamation suite à la publication d’un article qui annonçait que l’ancien ministre des Communications M. Mohamed Ben Omar faisait l’objet d’une enquête criminelle pour corruption. Il a été libéré le 30 septembre suite au retrait de la plainte à son encontre.

En RDC, les défenseurs des droits économiques, sociaux et culturels ont subi de nombreux actes de harcèlement liés à la sensibilité des questions soulevés lors de leurs activités de “monitoring” et de dénonciation des violations. Le 31 août 2009 par exemple, M. Robert Ilunga Numbi, président national des Amis de Nelson Mandela pour la défense des droits humains (ANMDH), Mme Marie-Thérèse Kalonda, chargée du programme “Femme et Famille” à l’ANMDH, M. Jean-Paul Itupa, chargé des relations publiques au sein de la section ANMDH de Kalamu, et M. Ndumba Toutou ont été arrêtés sans mandat sur leur lieu de travail, peu de temps après la publication par l’ANMDH d’un communiqué de presse dénonçant les conditions de travail des ouvriers de la Société générale industrielle (SGI) et suite à la tenue d’une conférence de presse à Kinshasa sur ce même sujet. Si Mme Kalonda, M. Itupa et M. Toutou ont tous trois été libérés dans la soirée du 31 août, M. Numbi est quant à lui resté détenu jusqu’au 1er octobre 2009 dans les locaux de l’Agence nationale des renseignements (ANR) à Kinshasa/Gombe. En outre, le 24 juillet 2009, MM. Golden Misabiko, président de l’Association africaine pour la défense des droits de l’Homme (ASADHO)/Katanga et Thimothée Mbuya, son vice-président, ont été convoqués et arrêtés par l’ANR suite à la publication d’un rapport qui dénonçait la poursuite à petite échelle de l’exploitation de la mine uranifère de Shinkolobwe malgré sa fermeture officielle par décret présidentiel le 27 janvier 2004. M. Mbuya a été libéré le jour même, alors que M. Misabiko est resté en détention jusqu’au 20 août 2009 pour “atteinte à la sûreté de l’Etat” et “diffamation”. Il a été relâché sous caution suite à la demande de mise en liberté provisoire introduite le 19 août par ses avocats, et condamné à un an de prison avec sursis le 21 septembre 2009. Par ailleurs, le 15 décembre 2009, MM. Loka Makuiza, Kuebo Edouard, Mabedo Mabedo, Diangu Kakudu, Tshikokolo Sibu, Tshikokolo Njimbi, Nzau Mateka, Phoba Mayuma Pablo, Mualangu Phaka, Nsamvu Sasulu, Kadioto Nsamu, Nzinga Tshitunda, Bendo Balu, Nzau Njimbi, Buela Bembe et Lakula Bueya, seize paysans des villages de Kongo et Tshiende, dans le Bas-Congo, ont été arrêtés à Muanda par les forces de police sur les ordres du vice gouverneur M. Deo Nkusu. Cette arrestation est intervenue lors d’un sit-in pacifique devant le terminal pétrolier de PERENCO-MIOC à Mibale, situé à moins d’un kilomètre des villages de Kongo et Tshiende, afin de dénoncer la violation de leurs droits environnementaux, et ce après en avoir informé les autorités locales, conformément à l’article 26 de la Constitution de la RDC qui garantit la liberté de manifestation pacifique. Début 2010, tous ont été libérés mais ils restent poursuivis pour “rébellion”.

En République du Congo, les ONG nationales mais aussi internationales comme le Secours catholique, la FIDH, Transparency International, Survie ou Sherpa, engagées dans la dénonciation de la corruption et des “Biens Mal Acquis” en France par certains dirigeants africains, ont été accusées dans deux éditoriaux du 25 et 26 août 2009, parus dans Les dépêches de Brazzaville, de chercher à “déstabiliser les gouvernements africains”. L’éditorial du 25 août appelait ces gouvernements à faire de la lutte pour la transparence des ONG qui “les harcèlent” une priorité de leur action. Les accusations des dépêches ont été relayées par la télévision nationale, qui a organisé une tribune diffusée pendant cinq jours entre fin août et début septembre 2009, en présentant les défenseurs comme les valets de l’impérialisme au Congo qu’il fallait absolument neutraliser.

En Tunisie, en janvier 2008, le bassin minier du gouvernorat de Gafsa avait été le théâtre d’un mouvement pacifique de protestation sociale sans précédent, qui s’était soldé par l’arrestation et la détention arbitraire de plusieurs dizaines de personnes, dont 38 défenseurs. Le 22 août 2009, la Cour de cassation de Tunis a rejeté le pourvoi en cassation présenté par les avocats de ces derniers. Cependant, les 4 et 5 novembre, les prévenus ont bénéficié d’une libération conditionnelle. Suite à cette grâce, deux des 38 défenseurs, M. Hassan Ben Abdallah, syndicaliste, et M. Fahem Boukhadous, correspondant de la télévision satellitaire Al Hiwar et du journal en ligne Al Badil, qui étaient entrés en clandestinité après avoir été informés qu’ils étaient recherchés, ont introduit un recours contre leur condamnation. M. Fahem Boukadous a été condamné à quatre ans de prison le 13 janvier 2010 par le Tribunal de première instance de Gafsa pour “participation à une entente visant à préparer et à commettre des agressions contre des personnes et des biens”. La décision n’a pas été accompagnée de décision d’incarcération, une décision de la Cour d’appel, fixée au 23 février 2010, ayant été renvoyée au 18 mai 2010. M. Ben Abdallah a quant à lui été condamné en appel le 27 avril 2010 à quatre ans de prison.

Entraves à la liberté d’association

Un grand nombre d’Etats font encore aujourd’hui usage de législations restrictives en matière de liberté d’association afin d’encadrer ou de museler la société civile : procédures d’enregistrement fastidieuses et opaques, refus d’enregistrement arbitraires, ingérence dans les affaires courantes des organisations, dissolutions abusives, gel des avoirs, etc. En RDC, par exemple, plusieurs associations de défense des droits de l’Homme ne sont toujours pas reconnues par les autorités congolaises en dépit de l’accomplissement de toutes les formalités administratives. Par conséquent, les membres de ces associations ont régulièrement fait l’objet d’actes de harcèlement, d’intimidation et de menaces d’arrestation de la part des services administratifs et de sécurité. En Tunisie, plus de 8 000 ONG liées au gouvernement continuent à opérer en étant fallacieusement présentées comme des organisations indépendantes.

En Algérie, le 9 février 2010, deux gendarmes de la brigade de Bab Djedid se sont présentés dans les locaux de SOS-Disparu(e)s, une association de soutien aux familles des personnes disparues et de lutte contre les disparitions forcées en Algérie, afin d’interroger sa présidente, Mme Fatima Yous, à propos des activités de l’association, sans présenter de mandat officiel. Cette dernière a refusé de répondre aux questions de la brigade tant qu’aucun mandat officiel ne lui serait présenté.

Au Burundi, le 23 novembre 2009, l’association Forum pour le renforcement de la société civile (FORSC), une plateforme composée de 146 organisations de la société civile, est devenue une organisation considérée comme illégale par l’ordonnance n°530/1499 du ministère de l’intérieur. Cette décision a été motivée par le fait que le FORSC était constitué d’associations dont l’agrément n’était pas de sa compétence, mais de celle du “ministre de la Fonction publique, du Travail, de la Sécurité sociale [...] et de la Justice”. Cet obstacle aux activités du FORSC s’inscrit dans un contexte dans lequel son président M. Pacifique Ninihazwe a été victime le 21 novembre 2009 de menaces de mort anonymes par téléphone. Le 18 novembre 2009, le ministère de l’Intérieur avait convoqué les représentants de cinq associations, à savoir le FORSC, la Ligue burundaise des droits de l’Homme “Iteka”, l’OLUCOME, l’Observatoire de l’action gouvernementale (OAG) et l’APRODH, et les avait menacés de prendre des “mesures” à leur encontre. Cette convocation avait fait suite à la publication d’une lettre ouverte par ces organisations, le 18 novembre, au Président de la République, afin de dénoncer la “diabolisation insoutenable” d’organisations de la société civile à laquelle se livreraient “certaines hautes autorités administratives”.

Au Rwanda, en novembre 2009, des projets d’amendements au Code pénal rwandais ont été présentés au Parlement dans le but de criminaliser l’homosexualité ainsi que toute les activités de promotion et de sensibilisation des défenseurs des droits des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres (LGBT) sur le sujet, ce qui pourrait avoir des conséquences sur les défenseurs LGBT et leurs associations.

Entraves à la liberté de réunion pacifique

Au cours des derniers mois, les mouvements de protestations pacifique ont été interdits ou réprimés à de nombreuses reprises.

En Algérie, le 8 octobre 2009, la Direction de la réglementation des affaires générales (DRAG) de la wilaya d’Alger a envoyé une notification à la Ligue algérienne de la défense des droits de l’Homme (LADDH) lui interdisant la tenue d’une rencontre nationale sur l’abolition de la peine de mort à l’hôtel El Biar à Alger. Cette réunion, prévue le 10 octobre 2009, a été organisé afin de célébrer la Journée internationale pour l’abolition de la peine de mort. Malgré cette interdiction, résolue à engager le débat, la LADDH a décidé de maintenir cette rencontre au siège de la LADDH. Par ailleurs, le 8 mars 2010, à l’occasion de la Journée internationale des droits de la femme, des familles de personnes disparues ont tenté de se rassembler devant le ministère de la Justice pour revendiquer leur droit à la vérité et à la justice. Les forces de l’ordre sont alors intervenues, dispersant les familles de façon brutale, et malmenant ou injuriant certains manifestants. Une personne a été conduite au commissariat pour "troubles sur la voie publique", puis libérée.

En Egypte, le 15 janvier 2010, 33 défenseurs des droits de l’Homme ont été arrêtés lors de leur arrivée au gouvernorat de Qena où ils se rendaient pour apporter leur soutien aux familles des victimes de la fusillade qui s’est produite lors du noël copte, entre le 6 et le 7 janvier 2010, qui a fait sept morts et provoqué des manifestations sectaires tendues en Egypte, et pour dénoncer la violence sectaire et les violations des droits de l’Homme commises par les autorités, soi-disant pour lutter contre ces violences. Le groupe a été détenu au secret à la direction de la sécurité de Qena puis libéré le 16 janvier 2010. Certains d’entre eux ont été soumis à de mauvais traitements lors de leur arrestation. Ces personnes ont été détenues dans des conditions inhumaines, n’ayant eu droit qu’à un seul repas tout au long de leur détention, et se voyant privées de lits et de couvertures. L’état de santé de M. Tareq Sabry Abdallah en détention a été qualifié d’alarmant, et ce dernier a dû être transféré à l’hôpital à trois reprises.

Au Soudan, le 16 décembre 2009, des agents des NISS se sont introduits au sein d’un symposium intitulé “élections et transition démocratique”, organisé dans la ville de Kosti par le Sudanese Monitor of Human Rights (SMHR), en association avec l’Union des jeunes soudanais. Les agents ont dispersé la foule, bloqué le quartier et déployé leurs forces à travers la ville. Tous les sacs, publications et logos utilisés pour le symposium ont été confisqués. Peu de temps avant le début de l’événement, les agents du NISS avaient arrêté M. Hatem Salah, membre du secrétariat de l’Union des jeunes soudanais, qui a été libéré par la suite, après avoir subi un interrogatoire.

Au Zimbabwe, le 15 avril 2010, 70 membres de “Renaissance des femmes et des hommes du Zimbabwe” (Women and Men of Zimbabwe Arise - WOZA) ont été arrêtés par des policiers du commissariat central de Harare alors qu’ils participaient à une manifestation pacifique à Harare près du siège de l’autorité de fourniture d’électricité du Zimbabwe (Zimbabwe Electricity Supply Authority - ZESA). La manifestation visait à faire pression sur le fournisseur d’électricité pour réclamer un service plus efficace, et pour demander de cesser de mettre en avant les problèmes économiques afin de facturer excessivement ses services. Soixante-six des personnes arrêtées ont été libérés sans charges quatre heures plus tard. Cependant, Mme Jennifer Williams, coordonnatrice nationale de WOZA, Mme Magodonga Mahlangu, Mme Clara Manjengwa et Mme Celina Madukani n’ont été libérées que le 20 avril, après avoir passé cinq nuits en détention. Aucune procédure judiciaire à leur encontre n’a été engagée par le bureau du procureur général, en raison du manque de preuves suffisantes. Durant leur garde à vue, les quatre femmes ont souffert de très mauvaises conditions de détention.


Campagnes de diffamation à l’encontre de défenseurs des droits de l’Homme

En Mauritanie, depuis le 31 mars 2010, M. Biram Ould Dah Ould Abeid, président de l’Initiative de résurgence du mouvement abolitionniste en Mauritanie (IRA) et chargé de mission auprès de SOS-Esclaves, fait l’objet d’une virulente campagne de diffamation orchestrée par le site d’information en ligne du Carrefour de la République islamique de Mauritanie (CRIDEM). Les articles l’accusent de “blasphème contre la religion musulmane” ainsi que de “racisme contre la communauté maure” et de “complot contre la Mauritanie”. M. Ould Dah Ould Abeid est également taxé de “voyou”, de “traître à la patrie” et de “malade mental”. Le 3 avril 2010, celui-ci aurait en outre été informé de l’existence d’un certificat médical provenant du Centre hospitalier national universitaire (CHNU) de Fann à Dakar, qui aurait été falsifié à son nom et selon lequel il souffrirait de “troubles mentaux aigus”. Ce dossier médical aurait été monté de toutes pièces à l’initiative des autorités mauritaniennes dans le but de discréditer son action en faveur des droits de l’Homme. Par ailleurs, le 1er avril 2010, M. Ould Dah Ould Abeid a été démis de son poste de conseiller par M. Ba Mariam Koita, lors de sa prise de fonction au poste de président de la Commission nationale mauritanienne des droits de l’Homme et suite à la désignation des nouveaux membres de la Commission. Cette décision était justifiée par ses activités de lutte contre l’esclavage en Mauritanie. Enfin, le 15 avril 2010, le directeur des libertés publiques du ministère de l’Intérieur a convoqué M. Biram Ould Dah Ould Abeid afin de l’enjoindre de “cesser toute déclaration ou activité de lutte contre l’esclavage”, en le menaçant d’être poursuivi pour “activités illégales” et placé en détention s’il ne respectait pas cette injonction. Au cours de cette entrevue, M. Biram Ould Dah Ould Abeid s’est également vu signifier le maintien de sa révocation comme conseiller à la Commission nationale mauritanienne des droits de l’Homme.

En Tunisie, en décembre 2009, l’hebdomadaire tunisien Koll Ennass a entamé une campagne de diffamation à l’encontre de plusieurs défenseurs de droits de l’Homme dénonçant les atteintes aux libertés fondamentales en Tunisie. Les principales cibles des propos diffamatoires, calomnieux et insultants des derniers numéros de l’hebdomadaire sont MM. Kamel Jendoubi, président du Comité pour le respect des libertés et des droits de l’Homme en Tunisie (CRLDHT) et du REMDH et membre du Comité exécutif de l’OMCT, Mme Sihem Bensedrine, porte-parole du CNLT, Mme Sana Ben Achour, présidente de l’ATFD, et M. Khemais Chammari. Dans les articles publiés par le journal, ces derniers sont accusés d’intelligence avec les services secrets israéliens et les agences d’espionnage européennes, et de comploter contre la résistance palestinienne et les Etats arabes en révélant des secrets les concernant à des journalistes. Ils sont par ailleurs qualifiés de "mercenaires" et de "vendus". Le 27 février 2010, Koll Ennass a de nouveau publié un article contenant des propos diffamatoires à l’encontre de Mme Bensedrine et de M. Chammari, ainsi qu’à l’encontre de MM. Mohamed Abbou, Kamel Labidi, journaliste et ancien directeur de la section tunisienne d’Amnesty International, Moncef Marzouki, ancien porte-parole du CNLT et président d’honneur de la LTDH, exilé en France depuis cinq ans, et Mme Neziha Rejiba, journaliste, lauréate 2009 du prix international du Comité pour la protection des journalistes (CPJ), internationalement connue sous son nom de plume "Om Zied", les taxant entre autres de "vendus" et de "traîtres à la nation". Les journaux Ach Chourouk, As Sarih et Al Hadat, qui avaient déjà publié des attaques dégradantes contre Mme Rejiba quelques jours auparavant, ont à leur tour repris ces propos, venant conforter la virulente campagne médiatique de diffamation à l’encontre des défenseurs tunisiens initiée en décembre 2009.


Recommandations
 :

1) Au regard de la persistance d’actes de répression à l’encontre des défenseurs des droits de l’Homme dans les pays membres de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples, l’Observatoire appelle les États membres de la CADHP à :

· Mettre fin à toute forme de répression menée à l’encontre des défenseurs des droits de l’Homme et de leurs organisations ;

· Tout mettre en œuvre pour garantir les libertés d’association, d’expression et la liberté d’action des défenseurs des droits de l’Homme ;

· Reconnaître le rôle primordial des défenseurs des droits de l’Homme dans la mise en œuvre de la Déclaration universelle des droits de l’Homme des Nations unies et des autres instruments relatifs aux droits de l’Homme, dont la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, ainsi que dans la prévention des conflits, l’avènement de l’État de droit et de la démocratie ;

· Se conformer aux dispositions de la Déclaration des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’Homme, notamment à son article 1 qui prévoit que “chacun a le droit, individuellement ou en association avec d’autres, de promouvoir la protection et la réalisation des droits de l’Homme et des libertés fondamentales aux niveaux national et international” et à son article 12.2 qui prévoient que “l’État prend toutes les mesures nécessaires pour assurer que les autorités compétentes protègent toute personne, individuellement ou en association avec d’autres, de toute violence, menace, représailles, discrimination de facto ou de jure, pression ou autre action arbitraire dans le cadre de l’exercice légitime des droits visés dans la présente Déclaration”, du protocole à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples relatif aux droits des femmes, de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, ainsi qu’aux dispositions des instruments internationaux relatifs aux droits de l’Homme auxquels ils sont parties ;

· Participer activement à faciliter le mandat du Rapporteur spécial de la Commission africaine sur les défenseurs des droits de l’Homme en Afrique, en l’invitant de façon permanente à se rendre dans leurs pays et en mettant les moyens suffisants à sa disposition en vue du bon accomplissement de son mandat ;

· Participer activement à faciliter le mandat de la Rapporteure spéciale des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’Homme, notamment en l’invitant de façon permanente à se rendre dans leurs pays.

2) L’Observatoire appelle en outre le Rapporteur spécial de la CADHP sur la situation des défenseurs en Afrique à mettre pleinement en œuvre son mandat, dans un souci de protection des défenseurs des droits de l’Homme et de la société civile indépendante, et de promotion de leurs activités.

3) L’Observatoire appelle également la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples à :

· Renforcer les moyens du Rapporteur spécial de la CADHP sur la situation des défenseurs afin de l’aider à poursuivre ses actions de promotion et de protection des défenseurs des droits de l’Homme en Afrique ;

· Poursuivre et approfondir la collaboration avec la Rapporteure spéciale des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’Homme, ainsi qu’avec les autres mécanismes régionaux de protection des défenseurs des droits de l’Homme.

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