Intervention de la FIDH sur la situation des défenseurs des droits de l’Homme

Madame la Présidente,
Madame la Commissaire Rapporteur pour les défenseurs des droits de l’Homme
Mesdames et messieurs les Commissaires,

La Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), dans le cadre de leur programme conjoint, l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, expriment leur vive préoccupation au regard du fait que les défenseurs des droits de l’Homme continuent de mener leurs activités dans un contexte particulièrement hostile et risqué sur le continent africain.

Une fois de plus, les défenseurs se sont en effet retrouvés en première ligne de la répression lors des situations de crise qu’a connu le continent africain depuis novembre 2007.

Au cours des quatre grandes crises politiques qu’a connu le contient africain depuis ces six derniers mois au Kenya, au Soudan, au Tchad et au Zimbabwe, les défenseurs des droits de l’Homme ont systématiquement été inquiétés pour avoir témoigné, protesté ou condamné les violations des droits de l’Homme perpétrées lors de ces événements.

Ainsi, au Kenya les responsables des ONG de défense des droits de l’Homme ayant condamné les fraudes lors des élections présidentielles du 27 décembre dernier ont été inquiétés par le pouvoir en place. Le 8 janvier 2008, des membres de la police et des services de renseignement de la sécurité nationale ont par exemple informé les membres de l’Initiative des Kenyans pour la paix, la vérité et la justice, une coalition d’ONG indépendantes que leur sécurité personnelle était menacée. Le président de la Commission nationale des droits de l’Homme du Kenya, M. Maina Kiai, qui avait déposé plainte contre les organisateurs des fraudes, a même dû quitter le pays fin janvier 2008.

Au Soudan, la situation de conflit qui perdure au Darfour et la perspective des élections générales de 2009 alimentent une nouvelle vague de répression qui cible en particulier les défenseurs des droits de l’Homme. Ainsi, le 21 novembre 2007, deux responsables du Centre de Khartoum pour les droits de l’Homme et le développement et l’environnement ont été détenus plus de huit heures, et interrogés, entre autres, sur les structures financières et administratives du centre par la section politique du Service national de sécurité du Soudan.

De même, au Tchad, lors de la tentative de coup d’état du 2 février 2008, les rebelles étaient encore dans les faubourgs de N’djamena que les forces loyalistes lançaient, en représailles, une vague d’arrestations à l’encontre des opposants politiques et des défenseurs des droits de l’Homme au motif qu’ils auraient soutenus la rébellion. Plusieurs responsables de la Ligue tchadienne des droits de l’Homme et de l’Association tchadienne pour la promotion et la défense des droits de l’Homme ont été menacés dans leur intégrité physique, et certains d’entre eux ont été victimes de tentatives d’arrestation ou d’attaques perpétrées par les forces de sécurité.

Enfin, au Zimbabwe, les organisations de défense des droits de l’Homme qui s’étaient organisées au sein du Réseau de soutien aux élections au Zimbabwe (ZESN) pour éviter un nouveau vol électoral du régime de Robert Mugabe ont été victimes, le 25 avril 2008, d’une descente de la police dans leurs bureaux ainsi qu’au domicile de Mme Rindai Chipfunde-Vava, directrice du ZESN. Du matériel et des équipements de bureau ont été saisis.

Les pratiques répressives visant à entraver et sanctionner l’activité des défenseurs des droits civils et politiques se sont également poursuivies et intensifiées à la fin de l’année 2007 et au début de l’année 2008.

Sur le continent les poursuites judiciaires sont ainsi utilisées par les autorités pour tenter de faire taire les défenseurs, comme en Algérie où, le 13 avril 2008, Me Amine Sidhoum, avocat et membre de l’association SOS Disparu(e)s, a été condamné à six mois de prison avec sursis et à 20 000 dinars d’amende, pour avoir dénoncé une arrestation comme arbitraire. C’est aussi le cas en Tunisie, où M. Slim Boukdhir, journaliste, a été condamné le 4 décembre 2007 à un an de prison ferme au terme d’un procès inéquitable, démontrant que les critiques à l’égard du gouvernement ne sont toujours pas admises dans ce pays, et que les irrégularités dans les procès contre les défenseurs des droits de l’Homme restent fréquentes. M. Boukhdir serait détenu dans une cellule sans lumière, et sans avoir accès à son avocat.

Le gouvernement tunisien a également orchestré des campagnes de diffamation à l’encontre des défenseurs des droits de l’Homme, notamment en publiant dans le journal Al-Hadath depuis le début du mois de février plusieurs articles calomnieux et à caractère obscène à l’encontre des dirigeants des principales organisations de défense des droits de l’Homme.

Au Cameroun, c’est le procureur de la République auprès des Tribunaux de première et grande instance de Maroua qui a menacé de mort M. Abdoulaye Math, président du MDDHL, après avoir dénoncé plusieurs cas d’enlèvements et de disparitions forcées dans la province de l’Extrême nord.

Enfin, les défenseurs qui tentent de dénoncer l’impunité des auteurs de crimes et de violations des droits de l’Homme notamment à caractère sexuel continuent d’être ciblés par les autorités ou les acteurs non-étatiques comme en République Démocratique du Congo (RDC), où ces menaces ont été monnaie courante en ce début d’année 2008. Ainsi, Mme Julienne Lusenge et Mme Thérèse Kerumbe, deux responsables de l’ONG SOFEPADI basée dans l’est de la RDC, ont été gravement menacées de mort par des individus et des miliciens qui se sont présentés à leurs domiciles en avril 2008.

Par ailleurs, dans de nombreux pays du continent, les défenseurs dénonçant la corruption, la mauvaise gestion ou l’exploitation abusive des ressources naturelles continuent d’être victimes de représailles de la part des autorités. De même, les activités syndicales restent étroitement surveillées, et de nombreux syndicalistes ont fait l’objet d’attaques ou d’arrestations et de détentions arbitraires alors qu’ils défendaient leur droit à s’organiser collectivement, comme au Nigeria où, le 6 janvier 2008, M. Alhaji Saula Saka, président pour l’Etat de Lagos du Syndicat national des travailleurs du transport routier, a été assassiné à son domicile ; ou à Djibouti, où les syndicats indépendants sont toujours harcelés.

Enfin, au cours des derniers mois, les libertés d’association et de rassemblement pacifique sur le continent africain ont été bafouées à plusieurs reprises, notamment en Egypte, où AHRLA, une ONG spécialisée dans le soutien aux victimes de torture, s’est vue notifier, fin 2007, un ordre de fermeture par le ministère de la Solidarité sociale, alléguant des infractions financières. La prochaine audience dans cette affaire a été fixée pour mai 2008. De même, au Gabon, le 9 janvier 2008, le ministre de l’Intérieur avait décidé la suspension immédiate d’une vingtaine d’ONG gabonaises, accusées d’avoir tenu des propos "politiques" lors d’une conférence de presse au cours de laquelle elles avaient dressé un constat accablant de l’état actuel du Gabon en matière d’éducation, d’accès à la santé, d’infrastructures, situation selon elles causée par la corruption endémique Une semaine plus tard, le ministre de l’Intérieur est finalement revenu sur sa décision, en raison de la forte mobilisation internationale.

Recommandations :

Au regard de la persistance d’actes de répression à l’encontre des défenseurs des droits de l’Homme dans les pays membres de la CADHP, l’Observatoire appelle les Etats membres à :

 Mettre fin à toute forme de répression menée à l’encontre des défenseurs ;
 Tout mettre en œuvre pour garantir les libertés d’association, d’expression et la liberté d’action des défenseurs ;
 Reconnaître le rôle primordial des défenseurs dans la mise en œuvre de la Déclaration universelle des droits de l’Homme des Nations unies et des autres instruments relatifs aux droits de l’Homme, dont la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, ainsi que dans la prévention des conflits, l’avènement de l’Etat de droit et de la démocratie ;
 Participer activement à faciliter les mandats des Rapporteures spéciales de la CADHP et des Nations unies sur les défenseurs, en les invitant de façon permanente à se rendre dans leurs pays et en mettant les moyens suffisants à leur disposition en vue du bon accomplissement de leur mandat.

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