Le protocole adopté est le premier instrument juridique à élargir l’autorité d’un tribunal régional à la compétence pénale en matière de génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Le protocole prévoit également la compétence de la Cour sur onze autres crimes et prévoit la mise en place d’un bureau indépendant de défense. L’extension de la compétence de la Cour africaine présente des défis importants et souligne l’importance de lui fournir des ressources suffisantes pour assurer la mise en œuvre effective de tous les mandats.
Nous sommes néanmoins profondément consternés par le fait que l’article 46A bis des amendements prévoie l’immunité des chefs d’État et de gouvernement en exercice, et de certains autres hauts fonctionnaires de l’État, s’agissant de poursuites en cas de crimes graves. Il stipule : « Aucune accusation ne peut être engagée ou poursuivie devant le tribunal contre tout chef d’État ou de gouvernement de l’Union africaine, ou quiconque agissant ou ayant le droit d’agir en cette qualité, ou d’autres hauts fonctionnaires de l’État sur la base de leurs fonctions, pendant la durée de leur mandat. »
La disposition relative à l’immunité est un retour en arrière regrettable par rapport à l’esprit et la lettre de l’Acte constitutif de l’UA, qui favorise le respect des droits humains et le rejet de l’impunité en son article 4.
Les victimes ne peuvent pas être protégées et rétablies dans leurs droits si les personnes sont au-dessus de loi. L’immunité consacre l’impunité, car elle écarte toute perspective de poursuite devant la Cour africaine des personnes présumées responsables de crimes graves. Les victimes ne peuvent obtenir véritablement justice pour les violations subies si ceux qui peuvent être responsables de crimes graves bénéficient d’une exemption d’effet et de la force de la loi.
Les organisations de la société civile s’opposent à l’octroi de l’immunité à toute personne s’agissant crimes graves commis en violation du droit international. Les statuts de la Cour pénale internationale (CPI), du Tribunal spécial pour la Sierra Leone, du Tribunal pénal international pour le Rwanda, des Chambres africaines extraordinaires au sein des tribunaux du Sénégal et d’autres tribunaux internationaux et internationalisés prévoient que la position officielle d’un accusé ne puisse l’exonérer de sa responsabilité pénale.
Nous rappelons que les gouvernements africains ont joué un rôle actif dans la création de la CPI afin de garantir que justice soit rendue, en cas de génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Les États africains ont été parmi les premiers à ratifier le Statut de Rome de la CPI. La majorité des membres de l’Union africaine sont à ce jour parties au Statut de la CPI. En y souscrivant, ces États ont manifesté leur engagement à défendre les droits des victimes, à rejeter les exemptions pour les accusés en fonction de leur position officielle, et à veiller à ce que les auteurs des crimes les plus graves connus par l’humanité, soient traduits en justice.
D’autres conventions internationales, telles que la Convention contre la torture, la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, et les Conventions de Genève de 1949, reconnaissent toutes la nécessité de poursuivre les individus, y compris les représentants de l’État, qui ont commis des crimes graves, et n’accordent aucune immunité à ces personnes en s’agissant de tels crimes. L’article IV de la Convention sur le génocide stipule expressément que les personnes qui ont commis des actes génocidaires « seront punies, qu’elles soient des gouvernants, des fonctionnaires ou des particuliers. »
Nous nous félicitons que certains États africains comme l’Afrique du Sud, le Bénin, le Burkina Faso, la République démocratique du Congo, et le Kenya n’accordent pas l’immunité aux fonctionnaires en exercice en ce qui concerne les crimes graves, en application de leurs lois nationales.
Accorder l’immunité aux chefs d’État et de gouvernement africains, et à certains hauts fonctionnaires du gouvernement, devant la Cour africaine, dans certaines circonstances, risque d’accorder une licence ouverte aux personnes occupant ces positions pour commettre des crimes. Cela risque d’autant plus d’encourager les personnes accusées de ces crimes à s’accrocher à leurs fonctions afin d’éviter d’affronter la loi, enracinant ainsi les dictatures.
La disposition du protocole adopté relative à l’immunité va ainsi à l’encontre de l’essence même de la défense des droits humains, de la paix et la stabilité, et c’est un développement à contre-courant des progrès réalisés en matière de démocratie et respect de l’État de droit en Afrique. Les dirigeants africains doivent être évalués sur la base de leurs efforts visant à renforcer les valeurs de respect des droits humains, de l’État de droit et de la justice pour les victimes de crimes graves – et non sur leurs efforts pour nourrir la culture d’impunité au détriment des droits de leurs citoyens.
La récente décision d’autoriser, devant la Cour régionale, l’immunité pour les crimes graves de droit international sur la base de la fonction officielle est donc rétrograde et indésirable. Au lieu de se détourner des réalisations importantes accomplies pour limiter l’impunité, promouvoir l’État de droit et le respect des droits humains, nous appelons les gouvernements africains à rester fermes dans leur soutien à la justice pour les victimes des crimes les plus graves.
Nous, les organisations de la société civile soussignées, demandons aux États africains de réaffirmer les engagements qu’ils ont pris en vertu des instruments internationaux et régionaux pour soutenir en faveur des droits humains, la responsabilisation et l’accès à la justice en refusant l’immunité pour les crimes graves au regard du droit international.